Paradoxe : quand les prêteurs font main basse sur l’entreprise !

Publié le 3 juin 2016 à 17h15

Hubert de La Bruslerie

Derrière ce titre accrocheur se retrouve le cas de figure du passager clandestin, bien connu en finance. C’est ici un peu plus sophistiqué car il s’agit du prêteur standard, qui se trouve recevoir sans effort personnel le fruit des efforts des autres.

L’accusation de passager clandestin est traditionnellement attribuée aux petits actionnaires qui profitent du travail du groupe actionnarial contrôlant. Les actionnaires dominants vont s’investir dans le contrôle stratégique de l’entreprise, vont valider les décisions prises, vont contrôler les dirigeants. Ne poursuivons pas dans cette voie car il serait politiquement incorrect de dire que les petits actionnaires sont les profiteurs d’un travail de contrôle assumé par les gros capitalistes.

En situation de contrôle de l’entreprise, les efforts du contrôlant vont améliorer le processus de création de valeur, exploiter un potentiel de profitabilité, impulser des choix de long terme créateur de valeur. C’est bien évidemment son propre intérêt financier. C’est aussi, par un effet ricochet, l’intérêt des prêteurs qui sont présents au passif dans le cadre de contrat de dettes dont les conditions sont fixées ex ante. La théorie financière analyse la dette comme une option sur la valeur des actifs qui se matérialisera en cas de défaut par une saisie des actifs. Le modèle de Leland (1994) montre que la probabilité de défaut des dettes diminue si l’entreprise devient plus riche et profitable. Les créanciers réalisent alors ce que la littérature appelle un «hold-up», c’est-à-dire l’appropriation indue d’une rente. Ils bénéficient de taux d’intérêt et de conditions historiquement négociées avant une opération importante, par exemple une acquisition par un repreneur habile. En cas de succès, leur dette vaudra plus cher et percevra un taux d’intérêt plus élevé que ce qui correspondrait à la classe de risque de l’entreprise. La dette étant globalement de long terme, il n’y a renégociation des conditions que bien après.

Comment les entreprises et les actionnaires peuvent-ils réagir face à l’appropriation par les prêteurs d’une partie de la valeur qu’ils vont créer par des choix stratégiques judicieux ? Ils ont essentiellement deux moyens. Le premier consiste à dégrader la classe de risque de l’entreprise en faisant des choix d’investissements plus risqués. Ce qui va rétablir le niveau de risque de l’entreprise en contrebalançant l’amélioration du risque de crédit par une dégradation du risque économique. C’est la voie de l’«asset substitution». La seconde est du même tonneau : l’entreprise va augmenter son levier d’endettement en réaugmentant ainsi son risque de défaillance.

Des jeux à deux bandes peuvent ainsi se développer. Ils ne sont pas très faciles à identifier. Si l’on considère que l’acquisition d’une entreprise cible par un actionnaire dominant est un signal d’implication et d’effort dont les effets seront positifs en termes de création de valeur future (c’est en soi une question ouverte mais faisons momentanément cette hypothèse), alors les prêteurs de la cible vont bénéficier d’un phénomène de hold-up sur la valeur de leur dette. On devrait donc s’attendre à ce que les dirigeants de la cible, en réaction, la réendettent marginalement.

Une étude sur 91 entreprises-cibles au niveau mondial a permis de comparer leur levier d’endettement moyen un an avant l’acquisition et un an après l’acquisition. Leur ratio moyen d’endettement est ainsi passé de 44 % à 51 %, soit une hausse de 7 points. Cette hausse du levier est statistiquement significative. Elle est de plus bien corrélée avec l’amélioration de la rentabilité opérationnelle de la cible qui mesure le travail effectif du contrôlant et la création de valeur additionnelle.

Cette étude souligne la nécessité d’ajuster en continu le taux d’endettement de l’entreprise à la nature de ses actifs et de son processus de création de valeur. Il faut maintenir une adéquation car un risque de transfert de valeur vers les prêteurs reste possible.

Hubert de La Bruslerie

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