Pour aider la BCE, il faut un budget européen

Publié le 22 septembre 2023 à 17h43

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Une analyse de Jean-Paul Betbèze, Professeur émérite de l’université Panthéon Assas.

Christine Lagarde fait son possible pour atteindre 2 % d’inflation « à moyen terme », tandis que l’inflation fait, elle, son possible pour lui résister, à 5,3 %. Alors, pour ne pas perdre en crédibilité en relâchant son effort, la présidente de la BCE a monté ses taux le 14 septembre pour la dixième fois de suite, à 4,5 %. Elle sait que cela menace une croissance déjà faible : 0,7 % en moyenne pour la zone euro en 2023, 1 % en 2024, et elle pense à un mieux à 1,5 % en 2025. Elle ajoute en avoir fait assez, prévoyant alors 2,1 % d’inflation, mais il ne s’agit pas d’un pic de taux. On verra les chiffres ! Et pourtant, ce n’est pas le sujet.

Une autre question se pose en effet. Si 2 % d’inflation reste en vue dans deux ans, faut-il s’obstiner, revoir l’objectif d’inflation à 3 ou 4 %, ce qui ferait monter les taux longs et réduirait à zéro la crédibilité de la BCE, ou plutôt demander un appui budgétaire européen ? Soyons clairs : l’enjeu n’est pas de freiner davantage la demande à court terme, mais de se préparer au monde qui vient. Car il ne s’agit pas de chocs asymétriques qui touchent tel ou tel pays  : crise des finances publiques en Grèce, bulle du logement en Espagne. Ils se traitaient par des taux plus hauts dans la zone et surtout par des contraintes bancaires et fiscales locales. Il s’agit désormais de chocs symétriques qui, en plus, s’ajoutent : climat, santé, vieillissement, menaces militaires, révolution technologique, tensions géopolitiques.

La pandémie du Covid a été l’exemple même de crise symétrique. Elle a frappé à toutes les portes, sans qu’un pays soit coupable de négligence. Ne rien faire dans la zone, c’était faire peser sur chacun le risque de déflation. La demande s’effondrait, même si le déficit budgétaire augmentait, pour éviter le pire. Puis, quand la pandémie a reculé, l’épargne accumulée pendant la réclusion s’est déversée, avant que la production ne soit rétablie. Après la déflation, c’est l’inflation. Hausser les taux ? Pour produire des médicaments, des autos, de l’acier ? Non : aucune solution monétaire ne remédie aux dépendances héritées de nos achats en Chine, pour raisons de santé ou autres. Il faudra plutôt investir, ce qui impliquera plus de dépenses publiques et privées, donc des taux plus bas, mais cette fois dans un programme financé par l’Europe. Cela fut fait grâce à un programme Covid, programme qu’Angela Merkel présenta comme « einmal ». « Une fois », donc pas plus ?

Pourtant, pour lutter contre les variations climatiques et pour une énergie décarbonée, pour renforcer notre défense, pour soutenir la productivité face au vieillissement de la population et changer de philosophie par rapport à l’immigration, pour gagner dans la révolution technologique et dans les tensions Chine-Etats-Unis, il faudra d’autres programmes ! La zone euro a devant elle les six chocs symétriques mentionnés plus haut, vis-à-vis desquels elle n’est pas préparée. Pire, le système de contraintes dans lequel elle s’est bâtie est fait pour que chaque membre s’occupe de ses propres problèmes. La monnaie est unique, interdisant les dévaluations, mais c’est pour forcer au sérieux. Sans nouveau programme, les limites de déficits budgétaires individuels, les fameux 3 % de Maastricht, vont sauter, et la zone avec. Elle n’est pas optimale et politique, faite sous une influence allemande qui n’est plus, dans un monde disparu.

Bien sûr, Christine Lagarde ne dira pas qu’elle doit agir dans une zone euro qui doit investir plus et à plus long terme en fonction d’objectifs impossibles à atteindre si on la laisse sans soutien européen. Elle lance des études sur les effets du vieillissement ou de la féminisation du travail sur l’inflation, du « nearshoring » ou du « derisking », pour parler du rapprochement d’activités depuis la Chine. Mais la BCE n’est pas censée regarder à plus de deux ans !

Dans la décennie qui vient, la BCE ne peut seulement vouloir 2 % d’inflation sans programmes massifs en investissements stratégiques. Sinon, la croissance sera trop faible et la zone asphyxiée. 

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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