
Quand l’Europe s’éveillera….
En quelques jours, Donald Trump et Friedrich Merz, en dépit de leur opposition, semblent avoir fait plus pour réveiller l’Europe que des années de réunions du Conseil. Le 23 février 2025, au soir des législatives allemandes, Friedrich Merz, chef de la droite et vainqueur dans les urnes, déclare : « Ma priorité absolue sera de renforcer l’Europe le plus rapidement possible, de manière à ce que nous obtenions peu à peu une véritable indépendance à l’égard des Etats-Unis. Je n’aurais jamais cru devoir dire une telle chose […] ». Quelques jours plus tard, comme pour confirmer ces propos, le président et le vice-président américain sermonnaient Vladimir Zelenski devant les caméras du monde entier avant de retirer – provisoirement ? – leur aide militaire à l’Ukraine.
Depuis, les annonces semblant attester d’un réveil (géo)politique et économique de l’Europe se multiplient. 6 mars : la Commission lance le plan ReArm Europe qui vise à développer les capacités militaires des Etats membres et prévoit notamment 150 milliards d’euros de prêts bonifiés. 12 mars : la Commission annonce une série de mesures de rétorsion à venir – jusqu’à 26 milliards d’euros – quelques heures après la mise en place de droits de douane par les Etats-Unis sur l’acier et l’aluminium. 20 mars : le Parlement allemand adopte un plan de dépense inédit portant tant sur l’armement que l’infrastructure. Si les estimations varient quant à son ampleur (1 000 à 1 700 milliards d’euros sur 12 ans), cet agenda rompt spectaculairement avec l’orthodoxie budgétaire en vigueur outre-Rhin depuis plusieurs décennies. Au-delà du cas allemand, il indique que l’Union européenne semble parvenir enfin à dépasser le clivage entre le Nord frugal et le « Club Med » au Sud. Le Royaume-Uni lui-même sort de l’ornière du Brexit en étant partie prenante des nombreux sommets de haut niveau organisés sur l’avenir de l’Ukraine.
D’importantes incertitudes
Pourtant, le réveil prophétisé de l’Europe demeure encore incertain. Dans le détail, chacune des mesures annoncées soulève en effet d’importantes incertitudes. Le plan ReArm se révèle d’une portée limitée pour les pays déjà endettés, à commencer par la France et l’Italie, qui craignent moins la procédure de déficit excessif qu’une hausse des taux d’intérêt sur les marchés qui résulterait d’un accroissement de leur déficit public. Les mesures de rétorsion commerciale ont fait l’objet d’un lobbying tel de la part de certains secteurs que la Commission a décidé de reporter la première vague de sanctions qui était prévue pour début avril. Enfin, et surtout, le brusque aggiornamento allemand est loin de faire disparaître les lignes de clivage internes à l’Union. La fracture entre frugaux et dépensiers subsiste comme l’illustre l’opposition entre les Pays-Bas et la France sur un nouvel emprunt européen en matière de défense. Elle se double de la multiplication des clivages, par exemple entre l’Est et l’Ouest s’agissant de la nécessité de relancer les dépenses d’armement, ou encore selon le niveau de fermeté à adopter à l’égard de la Russie et, désormais, des Etats-Unis. L’alignement relatif des deux grands – l’Allemagne et la France – ne doit ainsi pas masquer le fait que d’autres Etats jouent leur partition : atlantiste (Italie), anti-Poutine (Pologne), pro-Poutine (Hongrie) ou néo-pacifiste (Espagne), tandis que la Roumanie s’enfonce dans la crise politique. Bref, si l’Europe commence timidement à se réveiller, elle mérite plus que jamais sa devise : unie dans la diversité.