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Quelles préférences ESG pour les investisseurs particuliers ?
L’attitude des investisseurs particuliers à l’égard de l’ESG est encore peu connue. Une étude montre un intérêt grandissant avec l’âge, les hommes étant plus attentifs à la gouvernance que les femmes. Paradoxalement, l’éducation financière n’inciterait pas à prendre en compte les critères ESG.
Les évolutions de l’attention portée par les investisseurs institutionnels aux critères extra-financiers sont bien connues et comprises : la grande crise financière a constitué un tournant et en 2016, en France tout du moins, plus d’un institutionnel sur deux déclarait dans l’enquête Af2i qu’il se tournait vers une forme ou une autre d’investissement responsable. Mais qu’en est-il des investisseurs particuliers qui déclaraient en 2017 avoir investi 25 % en fonds compatibles ESG ? Que choisissent-ils quand ils gèrent eux-mêmes leurs portefeuilles titres ?
Dans un article récent intitulé « What drives retail portfolio exposures to ESG factors ? »*, trois chercheurs belges et français s’intéressent aux comportements des quelque 9 600 clients d’un broker belge pendant la période allant de 2003 à 2011. Ces derniers, à 92 % hommes et à 40 % parlant le français, ont effectué sur la période plus de 1,6 million d’achats de titres (pour un montant de 13 milliards d’euros), soit une médiane de deux achats par an par investisseur détenant un portefeuille médian de 4,6 titres. Sur cette période, les scores ESG (fournis par Thomson Reuters) ont couvert un nombre croissant d’entreprises allant de 60 % à 89 % des plus de mille titres détenus par les investisseurs considérés. Corrélativement, les scores ESG moyens des portefeuilles sont passés de 70 à 73 pour le facteur E, restés stables à 71 pour le facteur S et passés de 64 à 71 pour le facteur G.
Des hommes très attentifs à la gouvernance
L’analyse montre que les facteurs personnels n’influent pas sur les détentions des titres de façon uniforme, selon les critères. Par exemple, si les hommes sont très attentifs à la gouvernance, les femmes le seraient moins. L’âge s’avère être un facteur positif pour les trois critères. Le degré d’éducation et la connaissance financière seraient curieusement négatifs au contraire. L’appétit au risque serait aussi négatif comme la période de grande crise l’a montré : ces investisseurs ont moins pris en compte les facteurs extra-financiers pendant ces turbulences. Enfin, les francophones semblent porter plus d’attention aux critères ESG que les Flamands.
Cette étude, on l’aura compris, porte sur un cas particulier que l’on ne saurait généraliser trop hâtivement. Plusieurs aspects confirment des études antérieures, comme l’influence du genre. Pourtant, en ce qui concerne cette population aisée et bien instruite, les enseignements sont quelque peu déroutants. Le fait qu’une meilleure connaissance financière ait une influence négative sur les choix ESG est surprenant, illustrant peut-être un scepticisme qui s’est aussi révélé chez certains institutionnels. Que ce facteur ne soit pas une contrainte pour les moins avertis est le côté positif révélé par cette étude. Bien entendu les comportements peuvent être induits, par exemple les titres français, préférés par un biais domestique, donc plutôt choisis par les francophones, ont eu des scores ESG meilleurs sur cette période que la moyenne des autres titres détenus. C’est peut-être l’explication d’une inclinaison plus forte des francophones pour l’ESG.
Il serait évidemment très utile de connaître les comportements d’autres populations d’investisseurs individuels, en France notamment ou en Angleterre où les détentions de titres sont plus fréquentes et par une population sociologiquement plus large du fait du système de retraite. Les données de l’étude commencent à dater et l’évolution des préférences sur la même population serait également intéressante. L’utilité de mettre à disposition de chercheurs des données, anonymes bien entendu, de comportement financier est bien illustrée par cette analyse et il y a fort à parier que les attitudes ne divergent pas beaucoup d’un échantillon à l’autre, en Europe du moins. Il est intéressant de constater que les attitudes en situation de crise financière ne diffèrent pas de celles des institutionnels : lorsque les risques dominent l’environnement, les critères extra-financiers ont semble-t-il moins d’importance.
* « What drives retail portfolio exposures to ESG factors ? », Catherine D’Hondt, Maxime Merli, Tristan Roger, Financial Research Letters 2022
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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