Quelques vérités sur la dette publique française
Depuis 1981, nos gouvernements ont cédé à la facilité de l’endettement, avec une dette publique passée de 21 % du PIB au début des années 1980 à près de 100 %. La dette au sens de Maastricht, qui s’élève à 2 200 milliards d’euros au 30 septembre 2017 (soit 98 % du PIB), regroupe l’ensemble des engagements financiers des administrations publiques, et surtout de l’Etat qui à lui seul porte un endettement de 1 800 milliards d’euros. Cette dette représente six fois ses recettes annuelles budgétées pour 2018, étant rappelé que ces dernières sont réalisées avec la plus forte pression fiscale d’Europe, mettant ainsi à mal la compétitivité de nos entreprises et la position extérieure de la France (déficit de la balance commerciale de 62 milliards d’euros en 2017).
Il s’agit certes d’une dette brute non corrigée des actifs possédés. Mais la dette financière de l’Etat, nette des actifs financiers, s’établissait au 31 décembre 2016 à 89 % du PIB, et il ne serait pas pertinent de déduire de la dette publique, qui est exclusivement financière, des actifs non financiers, d’autant que ceux-ci ne sont pas toujours rentables et ne peuvent être vendus facilement. Surtout, la dette annoncée ne comprend pas la partie des engagements hors bilan qui deviendra exigible progressivement, dont les engagements de retraite des fonctionnaires et assimilés non provisionnés (2 350 milliards d’euros en «annexe» au bilan de l’Etat à fin 2016) et les dettes de divers organismes publics (SNCF, RATP, Unédic, etc.) que l’Etat sera bien obligé de reprendre un jour à son compte.
Malgré les hausses de ces quasi-dettes mises sous le tapis, le déficit public continue de gonfler. Prévu initialement à 69,3 milliards d’euros par la loi de finances pour 2017, il est aujourd’hui estimé à 76,6 milliards d’euros pour 2017 et à 82,9 milliards d’euros pour 2018, alors même que la croissance a connu un rebond significatif en 2017. Selon la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, la dette va continuer de croître, alors que celle des pays de la zone euro baisse. Le déficit public est encore attendu à 2,9 % en 2019, avant de chuter en seconde partie de quinquennat. La trajectoire des finances publiques ainsi retenue est irréaliste. Pourquoi ne pas profiter de l’amélioration de la conjoncture, qui n’aura qu’un temps, pour commencer enfin à réduire la dépense publique ? Cette renonciation est d’autant plus surprenante que les dépenses régaliennes (défense, sécurité, justice) sont appelées à augmenter.
Un endettement public important est acceptable s’il sert à financer des investissements à effet de levier susceptibles de produire un retour de revenus et de richesses, mais ce n’est plus le cas. L’endettement actuel sert surtout à couvrir des salaires, des frais généraux et une bureaucratie de plus en plus pesante, bref à couvrir de la consommation publique. Selon l’économiste Patrick Artus, c’est la capacité d’investissement des administrations publiques qui est grevée par cette «mauvaise dette». La soutenabilité de notre dette repose pourtant, en dernière analyse, sur l’économie marchande et sur la valeur ajoutée qu’elle dégage, qui pour l’essentiel est le fait des entreprises.
La loi de finances pour 2018 prévoit de nouveaux emprunts à hauteur de 120 milliards d’euros pour rembourser les emprunts échus, auxquels il faut ajouter 80 milliards d’euros pour couvrir le déficit prévisionnel de l’Etat. Notre pays recourt toujours plus à la cavalerie budgétaire, comme le rappelait Philippe Marini : «Que l’on cesse enfin de faire de la cavalerie en empruntant de nouveau pour rembourser les emprunts qui financent les dépenses de fonctionnement.» L’argent bon marché a malheureusement agi comme un anesthésiant. Mais attention, la hausse des taux de refinancement de l’Etat, qui s’est amorcée début février, aura un effet mécanique sur le coût de notre dette. L’Agence France Trésor a calculé qu’une hausse de 1 % augmenterait la charge de la dette de 2,1 milliards d’euros la première année et de 6,9 milliards d’euros au bout de trois ans.
Si la confiance des marchés financiers commençait à s’éroder, dans un contexte de retour de l’inflation et de resserrement monétaire, l’Etat français n’aurait guère de marge de manœuvre pour éviter le dérapage du déficit public. La progression de la dette française deviendrait alors un obstacle majeur pour que les Etats européens puissent s’entendre sur l’architecture qu’ils souhaitent à terme pour la zone euro afin d’assurer la pérennité de la monnaie commune. Il est temps de concrétiser les ambitions affichées par Emmanuel Macron en termes de retour à l’équilibre des comptes publics. C’est à l’aune de la définition des missions de l’Etat et de l’efficacité de la dépense publique que sera jugée, sur la durée, son action transformatrice.
Jean-Louis Mullenbach est membre de la DFCG et co-président du comité éditorial de Vox-Fi