Tournant ou accélération ?

Publié le 22 octobre 2013 à 17h35    Mis à jour le 30 avril 2014 à 18h29

Anton Brender

Pour l’économie française, la différence importe assez peu. Ce qui compte est que le président Hollande vient de proposer une baisse non négligeable du coût du travail. A défaut de pouvoir décider une baisse des salaires, ce sont les cotisations sociales payées par les employeurs qu’il a choisi de réduire. Parallèlement, pour que cette diminution du prélèvement public ne se traduise pas par une dégradation du solde budgétaire, les dépenses publiques seront diminuées à même hauteur. Comme la première, cette mesure suscite débat, à gauche en particulier. Pourtant, contester le besoin de rationalisation et de réduction de notre dépense publique est aujourd’hui difficile. Ce qui par contre peut poser question est l’opportunité de cette réduction dans une économie où l’activité peine à reprendre. Si les mesures annoncées doivent être neutres pour l’équilibre budgétaire, le seront-elles aussi pour la conjoncture ?

Là bien sûr est le pari de la stratégie présidentielle : en annonçant une baisse du coût du travail, le président espère provoquer un «choc d’offre» suffisant pour compenser l’effet négatif sur la demande des mesures qui vont le financer, voire pour accélérer la reprise. Que les organisations patronales aient, presque unanimement, salué ces annonces ne suffira pas à faire que le pari soit gagné. Certes, ces mesures vont aider les entreprises à redresser un taux de marge dont la dégradation s’est, pour la moyenne d’entre elles au moins, fortement accentuée depuis 2008. Les conduiront-elles pour autant à créer plus d’emplois ? Pour beaucoup d’entreprises, on peut en douter : la baisse de la part des profits dans leur valeur ajoutée est largement due au fait qu’elles n’ont pas pleinement ajusté l’emploi à la baisse de leur activité.

Payer moins de cotisations sociales leur évitera peut-être d’avoir à le faire maintenant, voire évitera à certaines de disparaître ; mais cette mesure a peu de chances de les amener rapidement à recruter. Pour d’autres, la hausse des coûts salariaux unitaires provoquée par la récession a déjà été corrigée, sans pour autant que leurs taux de marge ne se rétablissent. Une tendance à l’œuvre depuis le début des années 2000 l’explique : la crise a accentué l’évolution défavorable des prix auxquels elles vendent leurs productions. Dans une conjoncture fortement déprimée, leur incapacité à faire progresser leurs prix au même rythme que l’inflation a conduit à une baisse profonde de leurs taux de marge. A ces entreprises aussi, l’allégement du coût du travail va donner un peu d’oxygène.

Pour qu’elles décident d’investir et de recruter, il faudra toutefois que leurs perspectives s’améliorent nettement : un rebond de l’activité est ici nécessaire. Or on voit mal comment, à l’horizon des prochains mois, les dépenses des ménages pourraient l’enclencher : le pari de François Hollande ne pourra être gagné sans une accélération de la croissance de nos partenaires commerciaux, européens en particulier. Ce débat sur les effets conjoncturels des mesures annoncées ne doit toutefois pas en faire oublier un autre. Comment faire pour que, demain, nos entreprises soient capables de vendre leurs productions, et donc en même temps notre travail, plus cher ? Car, si elles n’y parviennent pas, l’érosion du «taux de marge» reprendra et, pour éviter que le chômage ne monte, une nouvelle baisse du coût du travail sera nécessaire.

Dire à nos entreprises qu’il ne faut pas y compter serait un premier pas. Mais il faut aller plus loin. F. Hollande le sait quand il dit vouloir agir sur l’offre, non seulement pour «produire plus», mais bien aussi pour «produire mieux». Améliorer la qualité de la production est bien sûr l’affaire des entreprises : leurs choix de production, leurs investissements, leur capacité à innover sont ici décisifs. Mais produire mieux ne dépend pas des entreprises seules : la formation de notre main-d’œuvre, nos infrastructures, les politiques menées au niveau national et régional, l’intelligence du dialogue social, etc. y contribuent tout autant. De ce point de vue, la faiblesse structurelle de nos entreprises à défendre leurs marges est la sanction de tout ce qui, depuis de longues années, n’a pas été suffisamment bien fait dans tous ces domaines. Il nous faut en avoir conscience si nous voulons que, demain, le prix de notre travail puisse à nouveau progresser.  

Anton Brender

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