S’agissant des auditeurs et des experts-comptables, le déséquilibre entre candidats et recruteurs persiste en faveur des premiers. Si 71 % des postulants trouvent un emploi en moins d’un mois, seuls 6 % des cabinets parviennent à recruter un nouveau collaborateur dans un délai aussi restreint. Cette pénurie de candidats s’explique notamment par la dégradation de l’image des cabinets d’expertise comptable auprès des jeunes, qui refusent notamment de se spécialiser en comptabilité générale.
A l’heure où le marché de l’emploi des cadres semble trouver un nouvel équilibre, avec une pénurie de talents en passe de se résorber, les métiers de l’audit et de l’expertise comptable font exception. Selon la dernière enquête Hays, si 48 % des collaborateurs envisagent une carrière à long terme dans la profession comptable, 22 % n’y voient pas d’avenir. En cause : une profession qui a connu un grand bouleversement lors de la crise sanitaire et qui, depuis, peine à redresser la barre. « Beaucoup de cabinets ont pressurisé leurs collaborateurs lors de la crise sanitaire. Désormais, les candidats réclament un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et font valoir le droit à la déconnexion », constate Julia Schneider, manager executive senior, Hays Accountancy & Finance.
Une pression qui, selon certains experts, remonte bien avant la crise sanitaire. « Depuis dix ans, les cabinets d’audit et d’expertise comptable peinent à recruter, constate Alexandre Ricard, fondateur du cabinet Elma Recrutement. Les cabinets d’expertise comptable ont connu un âge d’or durant lequel ils étaient considérés comme la voie royale pour commencer une carrière. Il n’y avait alors aucune pénurie. Ils ont profité de cette période faste, en rognant sur les rémunérations et les conditions de travail. A force de tirer sur la corde, ils font face à d’importantes difficultés de recrutement. Il y a aujourd’hui un réel problème d’image. »
«Au bout de quatre à cinq années, un écart se creuse entre les cabinets et les entreprises du fait de la faiblesse de la rémunération variable dans les premiers. Cela amène les candidats à postuler ailleurs.»
Une inflation des salaires à l’embauche
Le vivier de talents disponibles restant trop faible au regard de la demande, les experts du recrutement procèdent par approche directe pour séduire les candidats. Les profils les plus rares sont les spécialistes de la comptabilité générale, un domaine aujourd’hui délaissé par les juniors. « Les jeunes générations ne souhaitent pas passer par les tâches ingrates et veulent aller directement vers le conseil, c’est-à-dire des missions à forte valeur ajoutée », constate Julia Schneider. En conséquence, les salaires à l’embauche flambent. En région parisienne, un junior est rarement embauché en dessous de 38 000 euros bruts annuels. « Nous avons récemment accompagné un candidat qui totalisait seulement quatre années d’expérience en expertise comptable. Il est parvenu à négocier son embauche à 65 000 euros annuels, plus une prime de 9 000 euros, soit largement au-dessus du marché », détaille Julia Schneider.
Des niveaux de salaires qui peuvent créer des disparités fortes avec les collaborateurs en poste et pousser ces derniers à chercher ailleurs. Pour pallier ces dérives, Julia Schneider souligne la nécessité de mettre en place des grilles salariales. « Les Big Four ayant des grilles salariales fixes, cela permet de ne pas créer de trop grands déséquilibres entre les nouvelles recrues et les personnes en poste. »
Des bonus dérisoires
Malgré les salaires élevés à l’embauche, la question de l’intéressement reste essentielle. Selon l’enquête Hays, moins de la moitié des professionnels interrogés (43 %) estiment être payés à leur juste valeur. Si 81 % des sondés sont intéressés aux résultats, les bonus reçus sont dérisoires : 4 % des salariés estiment toucher un package de moins de 1 000 euros annuels, là où les employeurs estiment verser entre 1 000 et 3 000 euros. Des niveaux dérisoires, en comparaison des avantages perçus au sein des grands groupes. « Cette politique de rémunération a sans conteste un impact sur la fidélisation des collaborateurs, explique Alexandre Ricard. Au bout de quatre à cinq années, un écart se creuse entre les cabinets et les entreprises du fait de la partie variable. Cela amène les candidats à postuler ailleurs. »
Autre élément significatif, la perception du rapport entre rémunération perçue et travail fourni. « Les candidats estiment qu’en étant expert-comptable au sein d’une grande entreprise, la charge de travail est moindre qu’en cabinet et la rémunération y est plus élevée », poursuit Julia Schneider.
Des avantages salariés
Pour capter et fidéliser les talents, les cabinets tentent de jouer sur d’autres paramètres tels qu’une meilleure attention portée aux collaborateurs et un accès facilité au télétravail. Tous les experts du recrutement le constatent : ne pas accorder de télétravail est aujourd’hui devenu mission quasi impossible. « Le must étant deux jours par semaine », souligne Julia Schneider. Si les cabinets d’expertise comptable ont intégré le télétravail à marche forcée à l’occasion de la crise sanitaire, la pratique est aujourd’hui entrée dans les usages des cabinets. « Ce sont des métiers qui se prêtent bien au travail à distance », relève Alexandre Ricard. Les équipes RH sont également un atout pour les avantages salariés et, en ce sens, les Big Four se distinguent, avec des équipes People dédiées au bien-être des salariés et aux avantages collaborateurs. Face à la pénurie de talents, KPMG France a mis en place la semaine parentale de quatre jours qui permet aux collaborateurs devenus parents de travailler à 80 %, tout en percevant 100 % de leur salaire durant une période limitée.
Néanmoins, ces mesures ne suffisent pas à capter les talents qui vont préférer des cabinets à taille humaine. « Il existe encore de grands cabinets au sein desquels les collaborateurs sont extrêmement pressurisés. C’est donc assez compliqué d’envisager une longue carrière dans ces structures », constate Alexandre Ricard.
Les Big Four restent alors considérés comme des rites de passage. « Par exemple, avant de rejoindre une entreprise du SBF 120, des candidats vont choisir de faire une courte expérience au sein des Big Four afin de se muscler sur certaines compétences », explique Alexandre Ricard.
Des écarts de salaires toujours élevés entre l’Ile-de-France et les régions
C’est l’Île-de-France qui affiche les salaires les plus élevés. Pour un collaborateur comptable avec moins de deux ans d’expérience, l’embauche a lieu à partir de 38 000 euros annuels, contre 27 000 euros annuels en moyenne en région. Un auditeur junior, avec moins de deux ans d’expérience, se verra proposer une rémunération entre 38 000 et 43 000 euros en Île-de-France, contre 27 000 à 30 000 euros en région.