Plusieurs grands établissements bancaires viennent d’annoncer des suppressions de postes massives au sein de leurs activités de financement et d’investissement (BFI). Les collaborateurs concernés peuvent se retourner vers quelques banques d’affaires de taille moyenne qui envisagent d’en profiter pour renforcer leurs équipes. Mais leurs perspectives restent plus nombreuses dans la gestion d’actifs, le private equity ou encore les directions financières.
Une centaine de postes supprimés chez Société Générale, près de 700 chez BNP Paribas, quelques dizaines qui le seraient dans d’autres banques étrangères présentes à Paris… Ces dernières semaines, les mauvaises nouvelles se sont accumulées sur le marché de l’emploi pour les banquiers français opérant dans les activités de financement et d’investissement (BFI). Et à en croire une étude récente de JP Morgan, cette tendance pourrait se poursuivre dans les prochains mois. Dans un contexte de taux bas, qui tend à éroder leur rentabilité, et d’inflation de textes réglementaires, qui alourdit leurs frais, la majorité des établissements devrait en effet continuer d’alléger leurs effectifs, tant dans la banque de détail que dans la BFI.
Même si les établissements bancaires ont assuré qu’il n’y aurait pas de licenciements, de nombreux banquiers ont d’ores et déjà commencé, face à un environnement peu porteur, à prospecter.«Depuis le début de l’année, nous avons reçu 30 % à 40 % de CV de banquiers en plus que d’ordinaire, que ce soit dans le cadre de démarches spontanées ou de réponses à des offres», illustre Thierry Mageux, directeur business development chez Robert Half. Un regain de candidatures également constaté par d’autres cabinets de recrutement. Problème : cet afflux de postulants, amené à croître à l’avenir, pourra difficilement être absorbé sur le seul marché français. «Il n’y aura clairement pas de places pour tout le monde, prévient un chasseur de têtes. En particulier, les traders vont avoir beaucoup de mal à se reclasser, d’autant plus que les offres ne sont pas légion à Londres non plus.»
Des postes à pourvoir dans les family offices
Pour autant, des opportunités existent pour d’autres profils, y compris dans le monde de la banque. Quelques banques d’affaires et boutiques, en quête de gains de parts de marché, restent à l’affût.
«Nous n’excluons pas de profiter des départs à venir pour renforcer nos équipes en charge du M&A et des marchés de capitaux», témoigne par exemple Nadine Veldung, managing partner chez Oddo & Cie. Mais de tels débouchés devraient rester limités. En revanche, davantage d’offres seraient en ce moment à pourvoir au sein d’autres types d’institutions financières. C’est d’abord le cas dans la gestion d’actifs. «Même si la transition n’est pas toujours facile, des vendeurs obligataires peuvent devenir commerciaux auprès de la clientèle institutionnelle, indique Thierry Mageux. Alors que nous avons géré sur les douze derniers mois une quinzaine de mandats portant sur cette catégorie de postes, ce type de profils peut tout à fait séduire les sociétés de gestion.» Pour des collaborateurs plus seniors, la gestion privée peut aussi constituer un débouché. A l’image du recrutement fin février d’un ancien banquier de Lazard (Alexandre Benais) par la famille Bettencourt-Meyers pour prendre la direction de son holding patrimonial Thétys Invest, d’autres banquiers seraient ciblés pour rejoindre des family offices. «Sont concernés des collaborateurs bénéficiant d’une dizaine d’années d’expérience environ, poursuit Thierry Mageux. En outre, ceux-ci doivent être assez généralistes, leur rôle dans le family office consistant le plus souvent à sélectionner les meilleurs supports d’investisseurs parmi une diversité de produits.»
Plus profond, le marché du capital-investissement pourrait aussi attirer de nombreux professionnels. Selon plusieurs cabinets, une centaine de postes au moins à pourvoir à ce jour ! Un constat qui s’explique par l’abondance de liquidités à investir du côté des fonds, entretenue par les bonnes performances de cette classe d’actifs (environ 10 % de rendement moyen en 2015). «Les profils bancaires d’analystes en M&A, relativement juniors, sont les plus prisés», précise Thierry Mageux.
Des départements de directions financières corporate intéressés
Les membres de BFI suscitent également de vives marques d’intérêt dans l’univers corporate. D’une part, cette situation s’applique aux fintechs.
«Depuis le début de l’année, près d’un quart de nos mandats de recrutement de profils bancaires émane de leur part, souligne Anne-Sophie Luçon, manager exécutif senior chez Michael Page. Même si cette tendance concerne tous les métiers de la banque, le fait qu’un nombre croissant de ces start-ups se positionne sur des services de plus en plus structurés renforce leurs besoins de spécialistes de BFI (voir Option Finance n° 1366).» Là aussi, les candidats jouissant d’une séniorité de quelques années seulement sont privilégiés, essentiellement pour une raison de coûts.
D’autre part, les ETI et les grands groupes font figure de recruteurs potentiels. Dans un contexte de reprise des opérations de fusions-acquisitions, certaines directions financières cherchent en effet à renforcer leurs équipes en charge du M&A. «Plusieurs sociétés ont récemment embauché d’anciens banquiers d’affaires, à l’instar de Sanofi, Elior, Kering ou encore Schneider Electric, et nous sommes actuellement en passe de finaliser le recrutement d’un responsable en M&A pour une entreprise du SBF 120, rappelle Axel de Schietere, principal chez Heidrick & Struggles. D’autres mouvements comparables devraient suivre.»En majorité, ceux-ci devraient concerner des fonctions intermédiaires, peu de postes de directeurs M&A étant vacants au sein des sociétés non financières.«Les demandes ciblent principalement des analystes en fusions-acquisitions, forts de trois à huit ans d’expérience», informe Mikael Deiller, executive manager chez Michael Page.
Outre le M&A, des perspectives s’ouvrent en ce moment dans les départements dédiés à la communication financière. «Qu’il s’agisse de groupes déjà cotés souhaitant renforcer leurs équipes ou de sociétés se préparant à la cotation, les relations investisseurs constituent une autre voie possible pour des banquiers, assure Thierry Mageux. Il peut s’agir d’une passerelle intéressante pour les analystes sell-side notamment.» Après Showroomprivé, qui vient de recruter Thomas Kienzi (ex-Morgan Stanley), plusieurs groupes envisageraient de faire de même. Enfin, même si de tels exemples sont encore rares, quelques directions en charge de la trésorerie pourraient accueillir des collaborateurs de BFI. «Sous l’effet de l’environnement de taux bas, des problématiques de gestion du cash se posent inévitablement dans les banques comme dans les entreprises corporate, remarque Mikael Deiller. Afin d’y répondre, certains groupes pourraient chercher à attirer ce genre de profils.» De bon augure pour les spécialistes en cash management…
Des sacrifices en termes de salaires
Quelle que soit la voie pour laquelle opteront les banquiers concernés, leur choix devrait, sauf exception, se traduire par une perte de revenus. «Alors que la part variable versée aux banquiers de BFI peut représenter jusqu’à 100 % de leur part fixe, ceux-ci ne retrouveront pas de telles conditions ailleurs», prévient Axel de Schietere. Selon l’expérience des collaborateurs, leur nouveau poste et la société qu’ils rejoindront, la baisse de rémunération mesurée par les chasseurs de têtes devrait s’établir le plus souvent dans une fourchette de 10 % à 40 %. Si les salaires proposés dans le private equity se rapprochent le plus de ceux offerts dans les BFI, les mécanismes de rémunération complémentaire mis en place dans les entreprises corporate peuvent, sur le moyen ou long terme, compenser le différentiel. «Grâce aux dispositifs de participation et/ou d’intéressement, auxquels peuvent s’ajouter des outils de motivation (stock-options, bons de souscription d’action, actions gratuites), ce dernier peut facilement être rattrapé dans les grands groupes sur un horizon de quatre à cinq ans», indique Axel de Schietere. Dans les fintechs, ces avantages peuvent prendre la forme de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), dont les modalités d’attribution ont été assouplies avec la loi Macron. Gare cependant aux candidats à ne pas être trop gourmands. En raison de l’arrivée massive de postulants sur le marché, leurs marges de négociation sont, aux dires des recruteurs, extrêmement réduites.
De nouveaux profils recherchés dans les BFI
- En dépit des nombreuses suppressions d’emplois en cours, les départements de financement et d’investissement restent à ce jour une source potentielle de débouchés. «Même si la plupart des BFI coupent dans leurs effectifs, notamment dans leurs activités de taux, elles créent en parallèle de nouveaux postes», signale Anne-Sophie Luçon, manager exécutif senior chez Michael Page.
- Les BFI recherchent des spécialistes en risques et conformité, mais aussi des collaborateurs affichant des compétences dans le digital et la technologie, comme par exemple des «data scientists» et des experts en blockchain. Plusieurs dizaines de postes de ce type seraient actuellement à pourvoir. Les ingénieurs et informaticiens sont particulièrement ciblés.
Des difficultés d’adaptation
- Quitter le monde de la banque d’investissement pour celui de la gestion d’actif n’est pas toujours une chose aisée. «En rejoignant une société de gestion ou un fonds de capital-investissement, les collaborateurs concernés doivent se sortir d’une “culture du deal” qui était la leur jusqu’alors pour parvenir à nouer une relation de plus grande proximité et de long terme avec les clients, insiste Thierry Mageux, directeur business development chez Robert Half. Pour certains candidats, une telle adaptation peut être délicate.»
- Pour des raisons similaires, le passage de la BFI vers la direction financière d’entreprise est également parfois compliqué. «Consciente de ce phénomène, une partie du monde corporate est réticente à l’idée d’accueillir un ancien banquier», prévient à ce titre Mikael Deiller, executive manager chez Michael Page.