Organisation

Cabinets d’audit : le télétravail n’a plus vraiment la cote

Publié le 17 janvier 2025 à 7h00

Arnaud Lefebvre    Temps de lecture 8 minutes

Après s’être généralisé durant la pandémie de Covid-19, le recours au télétravail s’est depuis imposé comme une pratique reconnue au sein de la plupart des cabinets d’audit. Si ces derniers y voient un facteur d’attractivité dans le cadre de leur politique de recrutement et de rétention des talents, beaucoup cherchent toutefois à en restreindre l’usage.

L’annonce de PwC UK n’avait pas manqué de faire grand bruit. En septembre dernier, la branche anglaise du Big avait en effet prévenu ses auditeurs qu’elle contrôlerait leurs ordinateurs à compter de ce début d’année 2025, de manière à s’assurer qu’ils ne télétravaillent pas plus de deux jours par semaine. Intervenue dans un contexte plus global de remise en cause du télétravail par plusieurs grands groupes internationaux de tous secteurs (Amazon, Tesla…), la décision de PwC UK reste encore largement isolée dans l’univers de l’audit, outre-Manche comme ailleurs. Pour autant, force est de constater qu’elle reflète la volonté de nombreux cabinets, y compris en France, d’encadrer plus strictement cette pratique.

Jusqu’à deux jours par semaine

Cette dernière, qui s’est généralisée dès 2020 au plus fort de la pandémie de Covid-19, était jusqu’alors confidentielle dans cette industrie. C'est donc peu dire que son essor a bouleversé les habitudes des professionnels. « Le télétravail n’est clairement pas dans notre ADN, mais nous avons dû nous adapter d’abord face à la situation sanitaire, puis face aux pressions de nombreux collaborateurs qui ont insisté pour son maintien », témoigne l’un d’eux. A la sortie des dernières mesures de confinement, en juin 2021, « les cabinets d’audit ont établi une forme de charte de télétravail qui, le plus souvent, donne aux auditeurs la possibilité d’être en télétravail deux jours par semaine », informe Jean-François Gajewski, professeur des Universités en Finance (Université Jean Moulin Lyon 3 et IAE Lyon School of Management) et responsable scientifique d’un projet de recherche en cours au sein de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Réalisée avec deux autres chercheurs, Claire Bassin et Prince Teye, cette étude porte sur le comportement des auditeurs en télétravail. De telles chartes existent surtout dans les plus grands cabinets. « Chez les Big, deux jours de télétravail par semaine sont en règle générale accordés, corrobore Borhane Abro, senior associate Finance et Comptabilité chez Michael Page. Cet avantage est souvent inscrit dans les accords d’entreprise et les contrats de travail. »

Une recherche de flexibilité

«La flexibilité offerte par le poste reste, juste après la rémunération, le deuxième critère le plus important aux yeux des candidats.»

Borhane Abro senior associate Finance et Comptabilité ,  Michael Page

Sur ce plan, les grands acteurs n’ont toutefois pas des approches totalement homogènes, certains préférant conserver davantage de latitude. « A l’issue des périodes de confinement, nous avons voulu préciser les règles d’usage en matière de télétravail, mais il n’existe pas de contractualisation particulière avec nos collaborateurs », signale Nicolas Piofret, associé et membre du comité de direction audit, en charge des talents chez KPMG. Dans les cabinets de plus petites tailles, la politique applicable dans ce domaine est, très souvent, davantage informelle. « Dès qu’un auditeur souhaite, pour un motif personnel (rendez-vous médical, intervention d’un professionnel à son domicile…), travailler depuis chez lui, nous l’y autorisons dans la mesure du possible », témoigne Vianney Declemy, expert-comptable associé au sein du cabinet Aequitas Expertise & Conseil/Audit, basé dans le nord de la France (près de 80 collaborateurs, dont 25 auditeurs) et où une charte d’entreprise relative au télétravail est signée avec les salariés.

De nombreux déplacements

«Lorsque les auditeurs ne sont pas en déplacement chez les clients, nous leur demandons d’être présents au bureau, ce dans une logique de créer de l’émulation entre les équipes.»

Vianney Declemy associé ,  Aequitas

Dans les faits, le télétravail tend néanmoins à rester limité : en moyenne, il est plutôt mis en oeuvre moins de deux jours par semaine. Il est même exceptionnel dans  de nombreux cabinets. Hormis dans les plus petites structures, cette situation ne s'explique pas par un manque d'équipements.  Depuis la pandémie de 2020-2021, les acteurs du secteur ont significativement investi pour permettre à leurs salariés d'opérer  depuis leur domicile dans des conditions de travail et de sécurité éprouvées.  Dans le cadre de leurs travaux, Jean-François Gajewski, Claire Bassin et Prince Teye relatent par exemple que certains d'entre eux se sont dotés de systèmes de drones et de robots pilotés à distance afin de mener les tâches d’inventaire. Dès lors, la faible percée du télétravail résulterait avant tout de deux facteurs, dont le premier est inhérent au métier. « La proximité avec nos clients étant essentielle, les auditeurs sont très souvent en déplacement chez eux, poursuit Vianney Declemy. Lorsque ce n’est pas le cas, nous leur demandons d’être présents au bureau, ce dans une logique de créer de l’émulation entre les équipes. » Chez KPMG, le son de cloche est identique. « Le recours au télétravail est possible dès lors qu’il ne s’oppose pas, d’une part, aux besoins de nos clients, et, d’autre part, à la vie d’équipe et au développement des compétences de nos auditeurs, notamment les plus juniors », abonde Nicolas Piofret. Si l’argument relatif à la perte de créativité et de productivité est souvent avancé par les détracteurs du télétravail, il semble particulièrement s'appliquer en matière d’audit. « L’esprit critique est un comportement clé en audit, qui est même évoqué dans le code de déontologie, relève Jean-François Gajewski. Or cet esprit critique est souvent transmis, consciemment et inconsciemment, par les supérieurs aux collaborateurs. » Dès qu’il y a une séparation physique entre ces deux catégories d’acteurs, la transmission s’en trouve mécaniquement altérée, poursuit l’enseignant. « C’est pourquoi les auditeurs en cabinet craignent alors qu’un recours massif au télétravail puisse avoir un effet néfaste. »

Pas de consensus chez les candidats

«Contrairement à certaines idées reçues, la plupart des auditeurs juniors affichent leur préférence, lorsqu’ils ne sont pas dans les locaux de nos clients, pour travailler dans nos bureaux et, ainsi, pouvoir se former auprès de leurs collègues et managers.»

Nicolas Piofret associé ,  KPMG

La seconde explication de ce moindre attrait pour le télétravail tiendrait aux attentes des auditeurs, en particulier des plus juniors d’entre eux. « Contrairement à certaines idées reçues, la plupart des auditeurs juniors affichent leur préférence, lorsqu’ils ne sont pas dans les locaux de nos clients, pour travailler dans nos bureaux et, ainsi, pouvoir se former auprès de leurs collègues et managers », assure Nicolas Piofret. Il n’empêche, le sujet ne manque généralement pas d’arriver en tête de liste durant les entretiens d’embauche. « La flexibilité offerte par le poste reste, juste après la rémunération, le deuxième critère le plus important aux yeux des candidats », pointe en effet Borhane Abro. Pour les cabinets incapables de rivaliser avec les propositions salariales offertes par le Big 5 (EY, PwC, Deloitte, KPMG et BDO), orientées à la hausse depuis quelques années (voir encadré), la thématique du travail à domicile n’est donc visiblement pas près de disparaître de sitôt.

Des rémunérations orientées à la hausse

- Entre le remplacement de collaborateurs promus ou cessant leur activité professionnelle, celui de salariés partis chez des concurrents ou encore la volonté de renforcer les équipes existantes pour accompagner la croissance du cabinet, les auditeurs demeurent toujours autant recherchés. « Du côté des employeurs, qui peinent souvent à disposer d’effectifs suffisants durant la période fiscale, la demande reste forte, tant pour des profils seniors que juniors », fait en effet remarquer Borhane Abro, senior associate Finance et Comptabilité chez Michael Page, dont le constat est notamment partagé par les équipes dirigeantes de KPMG France. Parallèlement, les candidatures ne suivent toutefois pas toujours. « Du côté des candidats, la quête d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle tend à se traduire, surtout chez les jeunes de la Génération Z (fin des années 1990-début des années 2010), par un moindre intérêt pour le métier », confirme Borhane Abro.

- Face à ce déséquilibre (structurel ?) entre l’offre et la demande, les cabinets n’ont donc souvent pas d’autres choix que de revoir leurs propositions salariales à la hausse. Fluctuant selon la formation du candidat, la rémunération d’un auditeur junior s’établit ainsi aujourd’hui dans une fourchette moyenne comprise entre 37 000 et 40 000 euros par an selon Michael Page, contre 34 000-37 000 euros il y a deux à trois ans. A cela s’ajoute de plus en plus souvent, dans les structures de plus grande taille, la mise à disposition de salles de sport dans les locaux ou, à défaut, la prise en charge partielle ou totale d’abonnements dans des clubs de fitness. Certains cabinets commencent également à élargir le périmètre d’intervention des auditeurs, à l’instar de KPMG qui leur permet progressivement d’accompagner les clients sur les problématiques extra-financières.

L'info financière en continu

Chargement en cours...

Dans la même rubrique

Salaires dans la finance : le retour de la modération

Après plusieurs années de forte croissance des rémunérations, les salaires des métiers de la finance...

Directeurs financiers : un rôle croissant dans la mise en œuvre des PSE

Dans un contexte économique de plus en plus incertain, les directeurs administratifs et financiers...

RSE : l’administrateur indépendant, un rouage essentiel de la gouvernance

L’entrée en vigueur de la directive CSRD place la durabilité en tête des enjeux de gouvernance des...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…