Parité

Cadres dirigeants : une féminisation qui tarde

Publié le 16 novembre 2023 à 8h30

Chloé Consigny    Temps de lecture 6 minutes

Si les femmes sont globalement à parité avec les hommes dans la fonction finance, elles restent sous-représentées dans les plus hautes fonctions. Pourtant selon la loi Rixain, la part de personnes de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les instances dirigeantes ne pourra être, à compter du 1er mars 2026,  inférieure à 30 %.

Il existe à travers le monde quelques rares femmes à la tête de grands établissements bancaires et financiers. Mary Callahan Erdoes a été nommée, dès 2009, directrice générale de JP Morgan Asset and Wealth Management. Plus récemment, en 2021, Citigroup se dotait d’une femme pour CEO en la personne de Jane Fraser, tandis que Adena Friedman devenait en janvier 2017, PDG du Nasdaq, soit la première femme au monde à diriger un groupe boursier. Malgré ces quelques exceptions, les femmes restent très largement sous-représentées à la direction des grands groupes. Qu’en est-il au sein de la fonction finance ?

Selon une étude menée par le cabinet de conseil Deloitte dans 200 pays à travers le monde, « Advancing women leaders in the financial services industry, 2023 update : A global assessment », la part des femmes dans les hautes fonctions de la finance progresse et devrait continuer de progresser. Si, en 2023, elles ne représentent que 18,4 % des C-suites (cadres supérieurs, de niveau dirigeant), elles pourraient atteindre 22 % des C-suites à horizon 2031. Des chiffres en progression mais qui restent très en deçà des seuils définis par la loi Rixain, visant à une représentation équilibrée entre femmes et hommes au sein des cadres dirigeants : 30 % en 2026, puis 40 % en 2029.

En France, les effets de la loi du 27 janvier 2011, dite Copé-Zimmermann, concernant les conseils d’administration, sont réels : les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 comptent 46,4 % de femmes, une proportion qui atteint 46,3 % au sein du SBF 120, selon une étude de l’Institut français des administrateurs (IFA) et Ethics & Boards parue en mars 2023. Un chiffre à mettre en regard des 13 % de femmes seulement siégeant dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés du SBF 120 en 2010.

Néanmoins, elles restent sous-représentées dans les hauts niveaux managériaux. « Au sein des entreprises que je fréquente, je constate qu’il y a beaucoup de femmes au sein des départements financiers, explique Dominique Podesta, partner au sein du cabinet Louis Dupont, spécialisé en management de transition. Très souvent, les dirigeants se targuent d’avoir une parité totale dans la fonction finance. Néanmoins, en regardant dans le détail, il apparaît que les fonctions les plus élevées restent très majoritairement occupées par des hommes. »

«La loi Rixain trace un chemin et permet de transformer en profondeur les évolutions professionnelles en donnant davantage de place aux femmes.»

Dominique Podesta partner ,  Louis Dupont

Une loi pour les entreprises de plus de 1 000 salariés

Pour l’heure, les effets de la loi Rixain tardent à se manifester. « Il est trop tôt pour observer les effets de cette loi, d’autant que les entreprises disposent d’une marge de manœuvre pour se mettre en règle et que la loi ne concerne que les entreprises de plus de 1 000 salariés », estime Julien Lafouge, CFO de Spendesk et porte-parole de CFO Connect (voir encadré). Néanmoins, pour Dominique Podesta : « La loi Rixain trace un chemin et permet de transformer en profondeur les évolutions professionnelles en donnant davantage de place aux femmes. Il n’est pas possible de faire entrer des femmes au Comex, si elles n’ont pas auparavant été en responsabilité. Il faut donc que les dirigeants jouent le jeu. Lorsque, en tant que recruteuse, on m’oppose qu’un profil est trop junior pour monter en responsabilité, je demande alors : “Au même âge, qui vous a donné votre chance ?” Finalement le risque est toujours plus important pour le salarié que pour l’entreprise. »

Les écarts de salaires dans la fonction finance témoignent de cette moindre responsabilisation des femmes : ils sont, aujourd’hui encore, une réalité. Selon une étude menée par Spendesk en 2023 et baptisée « Les salaires de la DAF en 2023 », l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans la fonction finance est, en moyenne de 13 %. Des disparités qui diffèrent selon les zones géographiques. « Dans le rapport de l’année dernière, l’écart salarial était de 15 % en France et aux Etats-Unis, de 29 % en Allemagne, et de 30 % au Royaume-Uni, détaille Julien Lafouge. Cette année, nous notons que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont réduit leurs écarts relatifs, tandis que la disparité s’est accrue aux Etats-Unis. La France se démarque avec “seulement” 8 % d’écart de rémunération entre hommes et femmes. Dans le secteur financier, le salaire moyen d’une femme est 88 500 euros bruts annuels, contre 95 500 euros pour les hommes. »

L’étude constate par ailleurs que l’écart salarial est présent dès le début de carrière, avec une différence de salaire de 17 % entre hommes et femmes chez les jeunes professionnels sortant d’école. Même si elles ont plutôt tendance à se résorber au fil de la carrière, ces inégalités de départ perdurent tout au long de la carrière professionnelle des femmes.

Une tendance à l’autocensure

Toujours selon l’étude Spendesk, les femmes sont moins satisfaites de leur rémunération que leurs homologues masculins. Néanmoins, rares sont celles à en faire état auprès de leurs supérieurs. Elles sont également beaucoup moins à l’aise à l’idée de demander à progresser au sein des organisations. « La légitimité est acquise par le travail fourni, explique Dominique Podesta. Pourtant, je constate que les femmes sont beaucoup plus enclines à se poser la question de leur légitimité que les hommes. Si vous voulez un poste, il faut le demander. Il faut exprimer sa volonté, tout en étant prêt à accepter la réponse, car le temps de l’entreprise n’est pas nécessairement le même que celui du collaborateur. »

Les responsables ressources humaines sont en première ligne pour accompagner ces talents qui n’osent pas demander davantage de responsabilités. Pour prendre conscience de leur légitimité, il faut également qu’elles soient au fait de leur valeur. « Il est à mon sens essentiel de sensibiliser les femmes dès le début de leur carrière sur ce qu’elles peuvent demander lors des négociations salariales », ajoute Julien Lafouge. Cette sensibilisation est pour l’heure quasiment inexistante au sein des grandes écoles, où là encore, les femmes sont sujettes à l’autocensure. En effet, si les femmes représentent 50 % des effectifs des écoles de commerces, elles sont moins d’un tiers à choisir une spécialisation en finance. Conséquemment, elles sont moins nombreuses à postuler en finance et donc moins représentées aux plus hautes fonctions.

Ce que dit la loi

L’article 14 de la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, dite loi « Rixain », a étendu l’objectif de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes aux instances dirigeantes en fixant de nouvelles obligations pour les entreprises d’au moins 1 000 salariés. Ces entreprises devront compter au moins 30 % de femmes dirigeantes et membres d’instances dirigeantes à partir du 1er mars 2026 puis 40 % au 1er mars 2029. 

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