Il existe désormais plus d’un millier d’entreprises à mission au sein de l’Hexagone. Ce statut permet de distinguer les entreprises qui ont choisi de prendre en compte les impacts sociaux, sociétaux et environnementaux dans leur activité. Un choix qui exige un investissement important de la part des financiers, en termes de reporting notamment, mais leur donne une ouverture plus grande sur l’ensemble de l’entreprise et une vision beaucoup plus complète de celle-ci.
Camif, entreprise française de commerce en ligne spécialisée dans l’aménagement durable de la maison, est l’une des toutes premières à avoir obtenu le statut d’entreprise à mission. Dès 2020, soit une année après la loi Pacte, Camif opte pour ce statut. Le groupe, qui est devenu propriété de la MAIF en 2022, s’est très tôt lancé dans une réflexion autour de son engagement. « Par la voix de notre président Emery Jacquillat, nous avons très tôt pris conscience que les entreprises engagées seraient les plus performantes et les plus résilientes », se souvient Arnaud Sylvestre, directeur administratif et financier chez Camif. Il rejoint le groupe de 70 salariés en 2014. C’est à cette même date que le groupe commence ses démarches en vue d’une labélisation B-Corp. « Durant mes premières années, j’étais le fournisseur officiel de données chiffrées, souligne Arnaud Sylvestre. Mais le label B-Corp est très exigeant et il nous a amenés à changer notre reporting extra-financier. Nous avons pu alors constater que le lien entre le financier et l’extra-financier était extrêmement ténu. » La tonalité est la même du côté du cabinet de conseil Colombus Consulting qui, en 2021, est devenu entreprise à mission tout en recevant le label B-Corp.
De nouveaux reportings pour la labélisation B-Corp
Pour obtenir le label B-Corp puis le statut d’entreprise à mission, les directions financières de Camif et de Colombus Consulting ont travaillé de concert avec les autres directions. « Désormais, pour remplir l’ensemble des obligations, tous les services sont concernés et cela oblige à aller vers les autres entités de l’entreprise », relève Nathalie Sautier, DAF de Colombus Consulting. Cela a concerné aussi la production de données. « Depuis le nouveau statut, la production de données est transversale, de celles concernant notre offre de produits à la RH en passant par le contrôle de gestion », relève Arnaud Sylvestre.
Mais la direction financière a un rôle majeur dans la collecte et la structuration des données servant de base aux nouveaux reportings mis en place. « Notre rôle a été d’identifier les données à collecter, telles que la distance parcourue par chaque composant ou encore la consommation d’énergie de chaque site », explique Arnaud Sylvestre. Aux données environnementales s’ajoutent les données sociales et sociétales, liées à l’implication des entreprises dans le domaine social. Au sein de la filiale française de l’entreprise japonaise Dentsu qui s’est dotée du statut d’entreprise à mission en février 2023, la branche française offre désormais aux équipes deux journées par an dédiées à des actions de bénévolat. Un dispositif mis en place par la direction des ressources humaines et qui a finalement peu impacté le travail du pôle finance : « En pratique, cela ne change pas », explique Fréderic Labey, CFO groupe, France, MENA, Turquie, chez Dentsu. Nous avons un compte statutaire auquel s’ajoute un compte normes IFRS. Les actions sont surtout portées par les directions ressources humaines et RSE. L’impact pour la direction financière est marginal. »
«Le travail de DAF dans une entreprise à mission est à mon sens beaucoup plus complet que dans une entreprise traditionnelle.»
Un suivi constant de la mission
Si la mise en place du statut n’a pas affecté toutes les directions financières de la même façon, le suivi de la mission et l’accueil des organismes tiers indépendants les mobilisent toutes. Chaque entreprise a choisi de nommer un directeur de mission qui est également un opérationnel, chef de « business unit » par exemple chez Colombus Consulting ou encore commercial chez Dentsu. « S’agissant du contrôle qui est réalisé tous les deux ans par un organisme tiers indépendant, la direction financière est en première ligne, au même titre que les directions RH et RSE », constate Nathalie Sautier. C’est également le cas chez Dentsu. « Notre rôle va s’accélérer avec l’audit, souligne Frederic Labey. Nous avons d’ores et déjà des plénières avec le comité de direction et les collaborateurs. » Pour vérifier l’état d’avancement, la direction financière met en place les indicateurs et instaure leur suivi. De nouveaux metrics sont imaginés de concert avec les autres directions. Au quotidien, la direction financière peut également être amenée à expliquer la fin de la relation commerciale avec un fournisseur. Camif s’est par exemple engagée dans la production de meubles durables et locaux, avec 75 % de ses créations made in France (représentant 74 % du chiffre d’affaires du groupe) et 100 % de sa production fabriquée en Europe. « En arrêtant l’import hors UE, il a fallu expliquer à certains fournisseurs les raisons de la fin de la relation commerciale, explique Arnaud Sylvestre. Nous les incitons également à passer le cap en leur disant de nous recontacter si leur production est relocalisée en Europe. »
Une augmentation des interactions avec tous les pôles de l’entreprise
Un constat partagé par l’ensemble des financiers exerçant au sein d’une entreprise à mission est celui de l’augmentation de leurs interactions avec les autres pôles de l’entreprise. « Le travail de DAF dans une entreprise à mission est à mon sens beaucoup plus complet que dans une entreprise traditionnelle, explique Nathalie Sautier. C’est finalement beaucoup plus ouvert et cela permet de mieux connaître l’entreprise dans sa globalité. Nous conservons un rôle de tour de contrôle, en gardant à l’esprit l’aspect réaliste des projets, mais nous devons nous mettre à la portée des services avec lesquels nous n’avons pas l’habitude de travailler. Il est absolument impossible d’avancer en embarquant exclusivement le comité directeur. » Camif a fait du partage des données avec les équipes un impératif. « Ici, chez Camif, n’importe quel collaborateur peut vous expliquer la notion d’Ebitda, souligne Arnaud Sylvestre. En arrivant de l’audit, une telle transparence m’a beaucoup surpris. Je constate que je suis aligné avec cette façon de procéder : je n’aime pas la communication qui ne correspond pas à la réalité. » L’entreprise à mission n’est pas qu’un slogan...
Quatre étapes pour devenir entreprise à mission
C’est en 2019 que la loi Pacte introduit la qualité d’entreprise à mission, permettant à une entreprise d’affirmer publiquement sa raison d’être ainsi que les objectifs sociaux et environnementaux qu’elle entend poursuivre dans le cadre de son activité. Pour devenir entreprise à mission, l’entité doit, dans un premier temps, exprimer sa raison d’être ainsi que ses objectifs sociaux et environnementaux. Vient ensuite la phase administrative qui fait suite à la modification des statuts de l’entreprise : envoi du formulaire CERFA et transmission des nouveaux statuts au tribunal de commerce. L’entreprise entre alors dans une démarche de transformation permettant d’intégrer la mission à la gouvernance de l’entreprise, d’engager l’ensemble des parties prenantes et de traduire la raison d’être en actions concrètes. Enfin, la mission fait l’objet d’un contrôle : le comité de mission composé de membres internes et externes à l’entreprise est chargé du suivi de l’amélioration de la mission, tandis qu’un organisme tiers indépendant vérifie, tous les deux ans, l’exécution des objectifs fixés. En cas de non-atteinte des objectifs, une procédure de retrait de la qualité de société à mission peut être engagée auprès du président du tribunal de commerce compétent.