Rejoindre un cabinet de chasseur de têtes est une alternative de carrière crédible pour un financier. Il peut capitaliser sur son expérience en entreprise ou en conseil pour progresser rapidement… à condition de savoir trouver ses propres missions.
«Il est rare qu’un financier pense de lui-même à devenir chasseur de têtes, témoigne Bruno Fadda, directeur associé chez Robert Half France.Pour renforcer nos effectifs, nous trouvons le plus souvent des candidats grâce à des annonces que nous avons passées ou en sollicitant des candidats que nous avions rencontrés auparavant lors d’entretien pour un poste à pourvoir en direction financière.» Ce chasseur de tête témoigne à la fois de ce qu’il observe lorsqu’il recrute pour son cabinet, mais aussi de ce qu’il a lui-même vécu.En 1999, après sept ans de contrôle de gestion au sein du groupe Vinci puis Vivendi, une annonce publiée dans le journal pour un poste chez Robert Half attire son attention. Il est recruté et poursuit désormais, à 46 ans, sa carrière au sein du cabinet.
Une de ses consœurs, Valérie Kolloffel (50 ans), a également découvert cette profession de manière inattendue. Auditrice interne dans une filiale du groupe Accor en 1988 puis externe chez Mazars en 2000, elle rencontre en 2001 un chasseur de têtes chez Nicolas Angell lors d’une conférence. «Il m’a immédiatement convaincue : deux semaines après, je rejoignais le cabinet», se rappelle Valérie Kolloffel, associée chez Nicolas Angell. Le point commun entre ces deux profils et la très grande majorité de leurs confrères ? Une part de hasard les a amenés au poste qu’ils occupent aujourd’hui. Mais c’est bien la seule coïncidence car le métier demande des compétences et une expérience bien précises.
La première réside dans la connaissance du secteur financier. Le besoin d’avoir soi-même été financier pendant quelques années est souvent primordial, plus que dans la plupart des autres spécialités de ces cabinets de chasse. L’audit et le contrôle de gestion sont alors fortement appréciés, car jugés comme des expériences à la fois formatrice et assez transversales pour connaître les différentes fonctions d’une direction financière.«C’est indispensable de connaître les métiers de la direction financière, à la fois leurs aspects techniques et leur façon d’interagir au sein de l’entreprise, poursuit Valérie Kolloffel. Cela permet d’évaluer les compétences des candidats mais aussi de bien cerner les besoins des recruteurs.» L’expérience est alors source de crédibilité.
Une reconversion exigeante
Cette crédibilité constitue la base essentielle pour se créer une légitimité… et donc se constituer un portefeuille client, sans lequel il est impossible de travailler. Le second point important réside en effet dans les capacités commerciales. Comme dans un cabinet d’avocat, le chasseur de têtes vit principalement, si ce n’est uniquement, des missions qu’il négocie et signe lui-même. «D’un côté, le sens commercial, basé sur la capacité de créer un réseau et de l’autre la finance, qui se concentre sur le contrôle et la rigueur, sont rarement des compétences qui cohabitent au sein d’un même profil, reconnaît Valérie Kolloffel. Quand, je cherche à recruter pour mon cabinet, les trouver chez un même candidat est très rare.»
Même ceux qui ont le contact facile doivent d’ailleurs monter en compétence. «La partie prospection m’a paru complexe au début car cela s’éloignait de ma formation et de mon expérience», témoigne Alexandra Proniewski (36 ans), manager au sein du cabinet Ressources Transition (groupe Fed). Quand en 2007, après quatre saisons d’audit au sein de KPMG, la jeune femme rejoint Fed Finance (groupe Fed) en tant que consultante, elle accepte alors un salaire fixe inférieur et prend le risque d’apprendre un tout nouveau métier. «Il faut beaucoup d’humilité pour opérer cette reconversion, se souvient pour sa part Bruno Fadda. Nous passons d’un statut de contrôleur de gestion ou d’auditeur senior à celui de consultant junior. Il faut ainsi de nouveau faire ses preuves.»
Une rémunération attrayante
Les premiers mois sont alors déterminants et certains renoncent rapidement pour retrouver un poste plus classique dans une fonction financière. Ceux qui passent le cap bénéficient ensuite d’opportunités de carrière. Par exemple, Laurent de Bellevue (48 ans), qui a travaillé par le passé chez Michael Page et qui est aujourd’hui chez Robert Walters, a progressé très vite. «Un an après avoir rejoint Michael Page en 1997, je supervisais cinq professionnels, témoigne Laurent de Bellevue. Puis, en 2000, je suis devenu directeur de la division finance et comptabilité encadrant une vingtaine de chasseurs de têtes.»Après un passage au sein d’une direction financière (voir encadré), il retourne deux ans chez Michael Page avant de rejoindre Robert Walters en 2010 comme directeur associé, en charge des divisions sales & marketing, immobilier et finance.«Mon parcours n’est pas atypique et de jeunes consultants peuvent, avec une forte implication, progresser de cette manière, ajoute Laurent de Bellevue. En plus, dès les premières années, ce métier peut être très rémunérateur.»
La part variable grimpe fortement à mesure que le portefeuille clients s’étoffe. Si les cabinets de recrutement restent discrets sur le montant des rémunérations des collaborateurs, chacun reconnaît que dans les bonnes périodes la rémunération peut représenter plus du double de ce que gagnerait un financier à niveau d’expérience égale. «En vérité, il n’y a pas de plafond car les chasseurs perçoivent une partie de ce que rapporte une mission à son cabinet, rappelle Frédéric Aymonier (51 ans), associé fondateur du cabinet Fitch Bennett Parners, réalisant 15 % des recrutements dans le milieu de la finance. Les meilleurs gagnent plus que des cadres dirigeants.»
Mais il faut garder la tête froide car le secteur est très cyclique, y compris pour les plus expérimentés des chasseurs de têtes. Il est courant qu’une rémunération varie fortement d’une année à l’autre, pouvant être réduite fortement en période de creux ou multipliée dans les périodes fastes. «En 2008, j’ai ainsi gagné trois fois moins que l’année précédente», précise Valérie Kolloffel. Cet aspect cyclique pèse non seulement sur le salaire… mais aussi sur le travail au quotidien. «Il faut toujours se battre pour maintenir la tension commerciale», précise Alexandra Proniewski. Même dans les périodes les plus chargées en termes de mission, prospecter et entretenir son réseau est essentiel pour garantir un niveau raisonnable de missions dans les périodes les plus atones.
Un retour en entreprise est-il possible ?
Le métier de chasseur de têtes est une niche. S’il est très rémunérateur, il peut aussi enfermer ceux qui empruntent cette voie. Les professionnels bénéficient cependant de quelques opportunités pour retourner au sein d’une entreprise.
La première année, les candidats qui échouent dans l’aspect commercial du chasseur de têtes peuvent encore retourner à des postes plus classiques. «Mais ils doivent le faire dès la première année pour ne pas prendre de retard par rapport à ceux qui sont restés dans le métier», alerte Bruno Fadda, directeur associé chez Robert Half France.
Certains chasseurs de têtes peuvent aussi eux-mêmes rejoindre une direction financière au hasard d’une mission. Laurent de Bellevue, alors directeur de la division finance et comptabilité de Michael Page, est embauché en 2004 par un de ses clients, un groupe familial leader dans le secteur de la distribution textile. «Je travaillais sur une mission pour leur trouver un directeur financier et le directeur général a fini par me proposer le poste», se souvient Laurent de Bellevue, actuellement directeur associé au sein du cabinet Robert Walters. Il reste deux ans à ce poste puis, tandis que le groupe enregistre une forte croissance, il propose de recruter un autre directeur financier pour lui succéder et de prendre en charge la direction du développement. Puis, après quatre ans au sein de l’entreprise, il revient à son métier de chasseur de têtes.
Ce parcours n’est pourtant pas la norme. La plupart des chasseurs de têtes spécialisés dans la finance peuvent plus facilement être recrutés comme responsable des ressources humaines de grandes banques ou d’assurances.
Enfin, la plupart des chasseurs de tête qui atteignent le statut d’associé n’ont simplement plus envie de rejoindre un groupe, en tant que collaborateur. «En devenant associée de mon entreprise, je suis devenue mon propre patron, explique Valérie Kolloffel, associée chez Nicolas Angell. Ce métier est très exigeant, avec une pression incroyable, mais la liberté, la stimulation intellectuelle et les rencontres qu’il m’offre me sont trop précieuses pour en changer.»
Une opportunité de carrière intéressante pour les seniors
Les financiers de plus de 50 ans peuvent parfois avoir des difficultés à retrouver un poste prestigieux, sans perdre en termes de salaire. La chasse permet souvent une sortie par le haut. «Les très bons profils ont leur place dans mon cabinet, explique Frédéric Aymonier, associé fondateur de Fitch Bennet Partners. J’ai recruté un ancien directeur financier, Steven Maisel, président de la chambre de commerce britannique à Bruxelles, il y a deux ans.» Ce dernier apporte depuis de nombreuses affaires à la partie finance du cabinet, capitalise sur son réseau et son expérience. Il bénéficie désormais d’une meilleure rémunération tout en restant son propre patron. «La chasse pour ces profils haut de gamme constitue clairement une belle façon de redynamiser leur carrière», ajoute Frédéric Aymonier.