Les sociétés cotées commencent à diffuser des informations financières sur les réseaux sociaux, en particulier sur LinkedIn et Twitter. Si elles s’assurent par ce biais une plus grande visibilité, elles doivent également respecter la réglementation en vigueur en France et surtout prendre un certain nombre de précautions pour ne pas risquer de nuire à leur image.
«Une nouvelle gamme majeure de produits Tesla – pas une voiture – sera dévoilée au Hawthorne Design Studio jeudi 30 avril à 20 heures.» Voici comment, le 30 mars 2015, le président-directeur général de Tesla, Elon Musk, avait fait immédiatement augmenter le cours de bourse du constructeur automobile de 4 %, et ce en moins de 140 signes !
Ce type d’annonce effectuée uniquement sur Twitter ne serait pas autorisé en France, mais ce n’est pas pour autant que les réseaux sociaux épargnent les directions financières des entreprises cotées dans l’Hexagone. «Nous disposons d’un compte sur Linkedin au nom de la société qui relaye notamment les communiqués de presse financiers les plus stratégiques, comme ceux relatifs à des opérations d’envergure, détaille Quy Nguyen, directeur des relations investisseurs de Teleperformance (3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016).Je dispose en outre d’un compte en mon nom sur lequel je reprends souvent le titre du communiqué de presse ainsi qu’une citation du président ou du PDG associés au lien permettant d’accéder au document complet.»
Cette tendance s’étend aussi aux ETI. «Nous publions systématiquement nos résultats trimestriels sur Twitter et relayons également des notes de broker ou des articles de presse parus sur la société, explique Christophe Clerc, vice-président exécutif finance de Delfingen (176 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016).J’encourage en outre les membres de mon équipe à relayer les informations financières que nous publions sur le compte Twitter de l’entreprise.»
Des lecteurs plus nombreux
Quelle que soit leur taille, les entreprises peuvent escompter plusieurs avantages de ce format de communication, à commencer par un plus grand nombre de lecteurs. «Grâce aux réseaux sociaux, les entreprises étendent leur couverture, souligne Eric Eludut, président de Seitosei, cabinet de conseil en communication financière à destination des grandes entreprises. Elles atteignent des populations qui ne consultent pas nécessairement la rubrique destinée aux investisseurs sur le site Internet de la société.» Un bénéfice observé par Delfingen. «Les investisseurs et analystes lisent évidemment nos annonces sur les réseaux sociaux, mais ces dernières sont aussi consultées par les clients et fournisseurs, indique Christophe Clerc. Nous nous adressons en outre à une population plus jeune que via les formats de communication traditionnels.»
Autre avantage : la possibilité d’être réactifs lorsque des informations financières circulent au sujet de la société.«Nous effectuons un travail de veille sur les réseaux sociaux, explique Quy Nguyen. Il nous permet d’être informés de ce qui se dit sur la société en général et en matière financière en particulier afin de surveiller notre image. Il pourrait aussi nous permettre de réagir plus rapidement s’il était nécessaire de démentir une rumeur (voir encadré).»
Par ailleurs, les réseaux sociaux peuvent être utilisés par les directions financières à des fins de recrutement. «Nous utilisons Linkedin pour rendre la société visible pour de potentiels talents, indique Christophe Clerc. Nous pouvons être contactés par ce biais ou nous-mêmes identifier des profils intéressants et les solliciter en vue d’un recrutement. Au niveau de la direction financière, nous avons pu recruter par ce biais un jeune contrôleur de gestion.»
Des règles à respecter
Ces différents usages impliquent pour les entreprises d’y consacrer du temps. «Deux personnes au sein de l’entreprise sont chargées à plein temps d’animer les réseaux sociaux du groupe, explique Christophe Clerc. Elles me consultent en ce qui concerne les informations financières, de manière à ce que je vérifie quelles informations peuvent ou non circuler.»En effet, ce dernier point est majeur si les entreprises ne veulent pas risquer d’enfreindre la réglementation puisque les réseaux sociaux n’échappent pas aux règles de communication financière qui s’appliquent aux sociétés cotées.«La société et ses dirigeants mandataires sociaux ne peuvent communiquer sur leurs comptes une information dite privilégiée, c’est-à-dire susceptible d’influencer le cours de bourse, que si celle-ci a fait l’objet au préalable d’un communiqué à diffusion effective et intégrale et sous réserve que l’information donnée soit exacte, précise et sincère, prévient Florence Priouret, directrice de division à la direction des émetteurs de l’AMF. Leur responsabilité peut ainsi être engagée si une information financière qui ne respecte pas les normes est diffusée par ce biais.»
C’est pourquoi les entreprises font preuve de beaucoup de prudence. «Nous nous fixons pour règle de ne pas communiquer sur les réseaux sociaux des informations financières qui n’auraient pas été préalablement portées à la connaissance du public, explique Christophe Clerc. En outre, lorsque nous publions une information financière, nous insérons systématiquement un lien renvoyant vers le communiqué de presse, de manière à ce que les internautes aient à leur disposition les informations complètes.»
Une autre bonne pratique consiste à ne pas systématiquement répondre aux commentaires des internautes concernant les informations financières. «Les dirigeants gagnent à limiter les interactions avec les internautes pour ne pas risquer d’entrer dans une logique de réponse systématique aux tiers et d’enfreindre les règles, souligne Jérôme Fabreguettes-Leib, directeur général adjoint d’Actus, cabinet de conseil en communication financière à destination des PME-ETI. D’autant plus que les réponses apportées à ces tiers donnent de l’ampleur aux informations ainsi relayées.»
Pour que ces bonnes pratiques soient respectées, certaines entreprises se dotent d’une ligne de conduite sur l’utilisation des réseaux sociaux. «Nous sommes en train d’élaborer une charte digitale, indique Christophe Clerc. Elle concernera notamment la politique de l’entreprise en matière de communication financière sur les réseaux sociaux et permettra de sensibiliser les salariés.»
Si jusqu’à présent, l’AMF n’a jamais sanctionné d’entreprises pour non-respect de la réglementation sur les réseaux sociaux, cette dernière se montre néanmoins attentive. «Les PME-ETI font de ce fait preuve de prudence, d’autant plus qu’elles disposent souvent de compétences restreintes en interne en matière de communication financière, observe Jérôme Fabreguettes-Leib. Certaines préfèrent parfois ne pas diffuser d’informations financières sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres se font conseiller pour ne pas risquer d’enfreindre la réglementation.» En revanche, des grandes entreprises, plus à même de s’assurer d’être conformes aux normes, commencent à utiliser pleinement les atouts que recèle ce type de canal. «Alors qu’elles relaient depuis plusieurs années déjà les principaux communiqués de presse financiers par ce biais, certaines vont désormais plus loin, remarque Eric Eludut. Elles se mettent à créer du contenu spécialement destiné aux réseaux sociaux, comme des infographies conçues pour avoir une vertu pédagogique auprès des internautes.» Un moyen pour elles de gagner encore en visibilité.
Réagissez aux rumeurs de manière proportionnée
Les réseaux sociaux constituent une importante source de rumeurs, y compris en matière d’informations financières. «Depuis l’entrée en vigueur du règlement Abus de marché, les entreprises doivent réagir non seulement aux fuites d’information, mais également aux rumeurs dès lors qu’elles correspondent à des informations privilégiées, explique Florence Priouret, directrice de division à la direction des émetteurs de l’AMF. Si une rumeur suffisamment précise correspondant à une information privilégiée s’est répandue sur différents médias, l’émetteur concerné doit publier dès que possible un communiqué à diffusion effective et intégrale, et peut également répondre sur les différents réseaux sociaux.» Il s’agit d’informations ayant une influence sur le cours de bourse, comme un changement d’actionnariat, une augmentation de capital ou un rapprochement avec une autre entreprise par exemple. En revanche, une exception est possible si une rumeur ne concerne qu’un seul média social et que la communication ne contient pas en elle-même d’information privilégiée. «L’émetteur peut alors ne répondre que sur le seul média source de la rumeur, sans le reprendre sous la forme d’un communiqué à diffusion effective et intégrale», signale Jérôme Fabreguettes-Leib, directeur général adjoint d’Actus, cabinet de conseil en communication financière à destination des PME-ETI.
Dans ce contexte, l’AMF recommande aux entreprises d’effectuer une veille active sur les réseaux sociaux. «Les entreprises ont tout intérêt à surveiller les informations financières qui circulent leur égard, confirme Eric Eludut, président de Seitosei, cabinet de conseil en communication financière à destination des grandes entreprises. Elles s’assurent ainsi d’être en mesure de répondre rapidement en cas de diffusion de fausses informations.» Pour faciliter ce travail de veille sur Twitter, l’AMF recommande d’utiliser des «hashtags» suivi du nom de l’entreprise qui permettent de retrouver facilement l’ensemble des tweets relatifs à la société.
Prenez garde aux usurpations d’identité
Du fait des nombreux cas d’usurpation d’identité sur les réseaux sociaux, l’AMF conseille aux entreprises de sensibiliser leurs salariés sur l’utilisation qu’ils font de leurs comptes personnels. En effet, les informations relayées sur les réseaux sociaux peuvent être ensuite utilisées par des malfaiteurs pour élaborer des scénarios de fraude au président par exemple. «Les salariés de Teleperformance sont incités à respecter un certain nombre de règles définies au niveau du groupe en matière de sécurité sur les réseaux sociaux pour ne pas ouvrir le champ aux fraudeurs qui peuvent par exemple détourner de l’information», relève Quy Nguyen, directeur des relations investisseurs de Teleperformance. Il vaut mieux par exemple que les salariés évitent de publier sur leurs comptes personnels des informations sur leurs périodes de congés ou leurs déplacements à l’étranger car celles-ci pourraient être utilisées à des fins frauduleuses par des tiers.