Face à l’essor de l’investissement socialement responsable et à la demande des investisseurs d’intégrer des critères ESG dans leurs placements, les sociétés de gestion doivent s’adapter. Si la plupart d’entre elles préfèrent encore former en interne leurs équipes, certaines formations externes commencent à émerger.
Le marché de l’investissement responsable est aujourd’hui en pleine expansion. Depuis l’article 173 de la loi sur la transition énergétique et écologique, les investisseurs institutionnels doivent communiquer sur les paramètres environnementaux et sociaux de leurs investissements. Une contrainte qu’ils délèguent désormais souvent aux sociétés de gestion avec lesquelles ils travaillent. Ces dernières doivent ainsi de plus en plus former leurs équipes en la matière. Pour maîtriser à la fois les analyses financière et extra-financière, les jeunes professionnels de la finance peuvent compter sur quelques formations initiales qui gagnent du terrain, à l’instar de la chaire Finance et développement durable de l’Université Paris-Dauphine. D’autres initiatives émergent, notamment au sein de Kedge Business School qui a ouvert en 2016 un parcours ingénierie ESG (environnemental, social et de gouvernance) en finance, avec le soutien de Novethic. Pour les spécialistes de l’ISR, les diplômés issus de ces nouvelles formations sont dotés de compétences transverses qui constituent une vraie plus-value aujourd’hui. «Dans les jeunes recrues, la double compétence développement durable ou RSE et analyse financière est pour nous très intéressante, explique Cesare Vitali, responsable ISR chez Ecofi Investissements. En effet, il faut que nos analystes et nos gérants soient dotés d’une vraie sensibilité aux problématiques ESG.»
Absence de formation continue diplômante
En revanche, pour les analystes et gérants déjà en poste, aucune formation continue ne se dégage. Dans ce contexte, les sociétés de gestion qui appliquent des filtres ESG à leurs critères de sélection de valeurs préfèrent former en interne leurs effectifs afin de diffuser leur propre méthodologie et leur propre grille d’évaluation. Ecofi Investissements forme ainsi ses équipes à sa propre grille de lecture ISR. «Notre méthodologie de sélection se fait en deux temps, explique Cesare Vitali. Dans un premier temps, nous déterminons les meilleures sociétés dites «best in class», via une notation ESG. Ensuite, nous réalisons une exclusion des controverses, c’est-à-dire de toutes les sociétés qui ont été confrontées à des affaires de type corruption, violation des droits de l’homme ou encore pollution.»
Reste que pour que le changement opère, il convient d’appliquer en interne une véritable culture d’entreprise de sensibilisation aux impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance des investissements.
Une stratégie choisie par Groupama Asset Management qui a récemment encore renforcé son approche : «En 2016, nous avons décidé de faire évoluer nos équipes d’analystes, composées d’une part d’analystes financiers, et d’autre part d’analystes extra-financiers qui travaillaient ensemble sur les études sectorielles et valeurs suivies par la recherche, et ce depuis 2005, explique Marie-Pierre Peillon, directrice de la recherche chez Groupama Asset Management. Désormais, un même analyste suit un secteur et une valeur à la fois, d’un point de vue financier et extra-financier. Comme il n’existait pas de formation externe correspondant à nos attentes, c’est-à-dire centrée sur une notion de matérialité, nous avons décidé de la mener en interne en nous appuyant sur l’expérience de nos analystes extra-financiers.»
La formation entre pairs largement plébiscitée
Ce choix de la formation en interne est largement privilégié par les sociétés de gestion, dont les méthodologies se formalisent au fil du temps. «Nos analystes extra-financiers ont mis en place des “teach-in ESG” réalisés à partir de leurs expériences au sein de l’équipe, poursuit Marie-Pierre Peillon. Depuis janvier 2016 tous les vendredis après-midi pendant 2h30, l’équipe est réunie pour apprendre comment mener une analyse extra-financière et comment l’intégrer à une analyse financière. Les premières formations ont été consacrées à la gouvernance pendant six mois ; nous travaillons maintenant sur l’environnement et le social.»
De nouvelles formations qui émergent
Reste que toutes les sociétés de gestion ne sont pas sur un pied d’égalité en ce qui concerne la formation ESG. Ainsi, certaines doivent aller chercher à l’extérieur ces compétences qui peinent à émerger dans leurs équipes.
«Le besoin et la demande sont de plus en plus importantes, constate Dominique Blanc, directeur de la recherche Novethic.Historiquement, les sociétés de gestion faisaient appel à des agences de notation externes ou à des analystes internes. Dans quelques années, il y aura sans doute des formations plus institutionnalisées dans ce domaine. Novethic a déjà mis en place une offre de formation dans ce domaine car nous avons une vraie légitimité sur ces sujets.» C’est ainsi que le centre de recherche et médias spécialiste de l’investissement responsable propose à la fois des formations globales, permettant aux gérants de comprendre l’articulation entre enjeux sociétaux et enjeux ISR et des formations spécifiques, notamment sur les green bonds, ou encore des journées de formation sectorielle autour de l’automobile, de l’eau et de l’agroalimentaire. «Notre ambition, au cours de ces formations, est de démontrer qu’une approche scientifique et rigoureuse peut permettre de trier, parmi les informations communiquées par les entreprises, les réels engagements qu’elles ont mis en œuvre, détaille Dominique Blanc. A la fin de la journée, les analystes et les gérants doivent pouvoir ressortir avec des outils pratiques, en se disant qu’ils ont la possibilité d’ajouter d’autres paramètres d’analyse à leur grille de lecture traditionnelle.»
Un fort potentiel de développement des offres de formation
D’autres formations encore plus spécifiques existent, à l’instar de celles proposées par le cabinet de conseil Carbone 4, spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique. «Dans la sélection ESG, notre offre se focalise uniquement sur l’environnement, et plus précisément sur le volet carbone de ce critère, explique Jean-Yves Wilmotte, manager chez Carbone 4. Si notre rôle est de fournir des données chiffrées, nous accompagnons également nos clients dans l’analyse et l’interprétation de celles-ci.»Durant une heure et demie, le cabinet propose une sensibilisation à la prise en compte du carbone dans les critères d’investissement, à des assemblées formées d’une trentaine de personnes. Des formations plus poussées sont également dispensées en plus petit comité. «Nous n’orientons pas nos clients dans leur gestion. Nous leur donnons simplement les pistes pour savoir de quelle façon utiliser les données dans leurs critères de sélection», explique Clémence Lacharme, consultante chez Carbone 4. Outre les analystes et les gérants, le cabinet forme également les commerciaux qui seront confrontés aux clients finaux pour la présentation des produits ISR. A terme, ces offres spécifiques devraient largement se développer.
Quels tarifs pour les formations ISR ?
– Si, pour l’heure, rares sont les formations existantes, quelques cabinets de conseils proposent à leurs clients des formations généralistes et spécifiques. C’est le cas de Carbone 4 qui anime des sessions de sensibilisation aux enjeux environnementaux. Pour une heure et demie de formation, il faut compter entre 2 000 et 4 000 euros HT, selon les sujets. Ces sessions sont des formations de groupe, rassemblant une dizaine de personnes. D’autres formations plus poussées et dédiées à l’utilisation des données livrées par Carbone 4 sont tarifées au cas par cas, selon les problématiques des sociétés de gestion.
– Les tarifs pratiqués par Novethic s’établissent quant à eux de 900 euros HT par personne, pour une journée de sensibilisation, à 1 200 euros HT par personne pour une journée thématique sur les green bonds.