Afin de libérer les collaborateurs de tâches chronophages et sans réelle valeur ajoutée, des responsables de direction financière commencent à confier certaines missions à des robots, en particulier dans les domaines de la comptabilité, de la fiscalité et du contrôle de gestion. Si de telles initiatives sont généralement bien accueillies par les salariés, leur succès implique néanmoins, de la part des managers, un important travail de sensibilisation, tant en amont du projet qu’en aval.
Quitter son poste le soir et revenir le lendemain matin, heureux de s’apercevoir qu’une partie de son travail a été réalisée durant la nuit. Entendre dire de la part de son manager qu’il en est enfin fini des fastidieuses collectes et saisies de données. Etre en mesure d’identifier, sans le moindre effort, à quel partenaire commercial correspond telle entrée ou telle sortie de trésorerie. Quel financier d’entreprise n’a jamais souhaité, dans sa vie professionnelle, être confronté à ce genre de situations ? S’ils sont peu nombreux à avoir vu ces rêves devenir réalité, force est de constater que tout cela ne relève aujourd’hui plus en rien de la science-fiction. En effet, les directions financières de quelques groupes, opérant principalement dans l’énergie (EDF, Engie) et dans la grande distribution, ont récemment déployé des robots dans le but d’améliorer le quotidien de leurs équipes. «Charge à ces robots de s’occuper de tâches transactionnelles (saisie de factures, écritures de comptabilité générale…), mais aussi d’activités telles que la préparation de reportings ou encore l’envoi d’emails (confirmation, demande d’approbation)», précise François Micheau, managing director chez Accenture Strategy en charge des sujets Digital Finance.
Des préjugés à combattre
Selon des spécialistes en robotisation, plusieurs sociétés françaises planchent actuellement sur la mise en œuvre de projets comparables. Or, leurs réflexions initiées il y a de nombreux mois déjà tardent à aboutir à des développements concrets. Il faut dire que, dans ce domaine plus que dans beaucoup d’autres, la prudence est mère de sûreté. Certes, l’apport des robots ne fait aucun doute chez les responsables financiers, qui sont convaincus d’un retour sur investissement rapide, pérenne et conséquent. Mais leur appréhension de s’engager dans cette voie est généralement palpable, le plus souvent pour des raisons d’ordre social. «En annonçant à nos collaborateurs notre volonté de recourir à de telles technologies, nous redoutions que cela soit perçu en interne, à tort, comme une stratégie visant à supprimer des emplois, relate un manager financier. Et si cette crainte se matérialisait, nous étions sûrs et certains que ce projet tomberait à l’eau.» A en croire les conseils et les financiers qui ont franchi le pas avec succès, il est pourtant relativement simple d’éviter de tels écueils. Encore faut-il toutefois s’astreindre à respecter une règle jugée fondamentale : l’association de l’ensemble des collaborateurs de la direction financière à ce chantier, dès son origine.
Pour commencer, il est vivement recommandé de délivrer aux équipes un message rassurant. «Il faut d’emblée abattre les trois mythes attachés à la robotisation, insiste François Micheau : Omnipotence (le robot pourrait accomplir l’ensemble des tâches d’un humain, Substitution (la machine va nous remplacer) et Résistance (nous devons refuser cette évolution aliénante). On mesure dans les faits que les équipes Finance demandent à être soulagées des activités à faible valeur ajoutée et accueillent favorablement les robots, dont elles comprennent rapidement les capacités et les limites. Ceux-ci n’ont pas vocation à “remplacer”, mais seulement à accompagner.» Un constat confirmé par Engie.
«Depuis mi-2017, nous utilisons des robots pour réaliser certaines opérations comme des rapprochements bancaires et des déclarations de TVA, explique Karine Sirmain, chief finance transformation officer de l’énergéticien. Or, ceux-ci prennent la forme de logiciels fonctionnant sur la base d’algorithmes que nous avons créés, et ne sont absolument pas “autoapprenants” ou “intelligents”.» Ce témoignage tend à mettre en lumière un autre mythe à déconstruire : les «robots» dont on parle sont purement virtuels et ne ressemblent en rien à des amas de métal à l’apparence de Terminator ou à des humanoïdes !
«Pour ne pas effrayer certaines personnes, il peut ainsi être utile de changer de vocabulaire et de faire référence à des assistants virtuels ou des assistants digitaux», suggère Sébastien Canonne, directeur associé au cabinet de conseil BearingPoint. Inviter dans le même temps des individus qui ont été confrontés à la même situation pour écouter leur retour d’expérience peut également contribuer à donner plus de poids à l’argumentaire (voir encadré).
Une démarche collaborative
Ces efforts de pédagogie accomplis, la parole doit ensuite être laissée aux équipes. «Le meilleur moyen pour qu’un projet de transformation soit accepté et aboutisse, c’est que les collaborateurs aient eux-mêmes contribué au projet, poursuit Sébastien Canonne. En amont, le management doit dès lors leur demander quelles difficultés ils rencontrent au quotidien et les inviter à proposer des améliorations à apporter.» En fonction de la taille de la direction financière, cette consultation peut prendre différentes formes : série d’entretiens individuels organisés par chaque responsable de département ou réunions collectives, utilisation d’un réseau social d’entreprise pour recenser les propositions de chacun… Une fois les suggestions examinées, la démarche doit être complétée par une phase de test – dite «POC» pour proof of concept – pour laquelle la participation des salariés est là aussi jugée déterminante. Objectif visé : faire en sorte que les financiers s’approprient l’outil avant son déploiement et, surtout, s’assurent qu’il ne menace en rien leur poste mais qu’il permet au contraire d’éliminer toutes les missions sans aucune dimension intellectuelle. Dans les entreprises concernées, procéder de la sorte a parfois contribué à dépasser les attentes des managers. «En les impliquant tout au long du processus de robotisation de certaines tâches, les collaborateurs ont été tellement séduits par le projet que, très rapidement, ce sont eux qui nous ont demandé d’aller le plus loin possible dans la robotisation !», souligne Karine Sirmain.
L’adhésion peut être d’autant plus forte que ces développements digitaux sont de nature à offrir à certains financiers des perspectives d’évolution professionnelle intéressantes. Au-delà du fait que leur travail sera davantage porté vers des activités à plus forte valeur ajoutée, de nouveaux rôles vont émerger. «Dans la mesure où le robot se contente de réaliser ce qui lui a été demandé, il reviendra à des collaborateurs de définir l’expression de besoins, de vérifier la correcte exécution des tâches et de faire éventuellement évoluer le processus - si le robot “sait” qu’il doit collecter l’information A dans le fichier B, il ne saura pas la retrouver dans le cas où un collaborateur l’aurait sauvegardée dans un autre fichier -, prévient Sébastien Canonne. Dans ce contexte, ces salariés profiteront d’une montée en compétences.» Mais en sera-t-il de même lorsque la génération actuelle de robots sera remplacée par des robots «intelligents» ? Alors que le «machine learning» n’en est qu’à ses balbutiements, l’indécision domine. Une chose cependant semble sûre : l’avènement de l’IA dans les robots financiers n’aura probablement pas lieu avant cinq à dix années. Un répit que devront mettre à profit comptables, contrôleurs de gestion et autres trésoriers pour prouver à leurs dirigeants qu’ils restent incontournables.
Des technologies prometteuses
- Pour certains financiers, robotisation peut rimer avec… déception. «Nous sommes de plus en plus contactés par des clients qui ne parviennent pas à déployer leurs solutions robotiques au-delà d’un périmètre réduit, contrairement à leurs attentes initiales, observe François Micheau, managing director chez Accenture Strategy en charge des sujets Digital Finance. Problème d’intégration dans les systèmes d’information, absence d’organisation qui porte cette mise à l’échelle… Les raisons sont multiples.»
- Du côté des sociétés dont la direction finance est très avancée en matière de robotisation, les résultats sont toutefois très prometteurs. «Un grand groupe de l’agroalimentaire américain teste actuellement l’intelligence artificielle (machine learning) pour l’élaboration de ses prévisions, poursuit François Micheau. En termes de précision, la machine a à ce jour systématiquement fait mieux que les opérationnels ! Ce cas de figure tend à prouver qu’il y a une poche de valeur incroyable à saisir avec l’IA.»
Des spécialistes à recruter
D’après Engie, la mise en œuvre de robots au sein de la fonction finance implique de se doter d’une équipe de «process analysts» et développeurs. «En effet, les premières expérimentations se font souvent avec l’aide de ressources externes, rappelle Karine Sirmain. Elles suscitent généralement au sein des équipes transactionnelles de la finance des attentes auxquelles il faut ensuite être en mesure de répondre. Comme souvent lorsque l’on teste des processus innovants, le passage de l’expérimentation à la phase plus “industrielle” reste délicat.»
S’inspirer des bonnes pratiques des confrères
- Observer et écouter, deux réflexes que bon nombre de financiers adoptent en amont de leur chantier de robotisation. «Il arrive que nos clients convient des personnes externes à l’entreprise pour s’inspirer de leur retour d’expérience, explique Sébastien Canonne, chez BearingPoint. Dans la mesure où il est généralement compliqué de faire intervenir un concurrent, certains managers aiment également s’inscrire à des conférences dans lesquelles des collaborateurs témoignent sur des projets comparables, ou discuter avec eux dans un cadre plus informel, au sein d’associations professionnelles par exemple.»
- Certains organismes de place peuvent aussi apporter des réponses utiles. «Afin de préparer notre plan de transformation digitale, notamment sur la partie robotique, je me suis notamment rendue chez France Innovation pour échanger avec des spécialistes sur les caractéristiques de l’industrie du XXIe siècle», illustre Karine Sirmain, chief finance transformation officer d’Engie. Regroupant des prestataires privés de la R&D et de l’innovation, France Innovation fournit des conseils notamment dans les domaines des logiciels et de l’intelligence artificielle.