Certains collaborateurs sont essentiels au succès d’une fusion-acquisition. Pour s’assurer que ces derniers restent au sein de l’entreprise, les dirigeants utilisent différents moyens de rétention, essentiellement financiers.
L’an dernier, le marché des fusions-acquisitions a tourné à plein régime. En France, le volume des transactions a atteint 202 milliards d’euros, soit un montant deux fois plus élevé qu’en 2013, selon Thomson Reuters. Conserver les talents étant l’une des clés pour réussir ce type d’opération, il est courant que les entreprises fassent signer des conventions de maintien de poste à certains collaborateurs. En effet, selon l’étude internationale «2014 Global M&A Retention» publiée en octobre dernier par le cabinet Towers Watson, 88 % des entreprises mondiales qui ont affiché de forts taux de rétention (c’est-à-dire qui ont conservé au moins 60 % des signataires de ces conventions jusqu’à leur terme) estiment avoir atteint leurs objectifs stratégiques à l’issue de leur fusion-acquisition.
Dans les entreprises à «faible» taux de rétention (égal ou inférieur à 40 %), elles ne sont que 67 % à dresser ce constat. D’où l’intérêt des dirigeants pour les stratégies de rétention des talents. Ces dernières s’effectuent en plusieurs étapes.
Identifier les collaborateurs
Au début d’un processus de fusion-acquisition, les entreprises commencent par identifier les collaborateurs qu’elles jugent essentiels à la réussite de leur future entité. Elles distinguent alors deux types de profils. «D’un côté, on trouve les personnes qu’il est intéressant de retenir à long terme, de l’autre, celles dont les entreprises ont principalement besoin à court terme, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la période d’intégration qui suit le closing de l’opération, souligne Romain Bureau, senior partner au sein du cabinet Mercer. La première catégorie regroupe les collaborateurs clés pour la maîtrise et le développement à terme des activités du cœur de métier de la société. La seconde concerne essentiellement les fonctions de “support”, notamment comptables et informatiques, qui ont vocation à être fusionnées par synergie», poursuit-il.
Pour identifier les profils à conserver, les entreprises font généralement appel à des cabinets de conseil en ressources humaines. «Nous effectuons le travail de due diligence et d’évaluation des profils à partir de listes fournies par les entreprises, indique Vincent Cornet, directeur rémunération globale chez Aon Hewitt. Nous répertorions aussi les écarts de statuts et corps de métier du personnel, évaluons la compétitivité des rémunérations par rapport aux autres entreprises du marché et calculons les coûts de convergence des salaires qui suivront l’opération.» Des entretiens individuels sont ensuite menés pour évaluer la motivation et le potentiel des collaborateurs.
Choisir les moyens de rétention
Une fois identifiés, les collaborateurs signent des conventions de maintien de poste. Dans plus de 80 % des cas, ces dernières incluent des compléments de rémunération sous forme de bonus, selon Towers Watson. Les collaborateurs que l’entreprise souhaite avant tout retenir à court terme, c’est-à-dire entre 12 et 18 mois – le délai moyen d’une acquisition – se voient essentiellement proposer du liquide. «Versé à l’échéance de la convention de maintien de poste ou en plusieurs étapes, il représente en valeur médiane 50 % du salaire annuel de base en France pour les managers, précise Romain Bureau. Aux Etats-Unis, ce montant est généralement multiplié par deux.»
Les collaborateurs jugés indispensables sur le long terme se voient plutôt offrir des actions gratuites. «Ce moyen permet de les impliquer davantage dans la nouvelle structure, leur rémunération étant liée aux résultats de cette dernière», observe Didier Hoff, associé EY Société d’Avocats.
Les bonus glissants sont une autre option, particulièrement utilisée dans les sociétés financières. Son principe : lorsqu’ils touchent leur rémunération variable, les collaborateurs en convertissent une partie en actions de la société, dont ils récupéreront la contre-valeur en liquide ultérieurement, assortie d’une prime supplémentaire offerte par les dirigeants pour les motiver à différer l’encaissement total de leur bonus. Pour leur part, les collaborateurs possédant des actions «préfusion-acquisition» se voient proposer soit de convertir ces dernières en titres de la nouvelle structure, soit de récupérer leur contre-valeur en liquide.
Si dans les trois quarts des cas, l’attribution de compléments de rémunération n’est conditionnée que par le maintien du collaborateur à son poste pour une période définie, 36 % des accords incluent une clause de performance liée à des objectifs d’intégration, selon l’étude «M&A Retention and Transaction Programs» réalisée par le cabinet Mercer en 2012. «Dans les fonctions financières, ces objectifs peuvent être le basculement d’un système de comptabilité vers un autre à une échéance fixée, ou la consolidation des comptes, indique Vincent Cornet. En France, le paiement de bonus est toutefois de moins en moins conditionné par ce type de critères de performance car les dirigeants ont conscience que des événements non imputables aux collaborateurs peuvent retarder la réalisation de certains objectifs.»
Gérer «l’après» fusion-acquisition
Si les conventions de maintien de poste fonctionnent relativement bien pour garder les talents à court terme, leur efficacité est plus nuancée sur le long terme. En effet, selon l’étude de Towers Watson, 68 % des entreprises parviennent à retenir au moins quatre collaborateurs sur cinq jusqu’au terme de leur accord, mais seules 43 % maintiennent ce niveau de rétention un an plus tard. Ces départs sont toutefois problématiques uniquement lorsqu’ils concernent des professionnels que l’entreprise souhaite conserver à long terme. Il est au contraire souvent attendu que les profils se retrouvant en situation de doublon après la période de fusion quittent la société.
Si l’étude de Towers Watson estime que la moitié des départs après une acquisition est liée au changement de culture au sein de l’entreprise, la surcharge de travail occasionnée par l’opération entre également en ligne de compte. «Les efforts fournis par les collaborateurs doivent être reconnus par la hiérarchie, souligne Philippe Perriot, consultant senior spécialisé dans les services financiers chez Towers Watson. Cela les motivera davantage à rester au sein de l’entreprise.» N’empêche que si reconnaissance il y a, elle se traduit par un complément de rémunération dans moins de 30 % des entreprises interrogées par Mercer, ce qui peut générer des frustrations au sein des équipes.
Retenir les talents suite à une acquisition nécessite donc une politique d’intégration comportant des aspects managériaux, comme la définition de projets fédérateurs, mais aussi des investissements financiers. Selon Mercer, les entreprises au niveau mondial ont consacré 0,25 % (valeur médiane) du budget total de leurs fusions-acquisitions à la rétention de collaborateurs.
Des programmes plus courts pour les sociétés financières
Les programmes de rétention de collaborateurs dans le secteur financier durent en moyenne entre 6 et 18 mois, contre jusqu’à 5 ans dans l’industrie. «Cette différence est liée au domaine d’activités, explique Didier Hoff, associé EY Société d’Avocats.Un projet financier se concrétisant plus vite qu’un projet industriel, les collaborateurs qui y participent arrivent au bout de leur mission plus rapidement aussi.» La culture du milieu financier contribue aussi à ces délais plus courts. «Les personnes pensent davantage à court terme, spécialement dans la banque d’investissement», poursuit Didier Hoff. Dans la finance, les profils les plus susceptibles de se voir proposer un programme de rétention sont les gérants de fonds et les chargés de relations clients.