Pour optimiser leur trésorerie, de plus en plus de PME et d’ETI entreprennent de diffuser une culture cash au sein de leurs équipes opérationnelles. En plus de mettre en place des outils et des processus de reporting dans ce sens, les directions financières sont alors appelées à mener différentes actions de communication pour convaincre les collaborateurs de l’intérêt d’une telle démarche.
Depuis la crise de 2008, de nombreux grands groupes ont entrepris de réduire leur besoin en fonds de roulement (BFR) en insufflant une culture cash à leurs équipes opérationnelles. Cette démarche, qui consiste à inciter les collaborateurs à prendre en compte de manière systématique l’impact de leurs actions courantes (ventes, achats, etc.) sur les flux de trésorerie de l’entreprise, commence toutefois également à se développer de manière significative au sein des PME et des ETI. «Prenant conscience qu’elles peuvent dégager du cash en interne en améliorant les façons de travailler de leurs collaborateurs, un nombre croissant de ces sociétés entreprennent en effet des actions dans ce sens», affirme Yann Guyomar, senior manager financement et trésorerie d’entreprise chez Mazars.
Si les directions financières sont généralement peu impliquées dans les projets liés à la diffusion d’une culture d’entreprise (voir encadré), elles assument en revanche le rôle de pilote lorsque ceux-ci concernent la culture cash. Leur première action consiste alors le plus souvent à mettre en place des outils de reporting et des processus destinés à optimiser les flux de trésorerie (voir encadré).
«Lorsque j’ai entrepris cette démarche il y a cinq ans, j’ai commencé par rédiger une politique de crédit à l’attention des équipes commerciales et des achats, indique Eric Latreuille, credit manager chez SGD (ex-Saint-Gobain Desjonquères, 660 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014). Mon objectif était de leur donner une base de travail concrète sur laquelle s’appuyer lorsqu’elles sont amenées à arbitrer entre différentes actions ayant un impact sur la trésorerie (négociation des délais de paiement avec un client, recouvrement de créances, etc.). Par ailleurs, j’ai intégré dans notre système d’information de nouveaux indicateurs de reporting pour leur permettre de bénéficier d’une meilleure visibilité sur les cash-flows du groupe.»
Des réunions d’information régulières
Le principal défi des directions financières consiste toutefois à remporter l’adhésion de l’ensemble des collaborateurs à cette nouvelle culture. Pour y parvenir, la plupart d’entre elles constituent dans un second temps une «task force», c’est-à-dire une équipe opérationnelle chargée de porter ce projet en interne. «Cette équipe est souvent transversale et comprend généralement un représentant des directions générale, financière, des achats et commerciale, voire parfois des membres des départements juridique et informatique, détaille Laurent Prost, directeur national expertise conseil de Grant Thornton France. Les membres de ce groupe de travail seront en effet par la suite chargés d’informer leurs équipes sur les changements à venir et piloteront leur mise en application.» Ce modus operandi ne dispense toutefois pas les responsables financiers d’aller directement à la rencontre des collaborateurs opérationnels, bien au contraire.«Les projets qui ont présenté les meilleurs résultats sont ceux où la direction financière s’est le plus fortement impliquée auprès des équipes, par exemple en tenant régulièrement des réunions d’information au sein des services concernés, constate Guillaume Roudeau, consultant financement et trésorerie d’entreprise chez Mazars. Si ce chantier peut être mené par le directeur financier au sein des PME, cette tâche incombe le plus souvent à un credit manager ou à un cash controller au sein des structures plus importantes, ces derniers disposant généralement de plus de temps pour se rendre auprès des équipes opérationnelles.»
Ce travail de proximité se révèle en effet essentiel pour surmonter les aversions de certains collaborateurs. «De nombreux salariés étant réticents au changement, il est primordial de prendre le temps d’expliquer aux équipes les plus concernées pourquoi de nouvelles mesures “cash” sont mises en place et surtout de démontrer en quoi elles seront bénéfiques à l’entreprise», souligne Yann Guyomar. Et pour convaincre, rien de tel que de présenter des réussites concrètes. «Il est souvent très efficace d’inviter un ou deux collaborateurs à présenter à leurs collègues, quelques semaines après le lancement du projet “cash”, la manière dont ils ont adapté leur façon de travailler et surtout les bénéfices qu’ils en ont retirés, poursuit Yann Guyomar. Concrètement, ils peuvent à cette occasion présenter des indicateurs qui attestent, par exemple, de la réduction de leurs délais de paiement ou de l’amélioration de leur taux de recouvrement des créances.»
Des performances analysées sous l’angle «cash»
Convaincues de l’intérêt d’évaluer ce type de performances pour motiver les collaborateurs à adopter une culture cash, certaines directions financières décident alors d’étendre cette démarche à l’ensemble des collaborateurs… et même d’en diffuser publiquement les résultats de manière régulière ! «J’envoie tous les mois aux commerciaux un e-mail comprenant le délai moyen de paiement des clients (days sales outstanding ou DSO) de chacun d’entre eux afin qu’ils puissent mesurer l’évolution de leurs performances et se comparer entre eux», confie Eric Latreuille. Conscient que certains salariés risquent néanmoins, en cas de contre-performances, d’être embarrassés par la divulgation de ces résultats, le credit manager de SGD a décidé d’ajouter à ces indicateurs des commentaires explicatifs. «Il arrive en effet qu’un directeur commercial voie son DSO fortement augmenter d’un mois à l’autre à cause d’un retard de paiement important et exceptionnel de l’un de ses clients, poursuit Eric Latreuille. Dans ce cas de figure, il est important d’expliquer pourquoi la performance de ce collaborateur s’est détériorée pour ne pas laisser penser à tort que cette situation lui est imputable.»
L’un des leviers les plus efficaces dont disposent les directions financières pour motiver les équipes à adopter une culture cash reste toutefois la rémunération. «Le versement d’une partie des bonus de certains cadres de nos équipes commerciales est désormais conditionné à la réalisation d’objectifs “cash”, comme par exemple la diminution du volume global des retards de paiement de leurs clients», détaille Eric Latreuille.
Des initiatives ludiques et un suivi à long terme
Cette politique de rémunération variable n’est néanmoins pas applicable à l’ensemble des collaborateurs. Pour tout de même susciter leur intérêt, certaines directions financières misent alors, en collaboration avec les directions de la communication et des ressources humaines, sur des opérations plus ludiques. «Dans l’optique cette fois d’aider ses fournisseurs à améliorer leur propre BFR, certains groupes ont par exemple tourné et diffusé en interne des vidéos racontant “la vie des factures” au sein de l’entreprise, illustre Yann Guyomar. Ces films courts montrent notamment comment les salariés qui réceptionnent les commandes de matériel peuvent améliorer la situation de trésorerie des fournisseurs en transmettant rapidement aux équipes comptables la validation des factures attestant de la bonne livraison des marchandises, celles-ci pouvant ensuite déclencher plus vite les paiements correspondants. L’objectif de ce type d’actions consiste à responsabiliser les collaborateurs au sujet de l’impact de leurs actions quotidiennes sur la situation financière des partenaires du groupe.» Un autre moyen de valoriser le travail d’une catégorie étendue de salariés consiste par ailleurs à les intégrer dans des programmes transversaux et informels.«Certaines sociétés ont mis en place des groupes de réflexion au sein desquels les collaborateurs peuvent régulièrement échanger des idées et partager leurs expériences en matière d’optimisation du cash», indique Guillaume Roudeau.
Pour être réellement efficaces, ces initiatives doivent néanmoins s’inscrire dans la durée. Faute de quoi, l’adhésion à la culture cash, que les directions financières auront finalement réussi à emporter, risque de s’estomper au fil des années, notamment en raison du renouvellement des équipes.
Des indicateurs et des processus à repenser
• La diffusion d’une culture cash passe le plus souvent par la mise en place de nouveaux indicateurs de reporting destinés aux fonctions financières et opérationnelles. «J’ai notamment intégré à notre système d’information des délais moyen de paiement des clients (days sales outstanding ou DSO) différenciés par zones géographiques, afin que nos collaborateurs puissent analyser leurs performances en prenant en compte les spécificités de certaines régions en matière de délais de paiement», indique Eric Latreuille, credit manager groupe chez SGD.
• En termes de processus, l’ajout de nouvelles fonctionnalités au système informatique présente aussi des avantages. «L’un de nos clients a par exemple automatisé la validation des commandes émanant des équipes commerciales car les membres de sa direction financière mettaient parfois jusqu’à 72 heures pour les confirmer, illustre Didier Louro, directeur du pôle métier et performance chez Altares. Grâce à cette solution et à la refonte de certains processus, 90 % de ce type de demandes sont désormais validées de manière instantanée, alors que seulement 10 %, celles présentant un risque crédit non négligeable, sont traitées manuellement.»
• L’entreprise en question a ainsi non seulement amélioré son délai d’encaissement des créances de trois jours, mais elle a en outre vu son volume annuel de demandes traitées passer de 6 000 à 10 000 commandes en 12 mois.
Un partage des tâches avec les autres directions
Si la direction financière se trouve en première ligne lorsqu’il s’agit de diffuser une culture cash, elle ne s’implique en revanche pratiquement pas dans la promotion des autres formes de cultures d’entreprise. «Ce sont en effet principalement les directions générales et des ressources humaines qui pilotent les changements qui peuvent survenir à la suite d’un changement d’actionnaire majoritaire ou d’une fusion avec un groupe étranger, indique Didier Louro, directeur du pôle métier et performance chez Altares. La direction financière est en effet généralement trop occupée à gérer d’autres sujets dans ces circonstances.» Quant aux cultures de type responsabilité sociale des entreprises (RSE) ou digitale, les entreprises ont souvent tendance à faire porter ces projets par des services exclusivement dédiés à ces thématiques.