La directive OPCVM 5, qui introduit de nouvelles règles sur les rémunérations dans la gestion d’actifs, s’appliquera aux bonus versés en 2018 au titre de l’exercice 2017. Dans ce contexte, les sociétés de gestion ont dû dévoiler, depuis fin mars, leur nouvelle politique en la matière auprès de l’AMF et doivent donc désormais la mettre en pratique.
Cette année encore, de nombreux gérants d’OPCVM ont obtenu d’importants bonus payés en intégralité en février ou mars. «A l’heure actuelle dans l’asset management en France, les bonus sont versés à 80 % en cash et en totalité au début de l’année, notamment dans les sociétés de gestion indépendantes», souligne un chasseur de têtes. Cette époque est cependant bientôt révolue. Les rémunérations variables versées par les sociétés de gestion d’actifs vont bientôt être beaucoup plus encadrées. Après la directive AIFM qui a limité les bonus des gérants de fonds d’investissement alternatifs, OPCVM 5 vise à étendre ce dispositif aux gérants plus traditionnels sur les marchés actions et obligataires. La directive européenne OPCVM 5, entrée en vigueur en janvier dernier, s’appliquera ainsi aux rémunérations variables de 2017 perçus par ces derniers, début 2018.
Afin d’être prêtes pour cette échéance, toutes les sociétés de gestion qui gèrent des OPCVM ont dû envoyer avant le 31 mars à l’Autorité des marchés financiers (AMF) un formulaire dans lequel est détaillée la politique de rémunération qu’elles comptent mettre en œuvre pour s’y conformer. L’AMF examinera ensuite chaque document, posera des questions, demandera éventuellement des modifications, avant de donner son feu vert aux sociétés de gestion. «Le but est d’éviter que les gérants prennent des risques excessifs dans le seul but d’obtenir des bonus importants chaque année, explique Xavier Parain, secrétaire général adjoint en charge de la direction de la gestion d’actifs à l’AMF. Comme dans la directive AIFM, les bonus seront en partie différés dans le temps, afin que le gérant assume les conséquences de sa prise de risque dans la durée. Les compteurs ne repartiront donc pas à zéro chaque année.»
La nouvelle réglementation prévoit en effet l’étalement sur au minimum trois ans d’au moins 40 % de la rémunération variable. En clair, si le bonus s’élève à 100 000 euros en mars 2018, le gérant recevra 60 000 euros immédiatement, puis 13 333 euros chaque année, pendant les trois années suivantes. Cependant, ce montant de 13 333 euros n’est pas garanti, puisqu’il pourra être réduit en fonction des performances futures.
OPCVM 5 prévoit également qu’au moins 50 % de l’ensemble du bonus soit indexé sur les performances des fonds et payé en parts ou actions d’OPCVM. «Cela signifie que le montant de la prime du gérant sera réduit si la performance des fonds qu’il gère est mauvaise», indique Xavier Parain.
Ces nouvelles règles s’appliquent à tous les «preneurs de risques» (gérants, dirigeants…) au sein des sociétés de gestion et ce quelle que soit leur taille. «Toutes les sociétés de gestion, qu’elles gèrent des fonds de 100 millions d’euros ou de 1 milliard d’euros, doivent s’y conformer», souligne Xavier Parain.
Les sociétés indépendantes en première ligne
Les grandes sociétés de gestion d’actifs, qui sont adossées à des groupes bancaires, ont souvent anticipé OPCVM 5.
«Afin de maintenir une cohérence dans nos rémunérations, nous avons décidé de mettre en place une politique conforme à OPCVM 5 dès mars 2016, en même temps que la directive AIFM dont les normes sont similaires, explique Isabelle Seneterre, directrice des ressources humaines d’Amundi.Nous avons souhaité que tous nos gérants, qu’ils s’occupent de fonds alternatifs ou d’OPCVM, soient rémunérés selon les mêmes règles, en matière de bonus». De son côté, BNP Paribas Investment Partners a lancé dès 2013, pour certains de ses salariés, un système de rémunération variable différé et indexé sur la performance des fonds. «Nous devons maintenant généraliser ces pratiques à l’ensemble de nos effectifs qui sont concernés par la nouvelle réglementation», indique Antoine de la Guéronnière, coresponsable de la «practice governance» de BNP Paribas Investment Partners et président du comité rémunération variable de l’Association Française de la Gestion financière.
Mais il s’agit d’un gros chantier en perspective pour les sociétés de gestion indépendantes, non affiliées à un groupe bancaire. Nombre d’entre elles versent à leurs gérants des salaires fixes relativement peu élevés qui sont compensés par des parts variables très importantes. «Ces sociétés parviennent à se différencier et à attirer les talents, surtout grâce à leurs bonus très élevés, souligne Odile Couvert, présidente d’Amadeo Executive Search, un cabinet de recrutement. Les salaires fixes peuvent seulement atteindre 100 000 euros par an, mais les bonus peuvent s’élever à 400 000 euros voire à 1 million d’euros chaque année.» Elles se trouvent désormais en première ligne face à OPCVM 5, d’autant qu’elles n’ont souvent pas anticipé la nouvelle réglementation. Or, le paiement d’au moins 40 % du bonus en différé, et pour moitié en OPCVM, pourrait entraîner une baisse du revenu d’une partie de leur effectif début 2018. «Certaines vont être obligées d’augmenter les salaires fixes pour conserver leurs gérants stars», estime un chasseur de tête.
Par ailleurs pour se conformer à OPCVM 5, elles vont devoir déterminer qui, au sein de la structure, est concerné. Des discussions sont en cours entre les sociétés de gestion d’actifs et l’AMF à ce sujet. Le principe de proportionnalité prévoit que les nouvelles normes ne s’appliquent, en matière de différé par exemple, qu’au-delà d’un certain seuil de bonus, défini au cas par cas par l’AMF, comme pour la directive AIFM. Chez Amundi, une centaine de personnes sont ainsi affectées par les nouvelles règles. «Il s’agit essentiellement de gérants, de responsables des fonctions contrôle et des dirigeants», précise Isabelle Seneterre. Au sein des professionnels de la gestion, ce sont surtout les «senior investment managers» ayant plus de 10 ans d’expérience qui sont le plus concernés.
Les sociétés de gestion devront ensuite instaurer les mécanismes pour mettre en place un bonus différé et indexé sur la performance. Pour ce faire, elles peuvent s’inspirer des méthodologies déjà adoptées par les grands acteurs. «Nous avons élaboré des processus de sélection des indicateurs de performance et nous organisons la revue régulière de leur pertinence», souligne Antoine de la Guéronnière. Enfin, il faut mettre en œuvre la nouvelle politique sur un plan individuel, en rédigeant un avenant au contrat de travail, et en tenant compte de l’aspect fiscal, ce qui peut s’avérer très compliqué.
Une mise en œuvre complexe sur le plan fiscal
- L’application des nouvelles règles de rémunération de la directive OPCVM 5 est très compliquée à mettre en œuvre sur le plan fiscal. «L’administration fiscale et les Urssaf n’ayant pas élaboré de doctrine sur le paiement en différé du bonus, il est très complexe de déterminer le régime fiscal et social applicable et l’assiette qu’il convient de déclarer tant pour l’employeur que pour le salarié», souligne Eugénie Berthet, avocate chez Pinsent Masons.
- Du fait de l’indexation des bonus sur les performances, le gérant peut être payé en actions ou en parts de fonds qu’il est obligé de conserver pour être exposé au même risque économique que les investisseurs. Si la valorisation des titres diminue, il subit la même perte que les investisseurs. Dans certains cas de sous-performance, le gérant peut même être obligé de restituer les titres perçus (ou clause de claw back). Ce cas de figure n’est également pas bien défini aujourd’hui sur le plan fiscal.