Afin de mieux accompagner les opérationnels dans l’amélioration des performances, des grands groupes mettent en place des formations dédiées aux équipes financières. Axées sur les compétences comportementales, celles-ci portent notamment sur la communication et sur la capacité à être force de proposition.
Mise en place d’un programme destiné aux hauts potentiels de la direction financière de la SNCF pour leur apprendre à mieux communiquer sur les thématiques financières, lancement d’un module visant à expliquer aux contrôleurs de gestion de Renault comment prendre en compte les différences interculturelles, organisation de séminaires consacrés à la construction de la filière finance chez Keolis… Depuis plusieurs mois, les directions financières de grands groupes n’hésitent plus à s’emparer de la question des «soft skills». Il s’agit des «compétences douces» qui, par opposition aux connaissances purement techniques («hard skills»), portent sur les traits de personnalité des individus, comme par exemple leur manière de communiquer, leur faculté à s’intégrer dans une équipe ou encore leur capacité de prendre des décisions. Pour les directeurs financiers, cette problématique est en effet primordiale.
«Notre industrie évoluant, il faut des financiers qui comprennent rapidement les enjeux et qui disposent d’une ouverture d’esprit suffisante afin notamment d’apporter des solutions concrètes aux opérationnels», témoigne ainsi Julian Waldron, directeur administratif et financier de Technip. Tandis que ces derniers doivent impérativement travailler à l’amélioration des marges depuis la crise, les équipes financières sont censées les accompagner en devenant de véritables «business partners», ce qui implique notamment pour elles de faire preuve de pédagogie sur les enjeux financiers et d’expliquer comment négocier avec des fournisseurs ou des clients sur les contrats importants.
Or ce type de «soft skills» est loin d’être inné chez de nombreux collaborateurs financiers. «Ces compétences ne sont en effet pas toujours très développées auprès de la communauté financière», constate Gautier Riche, associé chez Kurt Salmon. Très souvent, l’acquisition des compétences douces par les financiers dépend des «mentors» que ces derniers ont rencontrés au fil de leur parcours professionnel. «Beaucoup de financiers issus de grandes écoles n’avaient à l’époque pas conscience des enjeux relatifs au développement de ces compétences, poursuit Nicolas Richard, associé en charge des activités consulting chez KPMG. Et pour cause : se concentrer sur les compétences techniques est souvent une stratégie payante pour trouver un premier poste intéressant.»
Renforcer les liens entre les financiers et les opérationnels
Les grands groupes, notamment ceux du SBF 120, tentent donc de remédier à ces lacunes. «Tous envisagent de mettre en place des formations, et le tiers d’entre eux a déjà débloqué des budgets conséquents pour former leurs cadres financiers à ces compétences», confirme Nicolas Richard. En la matière, Technip fait office de précurseur. Le groupe parapétrolier a en effet lancé, il y a sept ans, le «global leadership program». Tandis que celui-ci s’adresse à l’ensemble des futurs dirigeants de la société, les financiers sont particulièrement concernés. «L’idée est de leur apprendre comment, avec un ensemble de collaborateurs à haut potentiel, ils peuvent créer une équipe efficace et performante, résume Julian Waldron. Le fait que les financiers soient au contact d’opérationnels leur permet d’apprendre à les connaître, à appréhender leurs enjeux et à réaliser qu’un chiffre n’est que le reflet d’une réalité économique.» Ce programme consiste à travailler en équipe sur un cas pratique sélectionné dans le cadre d’une session. Pendant six mois, les candidats, en parallèle de leurs missions quotidiennes, se consacrent à un projet d’amélioration continue, montent un dossier puis le défendent devant le comité exécutif du groupe. Les meilleurs projets pourront ensuite être directement mis en œuvre.
Plus récente dans la plupart des groupes, cette prise de conscience quant à la nécessité de développer les «soft skills» des cadres financiers apparaît souvent quand l’entreprise doit s’adapter à un marché en mouvement. «La SNCF, par exemple, vit des mutations importantes, indique Nicolas Richard. La direction financière a donc dû se saisir de cette problématique !» Le groupe de transport a ainsi mis en place un programme «BU Finance» pour former des responsables financiers de business units (axes TGV, directions régionales TER ou Fret…). Si le programme est modulaire, une session est incontournable : «Mieux communiquer autour de la finance.» «Certains n’en voient pas forcément l’intérêt, mais nous estimons que c’est un prérequis pour piloter un établissement intermédiaire ou une filiale, en particulier pour bien se faire comprendre des non-financiers», souligne Elodie Capitain, responsable de l’Université Finances Groupe. Dans ce module, les financiers sont directement confrontés à des cas réels, comme une réunion où ils doivent présenter les comptes. Au-delà de ce module obligatoire, la formation aborde aussi des aspects comportementaux, comme la négociation dans le module portant sur les contrats. L’objectif est d’apprendre au financier à s’adapter à son auditoire afin de faire passer son message le plus efficacement possible.
En outre, des directeurs financiers travaillant dans la branche train express régionaux (TER) ont également été accompagnés lors de leur prise de poste par un coach externe. «L’objectif était de les aider à prendre du recul, en particulier dans le cadre des relations avec les collectivités territoriales, ajoute Elodie Capitain. Ces dernières supposent, au-delà des connaissances techniques, de bien comprendre les enjeux politiques liés au transport local.» En effet, les régions financent ces transports sur fond de difficultés budgétaires. Les directeurs financiers doivent donc veiller à répondre à leurs demandes, sans pour autant sacrifier l’équilibre de la branche.
Former les financiers de terrain
Outre les responsables financiers, les contrôleurs de gestion sont également sensibilisés aux «soft skills». Un choix jugé essentiel chez Renault, compte tenu du développement du groupe. «Nous travaillons de plus en plus en dehors de l’Europe, dans un monde incertain, explique Anne François, responsable de l’école de la finance chez Renault. Les contrôleurs de gestion permettent d’encadrer cette croissance internationale.» Or cet encadrement ne doit pas constituer un frein à la croissance. Face à de telles exigences, l’«école de la finance» du groupe, qui dépend de la direction financière, a donc mis en œuvre une formation de deux journées de sept heures. «Nous voulions donner aux contrôleurs de gestion les moyens d’animer une réunion efficacement et de présenter un budget simplement, car ils sont souvent les seuls représentants locaux de la direction financière du groupe et doivent faire passer des messages simples concernant des situations souvent complexes», poursuit Anne François. Dans le cadre de groupes d’une dizaine de personnes, quelques outils pratiques leur sont donnés sur des thèmes tels que «l’interculturel» pour éviter les malentendus, «savoir poser les bonnes questions» pour obtenir plus facilement les informations de la part des opérationnels, ou encore «comment adapter son message à son interlocuteur» afin de rester simple et concis. En formant quelques-uns de ses 600 contrôleurs de gestion, le groupe entend ainsi avoir des partenaires privilégiés pour les opérationnels.«Nous avons toujours besoin de bons techniciens et d’experts, mais la posture “business partner” permet de rendre la fonction encore plus performante», souligne Anne François.
Si ces formations peuvent représenter un investissement important pour les collaborateurs qui les suivent, l’étendue de leur champ de compétences qui en résulte leur ouvre des perspectives professionnelles intéressantes. «Les financiers capables de faire face à ces enjeux sont ceux qui pourront prendre des responsabilités rapidement au sein de l’entreprise», confie par exemple Julian Waldron. De quoi aiguiser l’intérêt conjoint des entreprises et des financiers pour les «soft skills».
Les séminaires, une formule qui séduit
Sans qu’il soit nécessaire de mettre en place des formations étendues sur plusieurs mois, des séminaires organisés sur quelques jours peuvent suffire à nourrir un dialogue constructif entre opérationnels et financiers. C’est par exemple la solution retenue par le groupe de transport Keolis. «Nous faisons venir, tous les deux mois, des opérationnels pour parler de leur métier au sein de la direction financière, témoigne Jean-Michel Archambault, directeur financier France et directeur du contrôle de gestion groupe.Nous avons également des séminaires à destination des directeurs financiers.» Tandis que le groupe se développe à l’étranger, il a par exemple organisé en avril dernier un module consacré à la construction de la filière finance à l’international.
- Les derniers séminaires du groupe ont également été l’occasion d’accueillir des économistes pour décrypter la conjoncture, ainsi que des sportifs de haut niveau pour travailler sur la manière de mobiliser ses équipes ! «Le même type de séminaires s’adresse aussi aux contrôleurs de gestion qui sont garants de notre développement rentable en France et à l’étranger», précise Jean-Michel Archambault. Les 90 financiers concernés ont notamment bénéficié, fin mai 2015, d’une grand-messe de deux jours pour les aider dans leur rôle de business partners.
- De son côté, Renault propose à ses contrôleurs de gestion des conférences sur des sujets d’actualité. Prochainement, il sera par exemple question du «big data et des objets connectés».
«Business partner», une notion difficile à appréhender pour les financiers
- Qu’il s’agisse du contrôleur de gestion ou du directeur financier, une même question ressort souvent : qu’est-ce qu’un business partner ? Tandis que chacun l’utilise pour signifier qu’un financier doit être plus proche du terrain et des opérationnels, la notion ne semble toutefois pas aussi claire chez les professionnels de la finance. «Comme les travaux académiques le montrent, ce terme générique renvoie à différentes réalités», souligne Olivier Saulpic, professeur au sein d’ESCP Europe, qui dirige notamment le programme NewCFO’s du groupe SNCF. Nous avons donc mis en place des modules où les financiers peuvent s’interroger sur leur rôle, échanger avec leurs pairs et prendre aussi conscience de ce qu’attendent d’eux les opérationnels de leur entreprise.»
- Chez Renault, des ateliers de réflexion, réunissant 5 ou 6 contrôleurs de gestion, abordent également la question de la posture d’un business partner. «Ces derniers savent que ce rôle est plus exigeant, mais ils apprennent à se positionner par rapport à leur fonction de contrôleur de gestion et à l’activité qu’ils encadrent», souligne Anne François, responsable de l’école de la finance chez Renault. Un apprentissage qui passe notamment par la mise en place de jeux de rôle.