Directions financières : le retour des contrats courts

Publié le 17 juin 2024 à 15h56

Anne del Pozo    Temps de lecture 8 minutes

Si les CDI demeurent actuellement le type de contrats privilégiés par les entreprises pour recruter des financiers en remplacement des collaborateurs sur le départ, les recrutements temporaires gagnent du terrain, en particulier pour mener à bien des missions très spécifiques.

Certes, les recrutements actuels continuent de se signer principalement en CDI, le remplacement étant toujours le premier motif d’embauche des financiers (Fed Finance, février 2024). Une tendance qui s’était d’ailleurs renforcée après la Covid-19, les entreprises cherchant alors à stabiliser leurs équipes dans un contexte de relance économique et de turnover important. La relance économique post-Covid a également été favorable à la création de postes dans les entreprises, notamment en finance et, toujours dans un souci d’attractivité et de fidélisation des candidats, la tendance était plutôt au CDI. Selon Fed Finance, plus d’un tiers des recrutements l’an passé ont été des créations de postes en CDI en 2023. « Le marché de l’emploi dans la finance étant particulièrement tendu depuis plusieurs années, les entreprises cherchent naturellement à consolider leurs équipes en place et privilégient à ce titre les contrats à durée indéterminée, constate Albane Armand, regional managing director France chez Robert Half Int. France. Jusqu’au début de cette année, dès lors qu’un collaborateur en CDI quittait l’entreprise, il était alors remplacé par un nouveau contrat de même nature, la plupart du temps en CDI ».

Une stabilisation des recrutements en CDI

Néanmoins, après cette euphorie de la reprise post-Covid, le marché est désormais impacté par des tensions économiques (inflation, conflits à l’étranger, JO 2024, etc.) et depuis le début de l’année 2024, le marché du recrutement en CDI se stabilise. Globalement les entreprises continuent donc à recruter selon leurs besoins, dans la continuité de 2023, mais le volume des offres tend légèrement à la baisse, notamment en ce qui concerne les créations de poste. « Depuis le début de l’année, la tendance semble s’inverser et nous notons des réflexions plus profondes au sein des entreprises lorsqu’un financier en CDI est sur le départ », explique pour sa part Sébastien Denis, senior practice manager chez Michael Page. Les entreprises se laissent en effet aujourd’hui davantage de temps pour confirmer un poste en CDI. Elles sont plus prudentes dans leur prise de décision. Une certaine frilosité qui conduit à plus d’internalisation des recrutements et des process qui s’allongent. « Si un poste n’arrive pas à être stabilisé au sein d’une organisation, en raison soit de son turnover, soit de sa position hybride, alors l’entreprise prend le temps de s’assurer de sa viabilité et de son intérêt pour le développement de son activité, en privilégiant d’abord le recours au CDD ou à l’intérim, avant de transformer éventuellement le contrat en CDI, poursuit Sébastien Denis. C’est par exemple le cas en ce moment pour les profils de DAF recrutés pour accompagner le développement de la performance financière de l’entreprise, mais aussi pour des trésoriers ou des credit managers. Dernièrement, nous avons même eu une demande pour un poste de consolideur sur un contrat à durée déterminée. » De même, le recours aux contrats temporaires, à l’intérim ou même à des managers de transition répond également aux besoins urgents de recrutements, suite par exemple à un arrêt maladie.

Un choix de contrat selon le profil du candidat et la nature de la mission

Au-delà de cette tendance de fond, la nature du contrat est également conditionnée par le poste, les compétences attendues et la ou les missions à remplir. Certes, certaines fonctions telles que la comptabilité sont ainsi immuables dans les entreprises et les contrats proposés restent alors souvent en CDI. A l’inverse, des postes peuvent être créés ou des équipes renforcées dans le cadre de la mise en place d’un nouveau projet ou d’une nouvelle réglementation. Les entreprises vont alors privilégier le recours à des contrats plus flexibles comme l’intérim ou le management de transition. « C’est par exemple le cas actuellement avec la mise en place de la réglementation sur la CSRD ou l’intégration des données extra-financières dans les comptes de résultats, explique Sébastien Denis. A cet effet, les entreprises renforcent leur équipe de contrôleurs de gestion. Cependant, comme peu de formations existent encore sur le sujet, les compétences manquent sur le marché. Elles privilégient alors les contrats plus flexibles pour s’assurer de leurs expertises sur le sujet ou les former en interne, avant de les transformer en CDI. » Chez Delville Management, une mission sur cinq réalisée par un manager de transition se transforme ainsi en CDI à la fin du contrat.

«Les entreprises privilégient actuellement les contrats plus flexibles pour s’assurer de l’expertise des candidats, avant de transformer ces contrats en CDI.»

Sébastien Denis senior practice manager ,  Michael Page

D’autre part, ces contrats ou missions à durée temporaire permettent d’apporter un soutien aux équipes en place, le temps qu’elles acquièrent les compétences nécessaires au respect par exemple de ces nouvelles réglementations. « Un DAF en poste ne saura pas toujours comment faire ce reporting extra-financier, explique Alexandra Cadic, Directrice générale adjointe de Delville Management, société spécialisée dans le management de transition. Un manager de transition ayant une expertise sur le sujet pourra alors l’accompagner dans la mise en place de ce reporting et le former pour qu’il devienne ensuite autonome. » De même, les entreprises qui réalisent des opérations de M&A, de mise en place de LBO ou encore de carve-out, tendent également à privilégier le recrutement en CDD ou à recourir à des managers de transition pour mener à bien ces projets temporaires, plutôt qu’à des CDI.

« Ces contrats permettent aux entreprises de répondre à leurs besoins en compétences pour des projets de transformation quels qu’ils soient : projet de transformation digitale, de recentrage d’activité ; ils sont également plébiscités lorsqu’elles doivent mettre en place des missions de retournement, poursuit Alexandra Cadic. Les entreprises bénéficient ainsi de ressources expertes dans leur domaine, et directement opérationnelles. »

Des candidats moins exigeants

Parallèlement à cette tendance, les candidats sont également moins exigeants aujourd’hui sur la nature de leurs contrats. Le marché de l’emploi étant en tension, ils n’hésitent pas à prendre des risques et à s’ouvrir à de nouvelles opportunités professionnelles, même si le poste est proposé pour une mission temporaire. « Post-Covid, nous constatons que les profils de financiers sont souvent davantage intéressés par l’intérêt de la mission et la valeur qu’elle va leur apporter pour le reste de leur carrière, que par le prisme du véhicule contractuel », explique Albane Armand.

Selon les cabinets de recrutement, les candidats sont même prêts à baisser certaines de leurs exigences, notamment en termes de rémunération et de nature de contrat, pour entrer dans une entreprise avec une belle marque employeur ou accepter un nouveau challenge ou une mission intéressante. Une tendance qui fait ainsi la part belle aux indépendants, intérimaires ou managers de transitions (voir encadré).

Les indépendants, le vent en poupe

« 40 % de nos profils managers de transition sont actuellement titulaires d’une SASU et interviennent donc en qualité d’indépendants. » Pour Albane Armand, regional managing director France chez Robert Half Int. France, la tendance est au recrutement d’indépendants. C’est le cas dans la finance. « Nous avons réalisé une croissance de 20 % de notre activité en 2023, une dynamique qui se poursuit cette année encore, affirme Alexandra Cadic, directrice générale adjointe de Delville Management. Gage que cette typologie de contrat est particulièrement bien adaptée aux métiers de la finance, 25 % de nos missions sont dans ce secteur. D’ailleurs, de plus en plus de professionnels de la finance d’entreprise s’orientent vers le management de transition après plusieurs années passées dans des entreprises en CDI. » Auparavant l’apanage des financiers de plus de 50 ans avec une expérience professionnelle, le management de transition séduit aujourd’hui les plus jeunes. « Nous commençons à voir des financiers de 40/45 ans qui renoncent à leur CDI pour se lancer dans le management de transition, note Alexandra Cadic. Outre la diversité des missions qu’ils peuvent mener, les managers de transition apprécient également la liberté d’action offerte par ces contrats temporaires. » Entre les besoins des entreprises et les attentes des candidats, le marché de l’emploi dans la finance pourrait donc trouver un juste équilibre dans les mois à venir.

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