Métier

Economiste, un profil rare et d’envergure

Publié le 11 décembre 2015 à 11h38    Mis à jour le 11 décembre 2015 à 18h22

Astrid Gruyelle

Le métier d’économiste a gagné en reconnaissance ces dernières années, tant dans les entreprises que dans les sociétés de gestion. Si les recrutements pour ce type de postes restent limités, ils concernent des profils hautement qualifiés et expérimentés.

Laurent Clavel a été nommé économiste international senior chez Axa IM en septembre dernier, tandis que Frederik Ducrozet, a rejoint Pictet Wealth Management ce mois-ci en tant qu’économiste responsable de l’Europe. Plusieurs économistes sont ainsi récemment venus étoffer les équipes des sociétés de gestion. Rares pour être notées, ces nominations montrent aujourd’hui l’importance que revêt le métier d’économiste. Qu’il soit exercé dans une société de gestion, une banque, une compagnie d’assurances ou même en entreprise, ce dernier présente la même caractéristique. «Le rôle des économistes consiste à analyser les tendances sur les marchés en s’appuyant sur une vision d’ensemble pour une zone géographique ou un secteur d’activité donnés», explique Anne-Sophie Luçon, manager exécutif senior de la division banque et assurance de Michael Page. De leur analyse dépend ensuite toute la stratégie de la structure dans laquelle ils travaillent. «Ils doivent faire preuve d’un très haut degré de précision car les décisions qu’ils prendront auront une grande influence», souligne Anne-Sophie Luçon. De ce fait, les économistes travaillent généralement en lien étroit avec la direction. Dans le cadre d’une petite équipe, comme chez CPR AM qui emploie trois économistes ou chez Saxo Bank qui dispose d’un unique économiste pour la France, ils sont placés sous la supervision du directeur général. Lorsque les effectifs sont plus importants, ils sont le plus souvent encadrés par un chef économiste. «Celui-ci supervise généralement des profils juniors et seniors, indique Romain Boisnard, associé au sein du cabinet de recrutement Tillerman. Les premiers sont chargés d’effectuer une analyse quantitative des données, tandis que les seconds, souvent spécialisés par zone géographique, doivent apporter un éclairage plus qualitatif.»

Des doctorants plébiscités

Le métier d’économiste requiert donc au préalable une solide formation. Les profils recherchés sont ainsi pour la plupart issus d’écoles ou d’universités renommées. «Nos économistes sont le plus souvent diplômés de Sciences Po, de l’université Paris-Dauphine et de l’Ensae», note ainsi Pascal de Bazelaire, directeur des ressources humaines métiers de la banque de grande clientèle au sein de Natixis. Cette dernière école est particulièrement prisée par les recruteurs.«L’Ensae propose deux principales filières pour devenir économiste : “marchés et entreprises” et “prévision et politique économique”, indique Lionel Wilner, directeur des études de l’Ensae. Les étudiants issus de la première voie peuvent devenir économistes dans une entreprise ou dans l’organisme de régulation d’un secteur. Ceux qui ont suivi la deuxième voie se tournent plutôt vers une carrière de macro-économiste, notamment au sein de la direction générale du Trésor, de l’OCDE ou encore de la Banque de France.»

Avant de parvenir à ce type de fonction, les économistes ont néanmoins de nombreuses années d’études à effectuer. «Après avoir été embauché au sein du service d’études économiques de la Société Générale Asset Management (devenue Amundi), j’ai décidé de m’atteler à la rédaction d’une thèse en parallèle de mon travail, explique Julien Marcilly, économiste en chef de Coface depuis février dernier. Il s’agit d’un passage nécessaire pour poursuivre une carrière d’économiste car il montre notre capacité à analyser et à approfondir un sujet.»

Des profils expérimentés

Outre des formations de haut niveau, les économistes cumulent souvent des expériences complémentaires. «Nous lançons des recherches auprès de profils provenant de trois environnements différents : les institutions financières, les agences de notation et les agences de recherche économique publiques, comme le FMI, l’OCDE ou la BCE, note Romain Boisnard. Les meilleurs profils sont ceux qui cumulent ces trois types d’expérience. Nous avons ainsi dernièrement recruté pour une compagnie d’assurances un docteur en économie, qui avait travaillé au FMI, puis au sein d’une agence de notation, avant d’être responsable de la recherche macroéconomique pour une grande banque française.» De fait, les profils demandés sont souvent des seniors. «Pour des postes d’économistes, les recruteurs recherchent des profils ayant entre 10 et 15 ans d’expérience, spécialisés soit sur les pays émergents, soit sur les pays développés, poursuit Romain Boisnard. Lorsqu’ils recrutent un chef économiste, ils retiennent des profils ayant encore davantage d’expérience, parfois jusqu’à 30 ans, ainsi que des connaissances sur l’ensemble des zones géographiques.»

Un rôle de communication

Ces années d’expérience garantissent une vision globale des problématiques économiques qui pourra être partagée en interne.

«Au sein de Coface, je dirige une équipe d’économistes basés en France et à l’étranger, en charge de la rédaction d’études macroéconomiques, mais aussi sectorielles, explique Julien Marcilly. Notre service intervient en support des arbitres, qui gèrent les demandes d’assurance de la part des clients et s’appuient sur nos études pour évaluer les niveaux de risque. Nous les alertons si ceux-ci se détériorent et ils nous interpellent à leur tour s’ils observent des dégradations de paiement dans un pays ou un secteur.» Un rôle qui nécessite de disposer de compétences de communication. «La formation au sein de Sciences Po prépare bien à s’exprimer à l’oral de manière concise, relève Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank France. Le directeur général ne dispose souvent que de peu de temps, il faut donc savoir aller à l’essentiel. Il est également nécessaire de s’adapter au niveau de compréhension des équipes en interne.»

Cette capacité à communiquer efficacement tend d’ailleurs à prendre davantage de place dans la fonction d’économiste au fil des années.«Notre rôle d’économiste s’est enrichi désormais avec celui de stratégiste et d’analyse des impacts éventuels sur les différents marchés de chacun des phénomènes que nous observons et nous interagissons davantage avec les gérants», constate ainsi Laetitia Baldeschi, économiste de marchés chez CPR AM. Cette mission est par ailleurs de plus en plus tournée vers l’extérieur. «J’accompagne les commerciaux lors de leurs rencontres avec les clients, ajoute Laetitia Baldeschi. De plus, nos présentations sont régulièrement diffusées auprès des clients et des médias.»

Outre cette capacité à s’exprimer, les économistes doivent surtout maîtriser un domaine d’expertise. Il peut s’agir d’une zone géographique ou d’une thématique. «Même si nous traitons tous les sujets, chaque membre de l’équipe dispose d’une spécialisation, explique Laetitia Baldeschi. Pour ma part, je m’occupe du Japon, des pays émergents, ainsi que des problématiques budgétaires dans la zone euro.» Pour les doctorants, le domaine de spécialisation est souvent issu du sujet de leur thèse. «J’avais rédigé ma thèse sur le développement des marchés obligataires dans les pays d’Asie émergents, témoigne Julien Marcilly. Ce sont d’ailleurs les pays émergents qui constituent encore aujourd’hui mon principal thème de travail.»

Un nombre de postes limité

La multiplicité des compétences nécessaires pour occuper la fonction d’économiste rend leur recrutement difficile. «Nous recourons essentiellement au réseau des membres de l’équipe lorsque nous cherchons un candidat, explique Dominique Neige, responsable ressources humaines en charge de la recherche global market et cash equity au sein de Natixis. Les économistes forment un cercle restreint de personnes qui se connaissent, soit en tant que camarades de promotion, soit comme anciens collègues, ou encore dans le cadre de cercles de réflexion.» Mais pour les recruteurs, il est difficile de convaincre les économistes de quitter leur poste. «Nous repérons aisément des profils d’économistes, généralement très visibles sur Internet, que ce soit via les réseaux sociaux ou encore par le biais des sites des institutions pour lesquelles ils travaillent, relève Anne-Sophie Luçon. Pour autant, il nous faut leur présenter un projet qui soit attractif pour les convaincre de quitter une structure dans laquelle ils sont bien souvent valorisés et reconnus comme les spécialistes dans leur secteur.» En outre, les recruteurs sont confrontés au problème des niveaux de salaire lorsqu’ils repèrent des candidats issus du public. «Les économistes issus d’organismes publics sont extrêmement bien rémunérés (leurs salaires bruts étant soumis à moins de charges que dans le privé), il est donc difficile de les persuader de quitter leur poste pour leur proposer une évolution dans le privé», note Romain Boisnard.

Même si des recrutements ont eu lieu ces derniers temps, ceux-ci restent toutefois limités. D’abord, il s’agit essentiellement de recherches de candidats en vue d’un renouvellement. «Nous recevons des demandes de recruteurs pour des postes d’économistes depuis déjà plusieurs années, mais celles-ci restent très ponctuelles et concernent peu de créations de postes», observe Anne-Sophie Luçon. Ces dernières sont d’autant plus rares qu’elles sont perçues comme coûteuses. «Le besoin en économistes est assez restreint, surtout que le recrutement d’un tel profil est souvent considéré comme un coût», confirme Christopher Dembik. Néanmoins, il s’agit d’une fonction clé dont les structures ne peuvent se passer. «Les rebondissements macroéconomiques de cette année, comme le ralentissement de l’économie chinoise ou encore la faible croissance en zone euro, font que de plus en plus de structures ont besoin d’anticiper», constate Romain Boisnard. Une chose est sûre, compte tenu des difficultés à prévoir les changements macroéconomiques en 2016, le rôle des économistes devrait être encore important cette année.

Des perspectives de carrière restreintes

. Pour un économiste, la progression la plus courante consiste à devenir chef économiste. Il est également possible d’évoluer d’une structure à une autre, en passant par exemple d’un poste d’économiste de banque à celui d’économiste en société de gestion. «Le développement de carrière d’un économiste reste toutefois relativement limité, note Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank France. Nous ne disposons pas nécessairement des compétences opérationnelles pour devenir gestionnaire de fonds. Nous avons en revanche la possibilité d’intégrer un ministère ou un organisme public, ou encore de créer une entreprise de conseils.»

. Autre voie possible, surtout pour les profils plus juniors : le journalisme. «Les économistes ont l’habitude de s’entretenir avec des interlocuteurs de la presse spécialisée», relève Anne-Sophie Luçon, manager exécutif senior de la division banque et assurance de Michael Page. Leur capacité à vulgariser de l’information économique technique peut être un atout dans ce métier.

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