Les recrutements ne relèvent pas d’une science exacte : des candidats peuvent être compétents sur le plan technique sans parvenir à s’intégrer au sein des équipes. Pour limiter le risque d’erreurs, certaines entreprises commencent à faire évoluer leurs processus d’embauche, en accordant une importance croissante aux qualités comportementales des candidats.
Afin de compléter ses équipes en charge du contrôle financier, Groupe Atlantic (1,66 milliard d’euros de chiffre d’affaires) a procédé, il y a plusieurs mois, au recrutement d’un collaborateur. En termes de compétences financières, ce dernier présentait toutes les qualités requises pour le poste. Et pourtant… «En dépit de son expertise métier, nous avons donc dû nous en séparer, témoigne Jean-Philippe Fraix, contrôleur financier international au sein de l’entreprise spécialisée dans le confort thermique et co-président de la région Bretagne-Pays de la Loire de l’Association française des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG). Dans le cadre de nos process de reportings financiers ou de construction budgétaire, nous réalisons régulièrement des consolidations entre nos différentes entités selon un planning précis. Afin de respecter les délais que nous nous fixons, le partage d’informations et l’entraide dans et entre les différentes équipes sont essentiels. Or cette personne n’est pas parvenue à s’intégrer au reste de son équipe.» Un échec lié à une personnalité trop individualiste.
Peu de déceptions liées aux hard skills
La direction financière du Groupe Atlantic est loin d’être la seule à avoir été confrontée à ce scénario. Selon une étude de Robert Half publiée fin 2018, 76 % des 305 directeurs généraux et des 200 directeurs financiers français interrogés admettaient avoir déjà embauché un collaborateur qui ne s’intégrait pas à l’équipe. Parmi les principaux défauts observés figurent ainsi le manque d’esprit d’équipe (45 %) et l’incapacité à collaborer avec ses collègues ou à faire preuve d'autonomie (33 %). Le défaut de compétences purement techniques n’a été à l’origine du départ prématuré du candidat que dans moins d’un cas sur cinq (19 %).
Pour éviter de (re)vivre pareille mésaventure, de plus en plus d’entreprises, et notamment de directions financières, cherchent à mieux valoriser le savoir-être (autrement appelé les «soft skills») des candidats dans leurs processus de recrutement. Dans une étude publiée le mois dernier par Adzuna (moteur de recherche consacré aux offres d’emploi), 80 % des annonces en France contenaient ainsi parmi les critères exigés une ou plusieurs compétences liées au savoir-être (organisation, rigueur, motivation…). «Certes, dans la finance, les compétences techniques des candidats sont importantes, indique Eric Mériau, président du Groupe Looten (grossiste spécialisé dans le négoce de fournitures industrielles, 27 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018) en charge de la finance et des ressources humaines, et président région des Hauts-de-France de l’Association des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG). Nous estimons néanmoins, dans notre entreprise, qu’elles ne représentent que 30 % de la valeur d’un candidat, contre 70 % pour son potentiel comportemental. Ses capacités d’intégration, sa motivation, son ouverture d’esprit, sa façon d’anticiper les besoins présents et à venir, sa façon de s’organiser pour remplir ses missions dans les délais propres à son métier… sont ainsi autant de qualités essentielles que nous cherchons à identifier chez les candidats que nous recevons en entretien.»
Une refonte du déroulé des entretiens d’embauche
Ces capacités d’adaptation sont tout particulièrement requises par les entreprises qui ont de fortes ambitions en matière de développement et de croissance externe. C’est par exemple le cas chez Visiativ, éditeur et intégrateur de solutions logicielles dont le chiffre d’affaires est passé de 50 millions d’euros en 2014 (lors de son introduction en Bourse) et 350 salariés à 163 millions d’euros en 2018 et 1 000 salariés.
«En termes de recrutement, notre stratégie de développement soulève différents enjeux, explique Olivier Stephan, directeur général finance et fonction supports et président région Auvergne Rhône-Alpes de la DFCG. Nous devons notamment anticiper sur nos besoins à venir en matière de compétences métiers. A cet effet, les candidats doivent certes avoir des compétences métiers, mais également un fort potentiel d’adaptabilité et d’évolutivité (les fameuses “soft skills”), que nous nous attachons à vérifier lors de l’entretien.»
Pour détecter les soft skills chez les candidats, certaines entreprises choisissent ainsi de mettre en place des techniques particulières d’entretien. Par exemple, les entretiens d’embauches du Groupe Atlantic sont dorénavant effectués d’abord par les consultantes psychologues internes dédiées au processus de recrutement et le N+1. «Les consultantes font passer des tests aux candidats afin d’établir leur profil psychologique, de valider leurs soft skills et leur capacité à adopter les valeurs de l’entreprise, précise Jean-Philippe Fraix. Nous avons notamment des exigences particulières en termes d’ouverture d’esprit, comme le droit à l’erreur. Si un candidat ne partage pas nos valeurs, nous ne poursuivrons pas le processus de recrutement et ce, même s’il a les compétences métiers requises pour le poste. A l’inverse, s’il partage nos valeurs, nous serons prêts à le recruter même si nous devons le former pour qu’il acquière les compétences métiers qui lui feraient défaut.»
Un appui sur les réseaux professionnels
Nombre de responsables financiers s’appuient également sur les recommandations des réseaux professionnels, tels que les associations ou les réseaux sociaux professionnels, pour s’assurer des compétences et du savoir-être des candidats potentiels. «La DFCG compte parmi ses membres des cabinets d’audit, des cabinets de recrutement et, bien entendu, des directeurs administratifs et financiers et des contrôleurs de gestion, signale Eric Meriau. Nous chercherons toujours un adhérent qui pourrait avoir un point de vue à partager sur le candidat potentiel que nous avons détecté, sa fiabilité et ses compétences tant comportementales que techniques.» C’est aussi de cette manière que Visiativ a entériné le choix d’un contrôleur de gestion. «Il nous avait été recommandé par un membre de la DFCG, qui est un vrai réseau de partage et de confiance», confirme Olivier Stephan. A l’heure où le digital transforme en profondeur les entreprises, le bouche-à-oreille reste incontestablement un vecteur de réussite, y compris dans le domaine du recrutement.
La tentation de l’intérim
Plutôt que d’embaucher directement un collaborateur en CDD ou CDI, certains responsables de direction financière préfèrent recourir à l’intérim, y compris pour des postes à responsabilité. La démarche permet ainsi au recruteur comme au candidat de s’assurer, au-delà de l’adéquation des compétences métiers avec le poste, de leur faculté à travailler ensemble. «Pour recruter notre directrice contrôle de gestion actuelle, nous sommes passés par Michael Page Interim de Lyon, témoigne Olivier Stephan, directeur général finance et fonction supports et président région Auvergne Rhône-Alpes de la DFCG. Une démarche qui a permis, à elle comme à nous, de vérifier que notre description de fonction était adaptée et nos méthodes de travail compatibles.»
La facture élevée des erreurs de recrutement
En tenant compte du temps passé et des dépenses inhérentes au recrutement (chasseur de têtes…), des frais éventuels liés à la formation du candidat, des salaires versés et des charges liées au recrutement du successeur, une erreur de casting coûterait, selon la société de conseil Securex, au moins 35 000 euros ! Et encore, la facture peut aisément dépasser 50 000 euros lorsqu’il s’agit d’un cadre et 150 000 euros pour un membre de la direction.
Questions à… Aurélia Pavillon, directrice chez Robert Half (Aix-en-Provence)
Quelle importance consacrez-vous aux soft skills dans les processus de recrutement ?
Nous nous rendons compte que les soft skills occupent aujourd’hui une part dominante des processus de recrutement. C’est notamment le cas dans les fonctions financières, longtemps restées focalisées sur l’expertise technique et métier des candidats. Cette nouvelle approche est la conséquence de l’évolution du rapport de chacun avec son travail et son entreprise. Aujourd’hui, la génération Y (personnes nées entre 1980 et l'an 2000) est plus mobile et moins attachée à son entreprise qu’à son bien-être personnel. Elle a une vision court terme de son parcours professionnel. Pour s’assurer que les candidats s’engageront et s’investiront dans l’entreprise, qu’ils sauront faire preuve d’un esprit d’équipe et prendre en compte le collectif et l’intérêt général, il est donc important que le recruteur adapte ses processus de recrutement et se penche davantage sur leur comportement et leur savoir-être.
Comment les recruteurs peuvent-ils s’adapter ?
Aujourd’hui, le recrutement s’articule autour de l’intelligence émotionnelle. Il est notamment important, durant les entretiens, de mettre le candidat à l’aise, de ne pas lui poser de question piège afin de bien identifier ses attentes, ses leviers de motivation. Il faut s’intéresser à la personne autant, si ce n’est plus, qu’à son expertise. A cet effet, les recruteurs s’appuient notamment sur des tests de personnalités, les réseaux sociaux ou encore les recommandations d’anciens employeurs.