Face à l’essor du marché de l’investissement socialement responsable (ISR), les sociétés de gestion recrutent des analystes extra-financiers et des gérants. Pour travailler dans ce secteur, il faut disposer à la fois de compétences en finance et de convictions en matière de développement durable.
De plus en plus de particuliers et d’investisseurs institutionnels décident d’investir dans des entreprises qui émettent moins de carbone et qui sont plus vertueuses en matière d’emplois et de gouvernance. L’envolée du marché de l’investissement socialement responsable (ISR) en témoigne. En France, l’encours des 410 fonds dits ISR, c’est-à-dire gérés en tenant compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), a atteint 130 milliards d’euros (+ 8,8 %) au troisième trimestre 2017 selon le centre de recherche Novethic.
«Les particuliers et les institutionnels investissent de plus en plus dans les fonds ISR car ils veulent que leur placement ait plus de sens, et ces fonds offrent la même rentabilité, voire parfois une performance supérieure aux produits classiques», souligne Gaëtan Obert, global head of sustainability chez BNP Paribas Asset Management. Pour faire face à une telle croissance, les sociétés de gestion étoffent leurs équipes dédiées à la finance responsable. «En 2017, les sociétés de gestion, mais aussi des fonds d’investissement ont recruté dans ce secteur, et ce mouvement devrait se poursuivre en 2018», estime Arnaud Rotty, responsable du secteur financier chez Birdeo, un cabinet de recrutement spécialisé en RSE et développement durable.
C’est notamment le cas chez BNP Paribas Asset Management, l’un des leaders du marché. En 2017, la société a renforcé ses équipes ESG et créé un centre d’expertise, le «sustainability center», pour promouvoir l’analyse et la promotion de l’ISR. Dirigé par Gaëtan Obert, ce centre comprend 13 experts en ESG, dont huit analystes.
Des sociétés de gestion plus petites ont également étoffé leurs équipes en matière d’ESG. Par exemple, Sycomore Asset Management compte désormais sept analystes-gérants spécialisés – contre trois en 2015 – sur un total de 21 personnes. La raison ? «Les fonds et mandats ISR représentent désormais plus d’un tiers des encours de Sycomore, soit environ 3 milliards d’euros», explique Bertille Knuckey, responsable de la recherche ESG et cogérante des fonds Sycomore Sélection Responsable et Sycomore Happy@Work.
Mirova, filiale de Natixis Asset Management, qui a décidé quant à elle de ne faire que de l’investissement socialement responsable, a également vu ses effectifs nettement augmenter l’an passé. Créée en 2012 par Philippe Zaouati et Anne-Laurence Roucher, deux financiers de Natixis passionnés par le développement durable, elle comptait alors 25 personnes. Mirova en emploie aujourd’hui 70. «Nous avons parié sur la croissance d’une autre finance que celle qui a mené à la crise de 2008, sur celle de l’investissement responsable pour financer un monde durable et soutenable pour nos petits-enfants, déclare Anne-Laurence Roucher, directrice générale déléguée de Mirova en charge du développement et des opérations. Notre objectif est de concilier développement durable et performance financière.»
Les analystes ESG recherchés
Face à l’envolée du marché, les analystes ESG sont particulièrement sollicités.
«Nous avons embauché deux analystes ESG l’an dernier, et cette année, nous allons en recruter un autre, dédié à la sélection des investissements solidaires, indique Gaëtan Obert, de BNP Paribas Asset Management. Les analystes dits extra-financiers sont de plus en plus recherchés dans notre secteur, face à la hausse de l’activité. Leur univers d’analyse augmente sans cesse, s’étendant désormais aux émetteurs des pays émergents, et de nouveaux marchés se développent, avec les obligations vertes et l’investissement solidaire.»
Comme il n’existait pas de formation d’analyste ESG jusque très récemment (voir encadré), cette discipline étant relativement récente, les sociétés recherchent souvent des personnes dotées d’une expérience dans ce domaine. «Nous recrutons des analystes extra-financiers disposant de quelques années d’expérience, et passionnés par le développement durable», souligne Gaëtan Obert.
Les jeunes diplômés ayant des compétences à la fois en finance et en développement durable ont également leurs chances.«Chez nous, les analystes possèdent une double compétence en finance et en développement durable, et ils sont aussi gérants», explique Bertille Knuckey, de Sycomore. Bertille Knuckey, qui a rejoint Sycomore AM en 2015, détient d’ailleurs elle-même un master d’économie politique internationale de la London School of Economics et un master en environnement et développement durable de Sciences Po Paris.
Un métier de conviction
Certaines sociétés, à l’instar de Mirova, recherchent également des gérants. Au cours des dernières années, Mirova a recruté 25 gérants spécialisés en infrastructures (hôpitaux, énergies renouvelables, etc.) pour des fonds spécialisés dans cette classe d’actifs, ainsi que des gérants actions et obligations, dont certains se sont spécialisés dans les obligations vertes. Et en 2018, la société compte continuer d’en embaucher. «Les gérants que nous recrutons sont généralement des experts, spécialisés dans leur domaine, qui se sont formés sur le terrain à l’ISR, indique Anne-Laurence Roucher qui a appris l’ISR sur le terrain, chez Natixis Asset Management. Au-delà de leur expertise, nous recherchons des gens qui ont une conviction personnelle, qui croient que l’on peut concilier finance et développement durable.» Après avoir obtenu son diplôme de l’Ecole supérieure de commerce de Paris, cette dernière a débuté sa vie professionnelle dans une entreprise d’insertion sociale. «Je me suis posé, dès le début de ma carrière, des questions sur la façon de concilier au mieux performances économiques et sociales», se souvient Anne-Laurence Roucher.
Pour les professionnels du secteur, il n’y a pas de doute : il faut être passionné, mais aussi disposer d’un sens critique assez développé pour travailler dans la finance responsable.«Il faut faire preuve de beaucoup de curiosité et avoir un esprit critique pour investir dans des entreprises en tenant compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, car il y a souvent une grande différence entre leur discours dans ces domaines et la réalité, estime Bertille Knuckey, de Sycomore AM. Il faut aller sur le terrain, être en contact avec les ONG, mener un travail d’enquête afin d’identifier les éventuels problèmes.»
Enfin, souvent, les hommes et les femmes qui se lancent dans la finance responsable y restent ensuite pendant des années. «Il s’agit d’une forme d’engagement : on a des convictions, et on veut qu’elles se réalisent, ce qui demande du temps», souligne Anne-Laurence Roucher. Un métier qui demande donc une grande implication et de la persévérance.
Des formations qui se développent
Si la plupart des professionnels de la finance responsable, qu’il s’agisse des analystes ou des gérants, ont appris le métier sur le terrain, des formations se mettent désormais en place. Kedge Business School vient ainsi de lancer un master of science corporate & sustainable finance, d’une durée de 18 mois, dans ses écoles de Paris et de Marseille, afin de former des professionnels pour ce secteur. Par ailleurs, la plupart des grandes écoles de commerce proposent désormais une formation en développement durable, en dernière année d’étude.