Si le savoir-être et les soft skills sont toujours testés en entretien, la prise de parole en public n’est pas toujours évaluée au moment de l’embauche. Or, au fil des années, lorsqu’un financier gagne en responsabilité, la compétence en communication devient indispensable. Si tous les financiers ne peuvent devenir d’excellents orateurs, ils peuvent tous progresser dans ce domaine.
Les responsables des fonctions finance sont loin d’être tous à l’aise pour prendre la parole en public. « Certains jargonnent, d’autres truffent leur parole d’anglicismes, d’autres encore choisissent de parler à toute vitesse, parfois les trois en même temps, constate Sébastien Lay, formateur en prise de parole en public chez SPIN Compagnie. Leur discours est souvent scolaire et techniquement juste. Beaucoup, que nous recevons, se comportent souvent comme des écoliers qui souhaitent réciter au plus vite une leçon qu’ils connaissent par cœur afin de terminer l’exercice le plus rapidement possible. » Lors de ses sessions de formation, le coach voit régulièrement défiler des profils financiers qui maîtrisent mal le verbe. « Nous avons tous les cas ; certains sont sûrs d’eux, mais trop techniques pour faire passer leur message au plus grand nombre, abonde Frédéric Brouquere, Consultant et formateur, SPIN Compagnie. D’autres sont très introvertis et ne parviennent pas à dire les choses. Nous avons par exemple eu le cas d’un expert-comptable qui était un formidable technicien mais qui n’osait pas parler librement à son client. Développer sa capacité à prendre la parole était alors urgent : il fallait qu’il donne à son client la mesure du risque qu’il encourait. Nous rencontrons également de jeunes collaboratrices et collaborateurs qui n’osent pas prendre la parole face à une hiérarchie qu’ils jugent beaucoup plus expérimentée. »
Des perspectives d’évolution limitées pour les plus introvertis
Pourtant, la maîtrise de la prise de parole est une compétence clé au sein des directions financières. « Il faut bien avoir à l’esprit que plus une personne monte en responsabilité au sein de la fonction finance et plus elle se doit de prendre la parole en public. Elle doit en effet interagir en interne avec les équipes, mais également en externe auprès des partenaires financiers et des actionnaires », constate Jean-Philippe Grégoire, group finance director de l’équipementier dédié aux systèmes industriels pour l’aéronautique Daher, qui ajoute : « A mon sens, un bon contrôleur de gestion qui ne sait pas communiquer n’est pas un bon contrôleur de gestion. En effet, notre rôle consiste à expliquer et à justifier nos positions auprès des commissaires aux comptes, à accompagner les opérationnels dans le pilotage du business, à présenter les résultats au comex ou encore à expliquer les chiffres aux actionnaires. Dans toutes ces situations, la maîtrise de la parole est une compétence clé. » Une analyse largement partagée par Simon Boukara, responsable d’Upward Finance : « Au cours des entretiens d’embauche, la capacité à communiquer est aujourd’hui indispensable. Nous voyons passer de moins en moins de techniciens en chambre et les perspectives d’évolution s’amoindrissent pour les personnalités les plus introverties. »
«Beaucoup de financiers se comportent comme des écoliers qui souhaitent réciter au plus vite une leçon qu’ils connaissent par cœur, afin de terminer l’exercice le plus rapidement possible »
Une progression possible à force d’entraînements
Comment faire, alors, pour progresser ? « Si la maîtrise de certains outils, à l’instar de la langue anglaise ou de l’utilisation de certains logiciels, peut s’apprendre rapidement, l’aisance à l’oral me semble, en revanche, plus complexe à mettre en place pour une personne introvertie », analyse Jean-Philippe Grégoire. Les formateurs se veulent plus optimistes. « Tout le monde peut progresser et devenir un bon orateur, à condition d’être persévérant, de se pardonner les erreurs et de ne pas chercher à tout prix la performance, explique Frédéric Brouquere. Cela passe par des choses très concrètes, en poussant à caricaturer certaines situations, pour mieux montrer les erreurs à éviter. Par exemple, si l’on demande à quelqu’un de raconter sa randonnée, il ne va pas dire “je faisais du hiking et j’ai bumpé dans un caillou”. » En poussant la caricature, il est possible de donner à voir à quel point les tics de langage entravent la communication.
Une posture adaptée
Au-delà de l’évacuation des anglicismes, les coachs s’emploient à déconstruire les préjugés. « Il est intéressant de constater que l’adjectif “théâtral” a une connotation très négative en entreprise. Tout de suite, les personnes formées pensent qu’il n’est pas convenable, ni sérieux de prendre un ton théâtral. Pourtant, ces mêmes personnes sont souvent très admiratives des personnes qui captent l’attention grâce à des notes d’humour et à une posture adaptée, analyse Sébastien Lay. Pour faire faire une bonne présentation, il faut jouer, s’amuser et mettre en place un peu de théâtralité ». En séance, les coachs travaillent sur la voix, la gestuelle et la posture. Trois prérequis qui permettent de faire passer un message. Une attention toute particulière est portée au corps. « Les fonctions finance sont habituées à utiliser leur cerveau tout au long de la journée, souligne Sébastien Lay. Pour être un bon orateur, il faut un alignement du corps et de la tête. En effet, les trois quarts d’une prise de parole en public se vivent physiquement et c’est là-dessus que nous travaillons ». Le coach s’insurge également contre ce conseil éculé d’ « avoir l’air naturel ». « Parler en public n’a absolument rien de naturel. Lorsque l’on doit prendre la parole devant un public, le corps est en situation de stress et il n’a alors qu’une seule envie : partir au plus vite ! La tête se raisonne et veut parler le plus vite possible afin d’en finir. Le meilleur conseil que l’on puisse donner est celui d’être authentique, et de s’amuser dans l’interaction. »
Une nouvelle génération davantage formée à la prise de parole
Au sein des écoles de commerce, les directeurs de programme semblent avoir bien intégré cette donnée : désormais, tous les étudiants en master corporate finance sont amenés à prendre régulièrement la parole en public. « Quand ils arrivent au sein du master, beaucoup d’étudiants savent que la prise de parole en public est leur point faible. Notre rôle est de les préparer au monde de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle chaque matière se termine par un pitch devant un jury », explique Pierre Casanova, corporate finance professor et head of MSc corporate finance, Kedge Business School. Un exercice destiné à préparer les étudiants à leur vie professionnelle. « Le travail du DAF est d’expliquer les chiffres et donc de pitcher », souligne Pierre Casanova.
Une dizaine d’heures au moins de formation
Il existe désormais une myriade de formations de prise de parole en public. Certaines prédisent des miracles, d’autres, plus réalistes, s’inscrivent dans le temps long. Il faut ainsi a minima une dizaine d’heures de formation pour atteindre les premiers résultats. En dix heures, il est possible de décortiquer les tics de langage et les automatismes de la personne formée avant de travailler sur ses postures et sa gestuelle. « L’une des clés pour progresser reste la pratique. Plus une personne sera amenée à prendre la parole, plus elle pourra ajuster son élocution et sa posture », détaille Frédéric Brouquere. Une clé du succès pour les financiers qui souhaitent gravir les échelons : « le très bon DAF reste sans conteste celui qui sait adapter son discours à ses interlocuteurs », souligne Jean-Philippe Grégoire. Une réalité qui n’est pas toujours admise par les financiers…