Métier

Fiscalistes, des profils difficiles à recruter

Publié le 29 janvier 2016 à 16h29    Mis à jour le 29 janvier 2016 à 18h22

Astrid Gruyelle

Particulièrement prisés, les fiscalistes d’entreprise ont l’habitude d’être régulièrement sollicités par les recruteurs. De quoi accroître leurs exigences et contraindre les entreprises à multiplier leurs arguments pour les convaincre de les rejoindre.

Les besoins en fiscalistes d’entreprise ne se tarissent pas. Ils devraient même progresser cette année car les sociétés ont tendance à internaliser de plus en plus la fonction fiscale. Compte tenu des nouvelles contraintes réglementaires auxquelles elles doivent faire face, notamment dans le cadre de leur internationalisation, elles ne peuvent plus se limiter à faire appel à des compétences externes. «Internaliser cette fonction permet notamment aux entreprises d’optimiser leurs coûts, constate ainsi Mélanie d’Adesky, manager exécutif senior chez Michael Page. Un choix qu’elles sont de plus en plus nombreuses à effectuer. Je suis d’ailleurs particulièrement sollicitée pour des recrutements de fiscalistes depuis quatre ans.» Toutefois, la demande ne concerne pas tous les profils actuellement. «Les responsables fiscaux sont moins recherchés qu’il y a environ trois ans, date à laquelle de nombreux postes à responsabilité ont été pourvus, observe Mélanie d’Adesky. On peut assister encore à un jeu de chaises musicales, mais moins de postes sont créés.» Cette tendance est particulièrement visible au sein des grandes entreprises. «Nous recherchons deux fiscalistes pour des remplacements au sein de notre équipe de sept personnes, dont les missions ont évolué l’année dernière à la suite du rachat par General Electrics des activités énergie d’Alstom», indique Nathalie Pivet, directrice fiscalité et comptabilité chez Alstom.

Des créations de fonction fiscale

Les groupes familiaux ou les entreprises de plus petite taille, en revanche, constituent encore leur équipe en interne.Ces premiers, notamment, commencent en effet à recruter des fiscalistes.

«En début d’année, j’ai accompagné un grand groupe familial français dans la mise en place de son département fiscal, fonction auparavant externalisée auprès de conseils externes», se rappelle Sophie Hauret, associate business director chez Robert Half. Mais les créations de postes sont encore plus nombreuses dans les ETI. «Depuis quatre à cinq ans, nous travaillons régulièrement pour des ETI qui créent leur fonction fiscale, note Sophie Hauret. Auparavant, le directeur financier gérait bien souvent seul la fiscalité de l’entreprise qui se limitait au périmètre français. Mais dès lors qu’elles s’implantent à l’étranger, les ETI éprouvent le besoin d’internaliser la compétence fiscale.» Ce fut le cas récemment pour Criteo.

«Nous ne disposions pas de cette fonction en interne avant l’année dernière où nous avons embauché une fiscaliste, explique Valérie Alemanno, responsable recrutement pour la zone EMEA de Criteo.Nous sommes aujourd’hui en train de recruter une deuxième personne pour l’épauler. Auparavant, notre directeur financier corporate s’occupait des questions fiscales avec l’appui de cabinets externes. Mais depuis que nous avons ouvert des filiales dans 16 pays dans le monde, la charge de travail est devenue trop importante pour qu’il continue de gérer cet aspect. De plus, nous avions besoin d’une personne pour assurer le suivi des taxes qui sont propres à chaque pays, ainsi que pour structurer les prix de transfert à l’international.» Une problématique qui semble se généraliser. «Depuis quelques années, nous recevons de plus en plus de mandats, émanant de sociétés internationales qui réalisent des opérations intragroupes, pour rechercher des fiscalistes spécialisés en prix de transferts, ayant au minimum quatre ans d’expérience», relève Sophie Hauret.

Des recruteurs exigeants

Quel que soit le besoin de l’entreprise qui recrute, à savoir un fiscaliste généraliste ou spécialisé, les critères demandés aux candidats sont similaires. Etre titulaire du diplôme d’avocat constitue généralement un prérequis pour les recruteurs. «Nous recherchons essentiellement des profils issus de formations universitaires en droit ou en finance, complétées par un DESS en fiscalité», indique Nathalie Pivet. En outre, les entreprises privilégient les candidats ayant préalablement exercé au sein d’un cabinet d’avocats. «Les profils recherchés doivent avoir effectué entre trois et quatre ans minimum dans ce type de structure», prévient Mélanie d’Adesky. Cette expérience leur procure des compétences appréciées en entreprise. «Un candidat ayant travaillé en cabinet constitue pour nous une garantie de technicité et de méthodologie, relève Nathalie Pivet. Toutefois, nous apprécions que le passage en cabinet soit complété par une expérience en entreprise.» C’est pourquoi certains recruteurs n’hésitent plus désormais à retenir des candidats diplômés d’écoles de commerce. Plus rare, ce dernier cas de figure présente néanmoins des avantages pour les entreprises. «Certains recruteurs préfèrent les candidats dotés d’une formation en école de commerce complétée par un troisième cycle en fiscalité afin de s’assurer qu’ils disposent d’une appétence aux chiffres et d’une capacité à lire, comprendre et interpréter un compte de résultat», note Sophie Hauret.

Des candidats prisés

Pour trouver ce type de profils – et particulièrement ceux disposant d’une double expérience – les recruteurs doivent néanmoins s’armer de patience. «Il nous a fallu huit mois pour recruter une responsable fiscaliste, contre deux mois en moyenne pour les autres postes, souligne Valérie Alemanno. Nous démarchons les candidats, en grande majorité par le biais de Linkedin. Sur ce réseau social, lorsque je contacte 50 fiscalistes, je reçois en moyenne seulement 10 réponses et elles ne sont pas toutes positives ! Ce taux de réponse est beaucoup plus faible que pour d’autres fonctions financières.»Il faut dire que le profil de fiscaliste est très prisé, ce qui implique un important travail de recherche pour les recruteurs. «Nous sommes particulièrement proactifs pour ce type de recrutement car il s’agit d’un métier de niche», confirme Emmanuelle de Menditte, directrice des ressources humaines pour les fonctions support chez Alstom. En plus d’aller à la rencontre des candidats, les recruteurs doivent leur adresser des propositions attrayantes. «Evoluant au sein d’un marché porteur, les fiscalistes changent aisément de structure au cours de la première partie de leur carrière, note Sophie Hauret. Pour les convaincre de les rejoindre, les entreprises doivent leur proposer des rémunérations attractives (voir encadré) et leur garantir un élargissement de leurs compétences.» Le contenu du travail constitue ainsi un facteur déterminant dans la décision du candidat d’accepter un poste. «Pour attirer les candidats, nous insistons sur la diversité des missions et l’intérêt des projets, explique Valérie Alemanno. Par exemple, pour le poste que nous ouvrons, le fiscaliste devra gérer de manière autonome la fiscalité internationale de l’entreprise.»

L’envergure des missions confiées peut en effet inciter les potentiels candidats à quitter leur poste. Quand ils travaillent au sein de cabinets, ces derniers sont particulièrement difficiles à débaucher. «Lorsque nous rencontrons de tels candidats, il est parfois compliqué de les attirer car cela signifie pour eux d’accepter une rémunération inférieure, même si elle est toutefois compensée par une couverture sociale et retraite, relève Valérie Alemanno. Nous sommes en outre confrontés à leurs exigences en matière de confort de travail car ils sont souvent habitués à disposer d’un bureau individuel et d’une assistante personnelle.»Des éléments qui expliquent que certains fiscalistes regrettent d’avoir quitté leur cabinet.«Certains fiscalistes aux compétences très pointues, tentés par l’expérience en entreprise, opèrent parfois un retour dans le conseil afin de mieux faire valoir leur expertise», observe Sophie Hauret. Il est vrai qu’en entreprise, ils doivent parfois effectuer des tâches à moins haute valeur ajoutée, qui n’entraient pas dans leurs attributions en cabinet.

Pourtant, le métier de fiscaliste en entreprise gagne en reconnaissance. «Les fiscalistes ont une place de plus en plus importante au sein des entreprises, constate Mélanie d’Adesky. La direction fiscale reste généralement rattachée à la direction financière ou juridique, mais certaines entreprises la placent désormais sous la supervision de la direction générale.» Cette tendance reflète un changement dans les attributions des fiscalistes. «Ils sortent aujourd’hui de leur rôle de techniciens, note Mélanie d’Adesky. Les entreprises leur demandent de plus en plus de disposer d’une vision stratégique.» Une mission qui devrait continuer à s’accroître dans les prochaines années et contribuer à renforcer encore la place des fiscalistes au sein des entreprises.

Des possibilités de progression limitées

Les perspectives de progression dépendent étroitement des profils des fiscalistes.

«Ceux spécialisés en prix de transfert avec une forte sensibilité économique évoluent parfois vers du contrôle de gestion, même si cette fonction est moins bien rémunérée, explique Sophie Hauret, associate business director chez Robert Half. Les fiscalistes ayant à l’inverse un profil plus juridique ont davantage tendance à bénéficier d’une évolution au sein de la hiérarchie d’une direction juridique et fiscale.»

Toutefois, du fait de leur spécialisation, il leur est difficile d’évoluer vers un poste de management. Ceux qui parviennent néanmoins à se hisser à une place de numéro deux rencontrent encore des difficultés. «Les fiscalistes positionnés en qualité d’adjoints au directeur fiscal au sein de groupes de type CAC 40 accèdent rarement à l’échelon supérieur, souligne Sophie Hauret. Le poste de directeur fiscal est le plus souvent proposé à des homologues d’autres entreprises de taille similaire.» Si évoluer d’une structure à une autre est donc aisé, il se révèle plus compliqué pour les fiscalistes de progresser dans la hiérarchie.

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