Après une baisse de 10,7 % de son chiffre d’affaires en 2020, le groupe spécialisé dans l’extraction de minéraux, Imerys, renoue avec la croissance depuis l’automne dernier. Son directeur financier, Sébastien Rouge, compte toutefois continuer à maîtriser les coûts opérationnels afin de maintenir les marges du groupe. Il est, à ce titre, en train de lancer deux centres de services partagés pour ses fonctions supports. En parallèle, le groupe ne reste pas moins à l’affût des nouvelles solutions de financements, puisqu’il vient d’émettre sa première obligation indexée sur des critères ESG, de 300 millions d’euros.
Comment la crise a-t-elle affecté votre activité jusqu’à présent ?
Notre activité consiste à extraire des minéraux, puis à les transformer par plusieurs biais ; il peut s’agir d’un processus de broyage, de tri ou encore de mélange. Nous sommes ainsi organisés en deux segments, celui des minéraux de performance, qui sert notamment les industries de la cosmétique, de l’agroalimentaire, de la santé, du plastique, de la peinture, de la filtration et de la céramique, et celui des matériaux et solutions haute température, qui permet de faciliter les processus de production impliquant des températures élevées. Nous travaillons à ce titre avec une palette de clients assez large (secteurs de la construction, de l’automobile, etc.) et disposons de sites de transformation dans plus de 40 pays, afin d’être au plus près de nos clients. 48 % de notre chiffre d’affaires est ainsi réalisé en Europe, 29 % en Amérique et 23 % en Asie.
Nous avons réalisé en 2020 un chiffre d’affaires en retrait de 10,7 % par rapport à 2019 et notre marge d’Ebitda courant s’est établie à 16,6 % contre 17,6 % en 2019. La crise a surtout affecté notre activité au deuxième trimestre 2020, où nous avons perdu 24 % de notre chiffre d’affaires par rapport à 2019. Néanmoins, même au plus fort de la crise, nous avons réussi à rester profitable et à ne pas brûler de cash. Pendant cette période, certains sites ont été fermés, non pas pour des raisons sanitaires, mais parce que nous n’avions plus de débouchés ou car les autorités locales l’exigeaient (fermeture totale d’un pays par exemple). Depuis mai 2020, tous nos sites fonctionnent de nouveau.
Nous avons observé la reprise progressive de l’activité, d’abord en Asie, puis aux Etats-Unis et enfin en Europe. Au quatrième trimestre, nous avons retrouvé une croissance positive (+ 1,7 %).
Cette reprise se poursuit depuis, avec une croissance de notre activité de 6 % au premier trimestre 2021. Le redémarrage de notre activité en Inde, où la Covid-19 sévit fortement, demeure cependant difficile.
Quelles mesures la direction financière a-t-elle mises en place pour faire face à cette situation exceptionnelle ?
Nous avons eu pour objectif de préserver nos ressources financières. Pour cela, nous avons réduit nos investissements – qui se placent habituellement dans une fourchette de à 300 à 350 millions d’euros par an – à 250 millions d’euros l’an dernier. Nous avons ainsi reporté nos investissements dits de renouvellement et nous sommes concentrés sur ceux en R&D ou sur ceux des segments d’activité en croissance, comme les batteries des véhicules électriques. Nous avons également diminué nos coûts fixes de 86 millions d’euros, grâce à la baisse de nos frais de déplacement liée à la crise, mais aussi en ayant moins recours à la sous-traitance. Nous avons d’ailleurs choisi de pérenniser ces économies : nous continuerons à voyager moins qu’avant la crise et nous essaierons d’internaliser les activités qui étaient auparavant sous-traitées.
En parallèle, nous avons préservé nos liquidités. Nous avons tiré 300 millions d’euros sur 1,3 milliard d’euros de lignes bilatérales disponibles, en prévision d’une crise de liquidité. Nous avons poursuivi l’émission de billets de trésorerie (NEU CP) – 230 millions d’euros – dans le but de nous assurer que le marché était encore actif. Nous n’avons toutefois pas eu recours au PGE, car nous n’en avions pas besoin et il ne correspondait pas à notre structure de financement de long terme.
Ensuite, dans la mesure où nous analysons déjà notre activité et notre trésorerie sur une base mensuelle ou hebdomadaire, suivant les indicateurs, nous n’avons pas jugé nécessaire d’accélérer la fréquence de notre suivi. En revanche, nous avons été à l’affût d’indicateurs avancés de suivi d’activité. Nous avons en effet beaucoup plus utilisé d’indicateurs sectoriels, afin d’anticiper le redémarrage des industries avec lesquelles nous travaillons et de mieux prévoir nos besoins.
Par ailleurs, nous avons bénéficié du chômage partiel dans toutes les zones géographiques où cela était possible. Nous avons ainsi pu économiser une dizaine de millions d’euros.
Enfin, cet environnement de crise ne nous a pas empêchés, malgré tout, de procéder à quatre acquisitions d’avril à décembre (contre deux en 2019), afin de renforcer nos positions existantes, mais aussi de nous développer dans de nouvelles zones géographiques.
Comment la direction financière travaille-t-elle depuis un an ?
La fonction finance est composée de 850 personnes réparties à travers le monde. Depuis un an, nous avons eu, comme toutes les entreprises, recours au télétravail, quelle que soit la région du monde. Le travail à distance n’a pas affecté notre façon de travailler. Nous étions déjà équipés pour cela, nous avons continué de clôturer nos comptes tous les mois, nous avons poursuivi les mêmes cycles de prévision budgétaires, etc. Comme les équipes financières sont réparties dans plusieurs endroits différents, nous avons dû organiser de nombreuses réunions virtuelles. Cela fait plus d’un an que nous n’avons pas vu certains collaborateurs de la fonction finance locale, nous sommes conscients que cela commence à être long, aussi bien pour eux que pour nous.
Si nos collaborateurs ont actuellement le souhait de revenir un peu plus au bureau, le télétravail sera désormais plus démocratisé. Alors que nos collaborateurs avaient le droit à un jour de télétravail par semaine avant la crise, ce dernier pourrait passer à deux jours.
Quelles sont vos perspectives financières pour 2021 ? Quels sont les principaux chantiers de la direction financière désormais ?
Nous publions en général nos guidances en milieu d’année. Pour l’instant, nous n’avons donc pas dévoilé d’objectifs précis au marché. Nous nous sommes engagés à être en croissance par rapport à 2020 et à augmenter notre marge d’Ebitda courant 2021 par rapport à 2020 en valeur absolue.
A court terme, l’un de nos principaux chantiers concerne la gestion de nos coûts de transport et de logistique. Nous subissons en effet de fortes pressions à la hausse sur ces coûts, qui pourraient à terme se répercuter sur nos prix de vente. Cette inflation des prix s’explique notamment par la baisse des capacités des transporteurs au niveau mondial. Nos contrats de transport sont souvent établis à long terme, mais certains d’entre eux arrivent à échéance. Nous avons évalué l’impact de la hausse des coûts et nous travaillons à minimiser l’impact sur notre marge. Nous sommes en revanche plutôt épargnés par la hausse du prix des matières premières puisque nous extrayons nous-mêmes une partie des minéraux que nous utilisons ensuite.
Concernant nos chantiers au long cours, nous poursuivons la mutualisation de nos fonctions supports (finance, achat, communication). Nous sommes en effet en train de déployer deux centres de services partagés (CSP) pour le back-office comptable, en Grèce pour la zone Europe et au Mexique pour la zone Amérique. Il s’agit d’un projet que nous avions entamé avant la crise en 2019 et que nous avons poursuivi. Ces CSP vont nous permettre de faire des économies et d’harmoniser nos processus comptables. En effet, nous ne disposons pas encore d’outil comptable commun à l’échelle du groupe. D’où la mise en place d’un outil ERP comptable unique au sein de nos deux CSP.
Par ailleurs, sur le plan informatique, nous sommes en train de déployer la dernière version de notre logiciel de gestion SAP et d’ajouter des fonctionnalités de business intelligence à notre outil de gestion de la relation client (CRM) pour accéder plus facilement aux informations de nos clients.
Début mai, vous avez émis une obligation de 300 millions d’euros indexée sur des objectifs ESG, tels que la baisse de vos émissions de CO2. Pourquoi avoir mis en place ce financement ?
Nous nous finançons principalement à long terme par le biais d’obligations et nous venions de rembourser notre précédente obligation. Face aux enjeux de plus en plus importants des sujets extra-financiers, nous avons donc décidé d’émettre notre première obligation durable. Nous sommes déjà notés par plusieurs agences de notation environnementale, avec des résultats parfois hétérogènes. Ce financement doit ainsi crédibiliser notre démarche RSE et permettra de vérifier que nos engagements sont bien tenus sur le long terme.