Alors que de plus en plus d’entreprises choisissent d’indexer la rémunération variable de leurs directeurs généraux sur des critères extra-financiers, cette pratique s’étend progressivement à d’autres fonctions, notamment aux directeurs financiers. Cependant, ces objectifs extra-financiers sont encore trop insuffisamment quantifiés pour être vraiment fiables.
Fin janvier, dans une lettre adressée aux commissaires européens Thierry Breton et Didier Reynders, le député européen Pascal Canfin demandait, conjointement avec plusieurs dirigeants de grands groupes, dont ceux de Spie, d’Engie et de Mirova, la généralisation des critères ESG dans la politique de rémunération variable des dirigeants, à l’ensemble des grandes entreprises européennes.
En France, cette pratique s’est déjà répandue ces dernières années. En effet, depuis 2020, le code Afep-Medef de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées recommande d’intégrer, dans la rémunération des dirigeants, un ou plusieurs critères liés à la responsabilité sociale et environnementale. Ainsi, « au sein du SBF 120, la part d’entreprises adoptant des critères extra-financiers pour le calcul de la rémunération variable est passée de 50 % il y a cinq ans, à quasiment 100 % désormais pour celles soumises au droit français », observe Jehanne Leroy, directrice de la recherche ESG France chez Proxinvest.
Les attentes de plus en plus fortes des actionnaires sur les sujets extra-financiers ont également contribué à cet essor. Plusieurs proxys exigent désormais que la rémunération des dirigeants soit corrélée à ces aspects. « Depuis quatre ans, l’intégration de critères de performance ESG dans le calcul de la rémunération des dirigeants fait partie de notre politique de vote, indique Jehanne Leroy. Cette année, nous avons renforcé notre exigence sur le sujet : dans les sociétés du SBF 120, l’absence de critères de performance ESG conduira à une recommandation négative sur les votes ex-post. Dans les politiques de rémunérations (vote ex-ante), si aucun changement n’est proposé et que la politique ne comprend pas de critères de performance ESG, une recommandation négative sera également formulée. »
«Les objectifs ESG des directeurs financiers sont différents de ceux des directeurs généraux et sont pondérés en fonction de leurs responsabilités. »
20 % du variable indexé sur des critères ESG
Pour renforcer encore leur politique de rémunération ESG, les entreprises françaises commencent à élargir le scope des dirigeants concernés. Initialement concentrée sur les directeurs généraux et les présidents, l’intégration de critères ESG s’étend progressivement à l’ensemble des membres du Comex et notamment aux directeurs financiers. « Au sein du CAC 40, environs 70 % des membres des Comex ont une part de leur rémunération variable indexée sur des critères ESG, contre environ 40 % il y a trois ans », souligne Khalil Ait Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération chez WTW. Un constat partagé par Fabrice Coudray, Managing Partner Executive Search chez Robert Half. « Les enjeux ESG sont collectifs et les directeurs financiers n’en sont pas exempts, ajoute-t-il. Leurs objectifs ESG sont néanmoins différents de ceux des directeurs généraux et sont pondérés en fonction de leurs responsabilités et de leur terrain de jeu. Par exemple, la rémunération variable d’un directeur financier peut être liée à l’atteinte d’objectifs d’achats à impact. »
De même, les critères ESG deviennent de plus en plus prépondérants. « La part extra-financière peut désormais représenter jusqu’à 30 % de la rémunération variable, alors qu’il y a trois ans elle ne dépassait pas les 10 % en moyenne », poursuit Khalil Ait Mouloud.
Les banques intègrent l’objectif climat
- Dans son rapport sur l’alignement des acteurs financiers sur l’accord de Paris, remis à Bruno Le Maire le 9 mars dernier, Yves Perrier, président d’Amundi et vice-président de Paris Europlace, souligne qu’en France, cinq banques (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole SA, La Banque Postale, Société Générale) intègrent des critères de durabilité dans la rémunération variable annuelle des dirigeants et des collaborateurs clés. Plusieurs indicateurs sont liés à l’atteinte d’objectifs concernant la lutte contre le changement climatique.
Un niveau d’exigence difficilement mesurable
Toutefois, si la France a pris de l’avance, des progrès restent à mener. « En 2021, seules 55 % des sociétés du SBF 120 avaient communiqué sur des critères ESG quantifiables et vérifiables, relève Jehanne Leroy. C’est trop peu. Depuis l’an dernier, nous avons donc décidé de ne pas approuver la rémunération des dirigeants si celle-ci ne peut pas être vérifiée. » De plus, le niveau d’exigence des critères fixés est encore difficilement mesurable. « Nous ne le saurons que sur le long terme, estime Jehanne Leroy. Par exemple, si pendant cinq ans consécutifs, les dirigeants obtiennent toujours 100 % de leur rémunération variable indexée sur des critères ESG, c’est peut-être que les objectifs n’étaient pas assez exigeants. »
Certains se montrent d’ores et déjà plus critiques et s’interrogent sur l’intérêt même d’intégrer de tels critères dans la rémunération variable. « Ces dernières années, les dirigeants ont quasiment systématiquement touché l’intégralité de leur part variable indexée sur des critères ESG, remarque Fabien Lucron, directeur du développement de Primeum. Au-delà d’un degré d’exigence trop faible, les critères extra-financiers sont dans tous les cas respectés, car sinon les entreprises seront sanctionnées par les actionnaires et le cours de leur action baissera. »
Les prochaines assemblées générales 2022, au cours des semaines à venir, seront l’occasion de voir les nouvelles pratiques des entreprises et la réaction des actionnaires.
Différents objectifs ESG
Si les critères ESG de rémunération variable sont assez variés, les objectifs sociaux sont les plus prépondérants. « Selon notre étude menée à l’échelle européenne fin 2021, 64 % des entreprises avaient indexé leur rémunération variable sur des objectifs sociaux (bien-être, relations avec la communauté), 64 % sur des indicateurs liés au capital humain (santé et sécurité au travail, diversité), 56 % sur des aspects gouvernance (éthique, gestion des risques) et 38 % sur des indicateurs environnementaux (réduction de l’empreinte carbone, traitement des déchets) », détaille Khalil Ait Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération chez WTW.