Le culte des diplômes initiaux et la quasi-étanchéité entre les universités et les entreprises sont une des singularités handicapantes du management français. Cela entretient un « esprit de caste » qui biaise les promotions internes et dissuade l’acquisition de nouvelles compétences en cours de carrière. Certains professionnels sont cependant bien conscients de l’intérêt de se former continuellement et de faire reconnaître leurs compétences par des diplômes valorisés par le marché. La validation des acquis de l’expérience (VAE), une procédure diplômante créée en 2002 et qui avait longtemps végété, fait actuellement l’objet d’un plan de relance.
Des parcours exigeants
Aujourd’hui, les financiers souhaitant parfaire leur formation peuvent s’orienter vers le parcours de l’expertise comptable en préparant le DSCG (DESCF jusqu’en 2008), un diplôme technique, particulièrement apprécié quand il s’ajoute à celui d’une école de commerce. D’autres, moins nombreux, s’engagent vers des certifications internationales comme le Certified Management Accountant (CMA) pour la finance d’entreprise, ou encore les Certified International Investment Analyst (CIIA) et Chartered Financial Analyst (CFA) pour la finance de marché, auxquels préparent notamment Dauphine et la Société française des analystes financiers (SFAF).
A l’inverse, les professionnels de la finance souhaitant évoluer vers des directions générales s’orientent plutôt vers des Masters in Business Administration (MBA), soit en parallèle de leur vie professionnelle (executive MBA), soit en retournant sur les bancs de l’école.
Tous ces parcours, solides et reconnus, exigent un important investissement personnel, difficile à concilier avec des emplois du temps par ailleurs bien remplis. La préparation complète du DSCG est estimée à un millier d’heures, un MBA traditionnel demande dix à dix-huit mois à temps plein et un executive MBA deux mois à temps plein et une douzaine d’heures par semaine pendant quatorze à dix-huit mois, selon l’INSEAD.
Les frais de scolarité sont également un important frein au renforcement des compétences en cours de vie professionnelle. Si ceux du DSCG et des certificats d’analyste financier s’élèvent à quelques centaines d’euros pour les inscriptions et à quelques milliers pour des cours au demeurant facultatifs, ceux des MBA sont devenus inabordables : 97 000•euros à l’INSEAD, 99 000•euros à HEC pour la rentrée 2024. Les entreprises qui acceptent encore de les financer les réservent en pratique à des cadres à haut potentiel issus de formations scientifiques.
Pour encourager l’acquisition de compétences et fluidifier le marché du travail, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont donc cherché à promouvoir la validation des acquis de l’expérience (VAE) comme une alternative à la reprise d’études, mais ce dispositif n’a, à ce jour, pas donné les résultats escomptés. Bien qu’il soit difficile de trouver des chiffres précis sur la VAE, qui dépend de trois ministères (Travail, Education nationale, Enseignement supérieur), il semblerait qu’en « année normale », environ 50 000 personnes entreprendraient une VAE. Parmi elles, 20 000 (40 %) réussiraient la première étape (la recevabilité) et 10 000 (20 %) seraient diplômés, complètement ou partiellement, dont seulement une centaine au niveau du master, seul susceptible de renforcer le curriculum vitae de cadres financiers.
Ces résultats, ridiculement faibles, ont été expliqués par la réticence de principe des établissements de l’enseignement supérieur vis-à-vis des candidats venant demander des diplômes sans avoir suivi leur enseignement. A cela s’ajouteraient les carences habituelles de l’université française : interlocuteurs introuvables, procédures administratives absconses, calendriers rigides, jury annuel unique… Démotivantes pour les étudiants, elles sont rédhibitoires pour des professionnels.
Un nouveau départ pour la validation des acquis de l’expérience
Pour relancer les VAE, le gouvernement a pris plusieurs mesures au sein de la loi dite de « mesures d’urgence relatives au marché du travail » adoptée en décembre 2022. Elle prévoit entre autres de créer un « service public de la validation des acquis de l’expérience » chargé de rationaliser et d’élargir les offres de VAE jugées trop étroites et morcelées. L’idée de créer un nouveau service public peut laisser sceptique, mais force est de constater que les administrations multiplient les initiatives pour encourager les VAE. Depuis peu, un portail Internet – France VAE – centralise les dispositifs de VAE dépendant du ministère de l’Education nationale et annonce qu’il s’agit d’une « véritable révolution socioculturelle ». Si France VAE n’incorpore pas encore les diplômes des universités et des grandes écoles, ce service comprend déjà la validation du DSCG et même du diplôme d’expert-comptable (DEC). Si cela se confirme dans les faits, ce serait effectivement un changement radical par rapport aux longs et difficiles parcours personnels qui permettent d’obtenir ces diplômes.
Les grandes écoles de commerce et certaines universités n’ont pas attendu cette réforme pour proposer des parcours de VAE clairs et structurés, moyennant des budgets correspondant aux frais de scolarité d’un semestre (voir encadré). Dans des écoles de référence, comme l’EDHEC et l’ESCP, les candidats à la VAE peuvent se porter candidats à tous les diplômes, masters (bac•+5) et bachelors (bac•+3 ou 4) compris. A Dauphine, en revanche, il n’est pas envisagé de décerner des titres inférieurs aux masters. « Les masters correspondent à un niveau professionnel, ce qui est la vocation de la VAE », considère Sébastien Duizabo, directeur du département d’éducation permanente (« executive education ») à PSL Dauphine.
Une démarche individuelle mais pas solitaire
Quel que soit l’établissement, obtenir un diplôme du niveau des masters en finance par la VAE demande plusieurs centaines d’heures de travail au candidat, généralement réparties sur un an. Conscientes de l’importance de cet investissement, les écoles de commerce exercent une forte sélection au moment de l’étude de recevabilité. Ensuite, leur objectif est de conduire tous les candidats « recevables » au diplôme, ce qui serait impossible sans leur apporter un encadrement académique. « Nous conseillons aux candidats de se faire accompagner par un de nos enseignants connaissant le diplôme visé, indique Maylis Nelson, directrice Open programmes & executive masters à l’ESCP. Les points d’étape avec l’enseignant accompagnant permettent au candidat de prendre et de garder le bon rythme, mais surtout de cerner l’articulation entre son expérience professionnelle et les attendus académiques du diplôme. En outre, bien que la VAE ne demande pas l’acquisition de nouvelles connaissances, les candidats doivent contextualiser celles qu’ils possèdent. L’enseignant peut les orienter vers celles qu’ils gagneraient à approfondir et vers les ressources académiques pertinentes (ouvrages, vidéos, podcasts…). »
L’accompagnement des candidats à la VAE est également enrichissante pour les établissements. « Il est rare de pouvoir observer comment les entreprises mettent vraiment en pratique, sur plusieurs années, les matières que nous enseignons, remarque Véronique Carresse, directrice de l’executive MBA à l’EDHEC. Les VAE permettent de clarifier la relation entre les enseignements et les pratiques. »
Il n’en demeure pas moins que, même accompagnée, la VAE reste une démarche intrinsèquement individuelle, alors qu’une des forces des écoles de commerce provient de la richesse des échanges entre étudiants, avec les enseignants, et de la dynamique collective des travaux de groupe. Pour que les VAE ne deviennent pas des exercices solitaires, certaines écoles les réunissent et organisent un brassage avec les étudiants en éducation continue. « Nous voulons créer du lien, favoriser les échanges d’expérience et créer un effet de groupe, souligne Maylis Nelson. Presque tous les échecs en VAE sont dûs à des abandons par des candidats. L’effet de groupe est essentiel pour maintenir la motivation dans la durée. Plus rarement, certains candidats se heurtent à des difficultés décourageantes au moment de transcrire et d’expliciter leurs expériences sous forme écrite. »
La motivation initiale des candidats à la VAE est d’autant plus forte qu’ils sont animés par une logique de dépassement personnel et pas seulement de validation académique de leurs compétences. « L’envie de réparer le fait de ne pas avoir su, ou pu, se mobiliser aux moments décisifs de l’orientation scolaire est une motivation fréquente, constate Véronique Caresse. L’insuffisance des diplômes reste vécue comme un facteur limitant par les candidats, et elle est d’ailleurs perçue comme telle par les recruteurs. En extrayant son expérience du contexte particulier de son entreprise pour les inscrire dans un corpus académique plus large, le candidat renforce sa qualification et devient objectivement plus légitime. »
En permettant à davantage de professionnels d’obtenir une certification académique de leurs compétences, la relance de la VAE permettrait d’enrichir les échanges entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise et de nous rapprocher du système allemand de « l’industrie promotion», qui permet chaque année à des milliers de personnes d’obtenir chacun des titres de l’enseignement supérieur allant jusqu’au doctorat, tout en exerçant une activité professionnelle.
Les prix de la VAE en écoles de commerce
Les écoles de commerce du « top 5 » proposent toutes des parcours de VAE moyennant des frais équivalents à environ un semestre de scolarité. Dans les universités, le coût des VAE est variable. Par exemple, Toulouse Capitole propose des formules avec ou sans accompagnement (2 800 et 1 800 euros), Panthéon-Assas propose six heures d’accompagnement moyennant 1 300 euros ou douze heures pour 2 000 euros, auxquels s’ajoutent les frais d’inscription à l’université (de l’ordre de 150 à 200 euros en licence et de 200 à 250 euros en master).
Les étapes de la VAE
- Préparation du dossier de recevabilité (ou livret 1 ou dossier de pré-orientation).
- Décision de recevabilité.
- Préparation du dossier de validation (ou livret 2 ou dossier de preuve).
- Jury de validation : Le jury peut délivrer le diplôme (en moyenne dans 60 % des cas), le valider partiellement (30 %) ou rejeter la demande (10 %). Ces pourcentages varient selon les diplômes visés et les établissements.
- Le candidat dont le diplôme est partiellement validé peut alors suivre des cours ou des formations lui permettant de demander à nouveau la validation ou se satisfaire d’une validation partielle.
Les principaux dispositifs, par ordre d’apparition
La possibilité d’obtenir des diplômes de l’enseignement supérieur existe depuis quatre-vingt-dix ans et est régulièrement élargie, sans avoir encore produit de résultats massifs.
1934 : les ingénieurs diplômés par l’Etat (IDPE)
Procédure permettant à des professionnels remplissant des fonctions d’ingénieur depuis cinq ans d’en obtenir le diplôme. Bien qu’une cinquantaine d’écoles soient habilitées à évaluer les candidats, seulement une vingtaine d’ingénieurs sont actuellement diplômés par l’Etat chaque année.
1985 : la validation des acquis professionnels (VAP)
La VAP consiste à faire reconnaître son expérience professionnelle pour accéder à un cycle universitaire sans posséder les titres universitaires exigés aux étudiants. Elle permet, par exemple, de suivre des cours en master sans avoir la licence.
2002 : la validation des acquis de l’expérience (VAE)
La VAE permet à des professionnels de demander à l’établissement de leur choix de leur décerner le diplôme correspondant à des compétences acquises sur le terrain. Rien ne distingue les diplômes obtenus par VAE des autres. Marlène Schiappa a obtenu sa licence en communication par une VAE auprès de l’université de Grenoble.
2012-2013 : l’éphémère conversion des politiques en avocats
En avril 2012, un décret a permis aux anciens ministres et parlementaires de s’inscrire au barreau à condition d’avoir exercé leurs fonctions pendant huit ans. Le gouvernement suivant a abrogé ce décret en 2013.
2022 : création du « service public de la validation des acquis de l’expérience » pour amplifier et accélérer l’accès aux diplômes. Les décrets d’application sont en préparation.