La crise sanitaire a accéléré la progression de l’absentéisme observée depuis plusieurs années. Les conséquences financières et sur la bonne marche de l’entreprise sont très lourdes, dans une période où l’optimisation des dépenses est plus que jamais indispensable.
L’absentéisme progresse au sein des entreprises. D’après Gras Savoye Willis Towers Watson, en 2020, il représentait 5,04 % du nombre total de jours travaillés au sein des entreprises françaises, contre 4,18 % en 2019. Pour Ayming, qui a publié son baromètre à quelques jours d’intervalle, ce taux atteignait même 6,87 %, contre 5,54 % en 2019. Cette évolution est principalement due à une augmentation de la durée des congés longs (pour maladie, accident du travail, burn-out…) mais également à un nombre plus élevé de salariés absents sur des périodes plus courtes. « L’absentéisme en 2020 se caractérise par un accroissement important du nombre de salariés absents sur les durées de 4 à 90 jours, et notamment celles de 8 à 30 jours », confirme Denis Blanc, directeur général d’Ayming. 41 % des salariés ont ainsi été absents au moins une fois dans l’année, d’après l’étude d’Ayming. Toutes les entreprises sont par ailleurs concernées par cette tendance à la hausse, bien que l’absentéisme demeure intrinsèquement plus élevé dans certains secteurs comme celui de la santé, des transports et de la chimie-plastique, et dans les PME.
Certes, cette dégradation s’explique en partie par la crise sanitaire. « Au printemps 2020, les arrêts dérogatoires pour garde d’enfants ou personnes vulnérables ont été pris en charge par la Sécurité sociale, ce qui n’est pas le cas habituellement, précise Noémie Marciano, directrice offre de conseil Health & Benefits chez Gras Savoye Willis Towers Watson. Ces jours non travaillés ont donc été intégrés dans le calcul de l’absentéisme et ont mécaniquement fait progresser son taux. » Toutefois, l’augmentation de l’absentéisme en 2020 n’est que l’accélération d’une tendance à la hausse observée depuis plusieurs années. « Le taux d’absentéisme a augmenté d’un tiers en quatre ans », souligne Denis Blanc. Une trajectoire qui reflète le manque d’engagement des entreprises envers les salariés. « Les directions ont malheureusement tendance à se focaliser sur les recrutements au lieu de faire en sorte que leurs salariés ne quittent pas leur entreprise », souligne Noémie Marciano.
Cette progression commence à coûter cher. Les spécialistes estiment que 1 % d’absentéisme engendre un coût équivalent à 1 % à 2 % de la masse salariale et réduit d’environ 3 % la marge opérationnelle. « En d’autres termes, avec un taux d’absentéisme actuel de 6,87 %, l’impact sur la marge des entreprises est d’environ 20 % », estime Denis Blanc. D’après Gras Savoye, le coût pour un groupe de 1 000 salariés avec un salaire moyen de 30 000 euros par an et un taux d’absentéisme de 5 % est de 1,5 à 3 millions d’euros sur un an.
Une indemnisation en complément de l’assurance maladie
Plusieurs éléments entrent dans ce coût. D’abord, l’indemnisation des personnes absentes. L’assurance maladie ne couvre pas la totalité du salaire des absents. L’entreprise intervient en complément de l’assurance maladie. « D’une part, les trois premiers jours d’absence ne sont pas couverts par la Sécurité sociale, indique Noémie Marciano. D’autre part, le reste du temps, le salaire est indemnisé à 50 % par l’assurance maladie, dans la limite de 1,8 fois le SMIC, soit 2 798 euros bruts mensuel. Si les entreprises n’ont pas l’obligation d’indemniser leurs salariés durant les sept premiers jours d’absence – cela dépend notamment des conventions collectives, du type de maladie et de l’ancienneté du salarié –, elles doivent maintenir les salaires bruts à 90 % pendant les 30 premiers jours, puis à 66,66 % ensuite. » Un système d’assurance prévoyance complémentaire peut également (ou doit selon les cas) être souscrit et remplacer l’indemnisation de l’entreprise. « Certes, l’entreprise ne verse plus de salaire, mais elle peut voir le coût de son contrat d’assurance progresser », ajoute Noémie Marciano. De même, une hausse des arrêts pour accident du travail ou des maladies professionnelles au sein des entreprises peut faire progresser le taux de cotisation dédié, inclus dans les charges patronales. « Il est en moyenne de 2,2 %, mais il peut varier de 0,7 % à 6 % », affirme Denis Blanc.
Des délais de remboursements élevés
Ensuite, les absences engendrent des coûts plus indirects. « Les entreprises doivent parfois procéder à des recrutements pour remplacer la personne absente, remarque Denis Blanc. Par ailleurs, plus les absents sont nombreux et la durée de leur arrêt longue, plus les autres salariés se désengagent de leur poste et l’entreprise se désorganise. » Ainsi, qu’elles durent quelques jours ou plusieurs mois, toutes les absences engendrent des coûts importants. « Les absences de moins de trois jours sont très fréquentes, observe Sidonie Tulars, consultante chez Ayming. Si le groupe a choisi d’indemniser ses salariés pendant cette période, le coût pour l’entreprise peut être très élevé. A l’inverse, les absences de très longue durée, supérieures à 90 jours sont moins coûteuses pour les entreprises, puisque indemnisées par l’assurance, mais elles sont sources de dégradation de la performance de l’entreprise en pesant sur la motivation des autres salariés. »
A ces coûts s’ajoutent des délais de remboursement de la Sécurité sociale auprès des entreprises particulièrement longs. « Lorsqu’un salarié est absent, l’entreprise paye le salarié, puis la Sécurité sociale la rembourse… souvent plus de 90 jours plus tard, relève Denis Blanc. De plus, elle ne rembourse généralement pas l’intégralité de ce qu’elle doit à l’entreprise, mais 70 % seulement. En effet, si par exemple, le salarié n’a pas envoyé son arrêt à l’assurance maladie et qu’il est parti de l’entreprise depuis plusieurs mois, l’entreprise ne peut plus transmettre de preuve de l’absence de ce dernier. De plus, il y a un délai de prescription d’un an pour envoyer un justificatif à l’assurance maladie. »
Les directions financières mobilisées
Pour limiter ces dépenses, les spécialistes recommandent de traiter le sujet de l’absentéisme en amont. Les sociétés doivent mieux travailler sur leur politique de management, soulignent-ils. « Les salariés absents manquent parfois de sens dans leur travail, d’autonomie, de reconnaissance, de soutien, regrette Noémie Marciano. Les entreprises doivent mettre en place des politiques de formation, mener des entretiens de “ré-accueil” pour les salariés absents, éventuellement faire évoluer leur système de rémunération pour valoriser les efforts individuels. »
Par ailleurs, les entreprises doivent pouvoir mieux apprécier leur niveau d’absentéisme. Pour cela, elles ont intérêt à comparer leur situation avec leurs homologues. « Les directions des ressources humaines peuvent regarder si le taux d’absentéisme, la part de salariés absents, et la fréquence des absences notamment sont plus élevés que la moyenne de leur secteur », conseille Noémie Marciano. De plus, elles doivent développer des indicateurs internes plus précis que le simple taux d’absentéisme. « En maintenant les salaires sur les absences de courte durée par exemple, les entreprises bénéficient d’un bon outil pour savoir si l’absentéisme devient plus fréquent et l’anticiper », remarque Sidonie Tulars.
Enfin, elles doivent également évaluer précisément le coût de l’absentéisme. Son niveau est souvent mal appréhendé. « Les coûts liés à l’absentéisme sont souvent perdus dans le poste charges salariales et les directions financières les suivent difficilement dans leur globalité », ajoute Denis Blanc. Sous l’effet du contexte économique post-crise sanitaire, les directions financières prennent le dossier à bras-le-corps. « L’absentéisme progresse depuis plusieurs années, mais il passait toujours en dessous de la ligne de crête des entreprises, observe Denis Blanc. La hausse très importante en 2020, associée à la crise sanitaire et au souhait de préserver les trésoreries, a incité les directions financières à s’intéresser au coût qu’il représente et à ses conséquences. » Depuis quelques mois, les spécialistes assistent en effet à un rapprochement entre les directions financières et les ressources humaines pour travailler sur ces sujets. Un duo qui pourrait permettre de limiter ce fléau en 2021.
L’absentéisme en hausse au sein des banques
l D’après l’étude de Gras Savoye Willis Towers Watson, en 2020, l’absentéisme au sein du secteur des banques et de l’assurance a progressé de 28,7 %, pour atteindre un taux de 5,51 %. Si bien sûr la crise sanitaire a comme pour tous les secteurs poussé cet indicateur à la hausse en 2020, la croissance de l’absentéisme demeure une tendance de fond depuis plusieurs années. Ces absences seraient particulièrement nombreuses au sein des réseaux retail, mais aussi en middle et back-office, où les tâches sont parfois répétitives. « Les salariés qui travaillent au sein des agences bancaires font face depuis quelques années à une évolution des produits bancaires ainsi qu’à une transformation des processus de travail, qui ont engendré pour plusieurs d’entre eux une forte surcharge de travail, observe Alexandra Gailliard, managing partner de 99 Advisory (groupe Finnegan). Globalement, l’industrialisation du métier bancaire, la robotisation de certains process et la mise en place de plans sociaux ont provoqué une perte de sens pour de nombreux employés bancaires. A force de mesurer la satisfaction client, ils ont d’une certaine façon oublié de prendre en compte l’expérience collaborateur. »
l Pour inverser la tendance, les banques ont mis en place des outils. « Beaucoup de programmes de formation ont été instaurés afin d’apprendre aux managers à motiver leurs équipes et à innover, remarque Alexandra Gailliard. Des indicateurs relatifs au bien-être au travail et à la satisfaction des collaborateurs ont été déployés pour anticiper l’absentéisme. »