A l’aise dans la gestion des process comme dans l’analyse financière et stratégique, le directeur M&A pilote les opérations de cessions et d’acquisitions, avec un objectif de création de valeur pour le groupe, qui passe par la recherche des bonnes « cibles » et la réussite, ensuite, de leur intégration.
Qu’il s’agisse d’acquérir de nouvelles compétences, de développer son portefeuille clients ou de se séparer d’une activité, la politique M&A est au cœur de la stratégie des entreprises. « L’un des intérêts de ce métier est son aspect prospectif, témoigne Audrey Hibon, VP M&A integration chez Criteo. Vous travaillez à la définition de la stratégie, et coordonnez des réflexions d’équipes sur ce que pourrait être l’offre de demain. » Le directeur M&A est chargé d’assurer l’adéquation entre le périmètre du groupe et les objectifs définis par la direction, via une revue régulière du portefeuille d’activités et la mise en œuvre de plans d’investissements. C’est ainsi qu’Edenred, qui veut devenir « la plateforme au quotidien des acteurs du monde du travail », s’est récemment offert pour 1,3 milliard d’euros le Britannique Reward Gateway afin de compléter son offre avec notamment des outils d’engagement des collaborateurs. « Nous avions déjà fait une offre en 2021, raconte Marc-Elie Bernard, directeur M&A d’Edenred, mais l’entreprise avait été acquise par des fonds d’investissement. Nous les avons contactés pour leur proposer d’accélérer leur calendrier de sortie. L’opération répond à la fois à notre volonté d’élargir les services proposés et de nous renforcer sur certaines géographies. »
«Rapprocher des équipes aux fonctionnements souvent très distincts implique de la diplomatie et de la persuasion. »
« Sourcer » la bonne opération
Identifier les bonnes opportunités, au regard de la stratégie définie, tel est donc le premier enjeu du responsable M&A. Si beaucoup de transactions s’effectuent aujourd’hui par le biais de banques d’affaires, alimenter un sourcing direct reste une priorité. Les bureaux étrangers sont ainsi mis à contribution pour remonter les informations pertinentes sur les acteurs de leur géographie, mais l’entretien d’un bon carnet d’adresses est aussi primordial comme l’explique Franck Person, responsable du développement international du cimentier Vicat : « Je maintiens des contacts réguliers à la fois avec des banquiers d’affaires et des homologues d’autres groupes du secteur avec lesquels j’échange de manière informelle sur l’évolution du marché, indique-t-il. C’est important de conserver ces liens même en dehors de tout projet M&A. »
La gestion du process varie ensuite selon l’entreprise et les ressources dont elle dispose. Chez Vicat, Franck Person est pour l’instant le seul à être entièrement dédié aux fusions-acquisitions, et assure l’évaluation financière ainsi que la coordination du projet. Il s’appuie toutefois sur différentes ressources, externes mais aussi internes : « Le directeur de l’audit a par exemple été affecté six mois à temps plein à la préparation du rachat du cimentier brésilien Ciplan, signé en 2019, précise-t-il. Par ailleurs, le directeur juridique, ainsi que les responsables des différentes divisions, interviennent également de manière ponctuelle au fil des dossiers. Enfin, à l’exception des grosses transactions, quand une opération concerne un pays où nous sommes déjà implantés, elle est généralement menée par l’équipe locale. Nous intervenons dans ces cas-là en support. »
Edenred, pour sa part, dispose d’un département plus conséquent, avec un pôle financier d’une dizaine de personnes, dont la moitié à l’étranger, et un pôle juridique qui rassemble trois collaborateurs placés sous la responsabilité du secrétaire général. « Mon rôle est de coordonner les différentes étapes, de la validation de l’opportunité à l’intégration, illustre Marc-Elie Bernard. J’assure le lien entre toutes les personnes impliquées : le cédant et ses conseils, nos équipes juridiques et opérationnelles, le comité exécutif, voire le conseil d’administration lorsque son aval est nécessaire, ainsi que nos propres conseils. » D’excellentes capacités de communication sont nécessaires pour s’assurer que l’information arrive au bon interlocuteur au bon moment. « Les gros projets impliquent des centaines de personnes, l’enjeu est donc très important », insiste Marc-Elie Bernard. Quant au montage du financement, s’il est laissé à la main de la direction financière, le pôle M&A intervient en appui pour fournir, à cette dernière, les informations et arguments nécessaires à la négociation avec les préteurs.
Banquiers d’affaires ou experts opérationnels : des profils complémentaires
- Deux voies principales mènent à la direction des fusions-acquisitions. La première vient naturellement des banques d’affaires et de l’univers du corporate finance. Le directeur M&A de Criteo, Connor McGogney, est par exemple un ancien de Crédit Suisse, Marc-Elie Bernard, chez Edenred, a lui fait ses armes chez Lazard Frères puis dans un fonds d’investissement.
- L’autre parcours est celui de l’entreprise, plusieurs groupes misant sur d’anciens directeurs financiers ou directeurs opérationnels pour prendre en charge leur politique d’acquisitions. C’est le cas par exemple de Franck Person, qui a d’abord évolué comme contrôleur de gestion et directeur financier avant de prendre en charge le M&A chez Vicat, ou d’Audrey Hibon qui s’est forgé une expérience dans les départements stratégie avant de pivoter vers les fusions-acquisitions.
- Quel que soit leur profil, les directeurs M&A doivent nécessairement bénéficier d’une forte seniorité, a minima une dizaine d’années d’expérience, pour pouvoir prétendre à un salaire dont la fourchette tourne autour de 120-140 k€ selon les derniers chiffres du cabinet de recrutement Robert Walters.
Ne pas retarder l’intégration
Une fois l’opération signée, il faut encore s’assurer de sa bonne intégration. La définition des nouvelles offres commerciales, l’organisation des équipes, ou encore le rapprochement des systèmes d’information sont autant de points cruciaux à anticiper. Une personne est souvent dédiée à cette étape. Au sein de Criteo, c’est la mission d’Audrey Hibon qui a structuré, l’année dernière, une équipe de trois collaborateurs : « Dans un groupe, chaque responsable bénéficie d’une expertise très pointue, mais souvent centrée sur son domaine, souligne-t-elle. Le risque est alors de fonctionner avec une stratégie en silo. Nous devons, dans un premier temps, dégager une vision 360 du projet. Il faut ensuite veiller à maintenir le rythme de la mise en œuvre du plan. Dans un environnement très changeant, comme actuellement, le groupe peut perdre de vue son objectif, pris par l’émergence d’un autre sujet prioritaire. Or, plus vous retardez l’intégration, plus vous risquez de détériorer la valeur du deal. »
Véritable chef d’orchestre des fusions-acquisitions, le directeur M&A doit mêler des compétences d’analyse financière et stratégique à une maîtrise de la gestion de projet et des process. « Chaque opération doit être appréhendée de manière multidimensionnelle, selon ses aspects financiers, sociaux, business ou encore ESG », souligne Franck Person. Une bonne dose de curiosité est ainsi indispensable tant pour dénicher des opportunités que pour comprendre de nouveaux métiers et marchés. Des talents de négociateurs sont aussi attendus, et pas uniquement sur le plan financier. « Les enjeux culturels sont aussi primordiaux pour le succès d’une opération, rappelle Audrey Hibon. Rapprocher des équipes aux fonctionnements souvent très distincts implique de la diplomatie et de la persuasion. » Enfin, réussir un projet signifie parfois l’arrêter. « Il faut aussi savoir dire non, affirme Franck Person. Faire un deal c’est facile, il suffit de payer plus cher que les concurrents. Mais l’objectif est de s’assurer que l’opération soit créatrice de valeur. »