Au cours des dernières semaines, de nombreuses banques d’affaires françaises ont procédé à des recrutements de collaborateurs, tant juniors que seniors. Soutenue par le dynamisme du marché des fusions-acquisitions ainsi que par la perspective du Brexit, qui implique le retour en France de nombreux banquiers basés à Londres, cette tendance est appelée à s’intensifier dans les prochains mois.
Lazard n’a pas attendu le 1er janvier, date d’ouverture officielle du mercato hivernal de football, pour frapper fort sur le marché des transferts. Début octobre d’abord, puis début décembre, la banque d’affaires a successivement débauché le coresponsable de la banque d’investissement (Cédric Léoty), puis le président de la succursale française (Charles-Henri Filippi) de Citi. Deux annonces remarquées qui sont venues masquer un flot de mouvements au sein des équipes opérationnelles. Qu’il s’agisse par exemple de Rothschild, de Crédit Agricole CIB ou encore de Degroof Petercam, la plupart des banques d’affaires viennent en effet de procéder à de nombreux recrutements de collaborateurs, ou sont en passe d’en finaliser. «Je n’ai pas le souvenir d’un marché de l’emploi sur ce segment aussi actif et concurrentiel depuis la période d’avant-crise», assure un banquier d’affaires.
La couverture du private equity étendue
Cette effervescence est avant tout entretenue par des facteurs conjoncturels. Dans un contexte de rebond de la croissance et de maintien de taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas, de nombreuses entreprises ont accéléré leurs investissements, en particulier sur le front de la croissance externe. Illustration : avec 245,8 milliards de dollars équivalents de transactions enregistrées l’an dernier d’après Thomson Reuters, l’activité a atteint son plus haut niveau en valeur depuis 2007 sur le marché français des fusions-acquisitions. De quoi inciter les banques d’affaires à se renforcer. «Compte tenu du nombre de mandats obtenus en 2017 à l’achat comme à la vente, en nette progression, nous avons été amenés à procéder à une vingtaine de recrutements de banquiers juniors et seniors, indique-t-on ainsi chez Rothschild. Au regard des perspectives toujours favorables pour cette année, nous devrions poursuivre dans cette voie.» L’établissement leader du classement français des banques conseil les plus actives en M&A l’an passé n’est pas le seul dans cette situation.
«Convaincus que l’activité M&A et private equity est amenée à rester dynamique, nous ambitionnons de doubler notre part de marché en volumes, un objectif qui implique d’étoffer nos équipes, prévient Cyril Kammoun, président de Degroof Petercam Finance. A ce titre, nous procédons actuellement au recrutement de plusieurs profils senior.» Analystes sectoriels, banquiers conseil confirmés, gérants de portefeuille dans le domaine du capital-investissement… Le périmètre des postes ciblés est extrêmement large.
Surtout, cette tendance est exacerbée par un paramètre structurel : le Brexit. Sous l’effet de la sortie programmée du Royaume-Uni de l’Union européenne, les banques de financement et d’investissement vont devoir relocaliser une partie de leurs collaborateurs dans l’espace communautaire. «Chez Unicredit France, nous allons à ce titre accroître nos effectifs de 10 à 15 % du fait de ces transferts depuis Londres», signale Patrick Soulard, directeur général. Alors que l’ensemble des grandes places financières de la zone euro devraient bénéficier de ces rapatriements, l’hémorragie pourrait être conséquente. Selon une étude réalisée fin 2017 par Eurogroup Consulting et l’Institut Louis Bachelier, l’activité de banque de financement et d’investissement (BFI) représentait à fin 2016 quelque 110 000 emplois à Londres. Selon les modalités de mise en œuvre du Brexit, la City pourrait en perdre entre 3 000 (scénario d’un «soft Brexit») et 27 000 («hard Brexit»)…
Une hausse du turn-over anticipée
Pour les structures concernées, la tâche ne s’annonce toutefois pas simple. «Il faut s’attendre à ce que certains banquiers préfèrent rester à Londres, et donc démissionnent, reconnaît un spécialiste. Face à de telles situations, nous devrons les remplacer, ce qui intensifiera davantage la demande sur les marchés locaux.» De fait, alors que toutes les BFI basées outre-Manche n’ont pas encore finalisé leur plan d’action quant à ces relocalisations futures, certaines banques d’affaires et boutiques cherchent déjà à en tirer profit. «Au cours des dernières années, beaucoup de talents avaient quitté la France pour rejoindre la City, rappelle Cyril Kammoun. Dans la perspective du Brexit, ils sont plusieurs à vouloir faire le chemin inverse. Dans ce cadre, nous sommes récemment parvenus à embaucher un expert en M&A large cap en provenance de Société Générale CIB à Londres. Des discussions sont également en cours avec d’autres spécialistes, qui pourraient rapidement aboutir.»
Conscients que ces recrutements «opportunistes» sont appelés à se multiplier dans les prochains mois, les responsables de banques d’affaires comptent agir vite et seuls, en mobilisant leur réseau plutôt qu’en sollicitant des chasseurs de tête. Pour parvenir à leurs fins, certains n’entendent pas lésiner sur les moyens, promettant à la clé, pour les candidats approchés, des packages de rémunération «généreux».
Deux métiers «tendance» dans la BFI
- En plus du M&A, deux activités pilotées par les banques d’investissement et de financement nécessitent actuellement un besoin supplémentaire en ressources humaines. La première concerne la couverture de la clientèle financière. «Les institutions financières sont aujourd’hui moins bien couvertes dans les banques que la population corporate, constate Patrick Soulard, directeur général d’Unicredit France. Dans la mesure où l’accompagnement de celles-ci génère des revenus plus élevés, il s’agit d’une zone de développement attractive pour les BFI.» Parmi les profils les plus recherchés figurent notamment les vendeurs de marché.
- Le «transaction banking» constitue la seconde activité en vogue. «Face à l’internationalisation croissante des groupes et à leur attention de plus en plus marquée pour l’optimisation des flux, les services de cash management et de trade finance font l’objet d’une demande croissante, poursuit Patrick Soulard. Pour la satisfaire, les BFI sont en quête de banquiers expérimentés dans ces domaines.»