Le métier de banquier d’affaires se conjugue aussi en région

Publié le 10 juin 2024 à 15h21

Coralie Bach    Temps de lecture 8 minutes

Souhaitant être au plus près des dirigeants, plusieurs banques d’affaires small cap font le choix de s’implanter en région. L’occasion pour des financiers, qui associent compétences commerciales et connaissance de leur territoire, d’embrasser ce métier. Encore faut-il convaincre certains candidats réticents à l’idée de quitter les grandes métropoles.

L’évocation des banques d’affaires renvoie bien souvent au microcosme financier parisien, avec ses célèbres noms concentrés au sein du triangle d’or de la capitale. Mais aux côtés des Lazard, Rothschild & Co, ou encore Goldman Sachs, se sont développés des boutiques et acteurs multirégionaux. Les terrains de jeu ne sont évidemment pas les mêmes. Aux premiers, les opérations large et upper mid cap, aux seconds les transactions smid cap. « Après la crise de la Covid-19, nous avons constaté une accélération du déploiement des banques d’affaires en région, remarque Ilann Boukais, senior manager au sein du cabinet de recrutement Robert Walters. L’année noire de 2023 et le rebond plus tardif que prévu en 2024 ont freiné ce mouvement, le marché étant dans une forme d’attentisme. » Le small cap n’a en effet pas échappé au repli, le panorama annuel des cessions acquisitions des PME (opérations valorisées entre 1 million d’euros et 50 millions d’euros), réalisé par In Extenso Finance et Epsilon Research, fait état d’une baisse du nombre de transactions de 11 % sur l’année 2023. De quoi retarder certains projets de déploiement en région sans pour autant les enterrer.

Créé en 2013 à Strasbourg, Cairus, historiquement centré sur la région Alsace-Lorraine, a depuis quelques années engagé une stratégie de déploiement territorial, accélérée en 2023 par l’entrée au capital du groupe Mentor. « Nous continuons de recruter et de nous développer en province et dans les pays limitrophes, indique Jérémie Walch, associé du cabinet. Le M&A connaît certes des difficultés conjoncturelles, mais structurellement c’est un marché en croissance, en particulier sur le small cap encore peu adressé par les professionnels du secteur. » Actif à la fois sur le M&A, le financement et les transactions services, le conseil rassemble une cinquantaine de collaborateurs répartis dans une quinzaine de bureaux sur le territoire. En début d’année, il a ainsi ouvert des antennes à Brest et Reims, et prévoit de s’implanter à Lyon et Rouen à la rentrée, pour des équipes qui devraient approcher les 80 collaborateurs à la fin de l’année.

Une nécessaire proximité pour dénicher des opportunités

De son côté, Adviso Partners, installé à Paris, Lille, Lyon, Nantes, Bordeaux et Marseille, a récemment étoffé ses équipes dans le Nord-Ouest avec le recrutement d’un deuxième associé à Nantes, tandis qu’In Extenso Finance a ouvert un bureau à Rennes, comptant désormais une quinzaine d’implantations dans l’Hexagone. « L’avantage d’avoir une présence multirégionale est de tisser des liens avec l’écosystème local. Nos équipes sont connectées avec les syndicats professionnels, les banques régionales, les chambres de commerce, et peuvent ainsi dénicher des opportunités en dehors du marché », souligne Christophe Del Toso, associé et directeur AURA au sein de la filiale M&A du groupe d’expertise-comptable. Même discours chez Cairus qui met en avant la relation affinitaire entre les chefs d’entreprise et leurs conseils. « Nous croyons en la proximité avec les dirigeants, d’autant plus sur le marché des PME où les cessions s’effectuent souvent auprès d’un acteur de la même région affirme Jérémie Walch. Etre implanté localement nous permet de mieux connaître les acteurs et d’identifier des acquéreurs potentiels en dehors de la liste classique des sociétés du secteur. »

« Nous recrutons souvent d’anciens banquiers ayant exercé auprès d’une clientèle d’entreprises que nous formons au M&A. »

Jérémie Walch associé ,  Cairus advisory

L’installation des bureaux suit assez logiquement l’activité économique. Elle privilégie ainsi les grandes métropoles, ces dernières accueillant même quelques acteurs du mid cap à l’image de Clearwater International à Marseille, Natixis Partners à Lyon, ou des équipes d’Edmond de Rothschild Corporate Finance et Transaction R&Co également installées dans la capitale des Gaules et plus récemment à Bordeaux. Le chef-lieu de la Nouvelle-Aquitaine fait d’ailleurs l’objet d’une attention croissante ces derniers temps, accueillant, par exemple, il y a quelques mois, Carmine Capital et Smart Entrepreneurs, deux spécialistes du small cap. « Le développement en région peut également suivre la stratégie sectorielle des conseils M&A, relève Ilann Boukais. La région lyonnaise possède une forte activité en santé et en Tech par exemple, tandis qu’une présence en Bretagne constitue un atout pour suivre le secteur maritime. »

De manière plus opportuniste, certains font aussi le choix de s’installer dans des villes de taille intermédiaire. C’est le cas notamment d’In Extenso Finance, présent à Caen et à Tours, d’Eurallia Finance, qui compte parmi ses 15 bureaux Orléans et Valence, ou encore de Cairus avec des antennes à Dijon, Besançon et au Mans. « Beaucoup de banques d’affaires se concentrent sur le mid cap, et restent donc sur les principales métropoles. Notre positionnement small cap, sur des opérations valorisées entre 1 et 30 millions d’euros, nous permet d’adresser de plus petites villes », explique Jérémie Walch.

Des experts du territoire

Quelle que soit la région, ces bureaux demeurent, en grande majorité, de taille modeste. Les plus petits sont parfois animés par un professionnel en solo, les autres comptant en moyenne une équipe de deux à cinq personnes. Dans tous les cas, la connaissance du tissu économique local et de ses acteurs constitue un critère essentiel pour les recruteurs. Les fonctions de managers laissent ainsi peu de place aux anciens parisiens en quête d’une nouvelle vie, les opportunités étant plus ouvertes pour les profils d’analystes. Le savoir-être et les qualités relationnelles sont aussi attendus pour mener à bien les négociations. « En tant que conseil small cap, nous accompagnons beaucoup d’opérations primaires pour lesquelles la dimension psychologique est importante », ajoute Christophe Del Toso. Sans parler de la fibre commerciale indispensable à l’exercice du métier. « Les recrutements en région sont souvent liés à une ouverture de bureau ce qui implique des compétences de développement, souligne Ilann Boukais. La taille du portefeuille clients existants est d’ailleurs clé dans la négociation de la rémunération. » Les salaires en région sont d’ailleurs, aux dires des différents experts, de plus en plus alignés avec ceux pratiqués sur le marché parisien par des structures équivalentes, en termes de taille d’équipe et de dossiers traités. A titre indicatif, le fixe d’un analyste tourne autour d’une fourchette comprise entre 40 000 et 55 000 euros, tandis que les disparités sont beaucoup plus fortes sur les postes de directeur, selon le niveau d’expérience, la préexistence d’un portefeuille clients et la taille de l’équipe éventuelle à gérer.

Pour autant, les candidats ne sont pas légion. « Recruter en région n’est pas simple, témoigne Yoann Melloul, associé et directeur des régions chez In Extenso Finance. Les personnes qui exercent ce métier sont souvent attirées par les grandes métropoles, à commencer par Paris. » Pour convaincre les candidats, le conseil met en avant les possibilités d’évolution en interne et un rythme de travail plus raisonné que dans la capitale. Confronté aux mêmes difficultés de recrutement, Cairus n’hésite pas à diversifier les profils. « Nous recrutons souvent d’anciens banquiers ayant exercé auprès d’une clientèle d’entreprises que nous formons au M&A, témoigne Jérémie Walch. Ces candidats ont l’avantage de bien connaître le tissu économique local tout en étant à l’aise avec les relations commerciales et la technique financière. » Avis aux amateurs…

Les régions qui tirent leur épingle du jeu

Si l’Ile-de-France reste le moteur de l’activité M&A, même sur le segment des PME, concentrant plus du tiers des opérations valorisées entre 1 et 50 millions d’euros, d’autres régions tirent leur épingle du jeu. Selon le Panorama annuel des cessions & acquisitions de PME d’in Extenso Finance, l’Auvergne-Rhône-Alpes se place sur la deuxième marche du podium avec 144 transactions sur les 964 recensées au niveau national sur le small cap. Viennent ensuite la Nouvelle-Aquitaine (81 deals) et la région PACA (74 deals) qui enregistrent une croissance respective du volume d’opérations de 9 % et 23 % par rapport à 2022. Enfin, si l’activité des Pays de la Loire est encore limitée avec 57 deals, c’est elle qui connaît la plus forte croissance annuelle (+ 24 %), s’inscrivant à contre-courant du marché national.

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