Durabilité

Le métier de l’audit dynamisé par la CSRD

Publié le 7 décembre 2023 à 8h30

Joffrey Marcellin    Temps de lecture 8 minutes

Alors qu’ils digèrent à peine la perte d’activité engendrée par la loi Pacte, les commissaires aux comptes souffrent en parallèle d’une image vieillissante et d’un manque d’attractivité auprès des jeunes talents. La généralisation de l’audit des rapports de durabilité, suite à l’entrée en vigueur de la directive CSRD, devrait toutefois permettre d’inverser la tendance et ouvrir la profession à de nouveaux profils.

«Auditeur légal, ce n’est pas un métier que tu as envie de faire quand tu es petit. » En une phrase, le comédien Panayotis Pascot, chargé de faire connaître l’audit à travers une vidéo promotionnelle, a résumé avec humour la réputation d’austérité souvent associée aux commissaires aux comptes. « Le métier souffre d’une image vieillissante et terne qui ne reflète pas la réalité du terrain, regrette Anne-Laure Chevalier, présidente de la commission prospective et innovation de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC). Nous avons donc lancé, à travers la commission “jeunes attractivité” de la CNCC, une grande campagne de communication dans les médias et dans l’espace public. »

Gagner en attractivité est d’autant plus important pour la profession qu’elle s’apprête à vivre un bouleversement majeur, avec l’entrée en vigueur de la directive CSRD et l’immense défi que cela représente. « Environ 5 000 à 6 000 entreprises vont devoir réaliser leur rapport extra-financier, et pour les premières d’entre elles dès janvier 2025, rappelle Yannick Ollivier, président de la CNCC. C’est un défi immense pour la profession, car l’ensemble de ces rapports devront faire l’objet d’un audit. »

Relever le défi de l’audit extra-financier

D’autres professionnels, comme les avocats ou les experts-comptables, pourront certes réaliser eux aussi ces audits extra-financiers, si leur structure est accréditée « organisme tiers indépendant ». Toutefois, le peu d’organismes ayant pour l’heure effectué cette démarche, alors même que les déclarations de performance extra-financières (DPEF) imposées à un certain nombre d’entreprises sont déjà soumises à audit, oblige les commissaires aux comptes à se mobiliser fortement. « Nous devons prendre une part importante dans ce nouveau défi collectif, comme nous l’avons fait jusqu’à présent avec l’audit des DPEF, estime Yannick Ollivier. Même s’il est difficile d’évaluer précisément quels seront nos besoins humains, nous pensons que si 300 ou 400 confrères font les démarches pour obtenir le “visa durabilité” indispensable pour auditer les reportings CSRD, nous serons en mesure de répondre aux besoins du marché. »

Pour relever ce challenge, la profession a mis tout en œuvre afin que les premiers auditeurs de durabilité soient prêts dès le printemps 2024. « La CNCC est le premier organisme à avoir bouclé son programme de formation, affirme Philippe Vincent, son vice-président. Par conséquent, fin février, début mars, les professionnels qui s’y seront mis tôt auront fini leurs 90 heures de formation obligatoires. Ils n’auront ensuite qu’à envoyer leur certification à la nouvelle Haute autorité de l’audit – qui remplace le Haut conseil du commissariat aux comptes – pour être inscrits sur la liste des auditeurs de durabilité. » Cette préparation en amont doit permettre aux auditeurs agréés de coconstruire des indicateurs extra-financiers auditables avec les entreprises, afin d’éviter les mauvaises surprises au moment de l’audit. En outre, il est également essentiel d’engager l’ensemble de la profession dans cette démarche, y compris les petits cabinets. « C’est dans cette optique que nous avons créé la plateforme Malt, qui avec ses 220 modules de formation s’adresse notamment aux cabinets plus modestes afin qu’ils puissent monter progressivement en compétence sur le sujet, et que personne ne soit laissé sur le côté », indique Yannick Ollivier.

Attirer de nouveaux talents

Mais au-delà du défi organisationnel et du défi de formation, l’ouverture de la profession à d’autres matières que la comptabilité pourrait devenir son plus important levier d’attractivité. « Nous comptons énormément là-dessus pour attirer de nouveaux talents, car nous savons à quel point les jeunes étudiants sont sensibles aux questions sociales et environnementales », affirme Anne-Laure Chevalier. Séduire ces jeunes talents dans le but de diversifier les profils d’auditeurs s’avère particulièrement pertinent dans la perspective de cette nouvelle mission. « Aujourd’hui, notre profession a toujours un gros prisme comptable, souligne Anne-Laure Chevalier. Nous aurons toujours besoin de ces profils classiques, mais nous allons de plus en plus essayer d’attirer des ingénieurs, des universitaires, des juristes, et pas uniquement des experts-comptables, car ils vont enrichir notre expertise et notre approche du métier. »

L’Ecole française de formation à l’audit, dont la première promotion a effectué sa rentrée en octobre dernier, a d’ailleurs été créée pour promouvoir cette diversification. « Cette école marque la reprise de la filière de l’audit par la profession, selon Philippe Vincent. Son objectif est de former les nouveaux profils en tenant compte de leurs parcours d’origine, pour les amener vers le certificat d’aptitude aux fonctions de commissariat aux comptes (CAFCAC). » Pour l’heure, l’EFFA a réussi une partie de sa mission, en accueillant des étudiants pas spécialement tournés vers la comptabilité, même si la grande majorité d’entre eux ont une expérience en cabinet d’audit.

Acquérir des compétences ESG solides

Désormais, il faut accentuer ce mouvement en attirant des profils encore plus divers, qui viendraient d’autres univers professionnels que celui de l’audit. « J’y crois fortement, car en tant que professeur des universités, je vois bien que mes étudiants sont particulièrement intéressés par ce type de sujets, se réjouit Lionel Escaffre, professeur, commissaire aux comptes et président de l’Ecole française de formation à l’audit. L’audit des rapports de durabilité renforce l’utilité sociale des commissaires aux comptes, car ces derniers vont contribuer par cette mission aux orientations internationales qui seront prises par les entreprises pour maîtriser, entre autres, le risque climatique. Je ne doute pas que cela puisse convaincre un certain nombre d’étudiants de s’orienter vers cette filière. » L’objectif, in fine, est que la diversité des profils profite à l’audit, et que parallèlement l’audit redevienne une filière attractive et un tremplin pour les auditeurs.

«Demain, la compétence ESG sera aussi importante que la compétence comptable, et les commissaires aux comptes devront être capables d’auditer une entreprise dans son ensemble. »

Lionel Escaffre président ,  Ecole française de formation à l’audit

A terme, il faudra qu’un très grand nombre de commissaires aux comptes acquièrent un haut niveau de compétences en matière de durabilité. « Cette montée en compétences de l’ensemble des professionnels de l’audit est essentielle car demain la compétence ESG sera aussi importante que la compétence comptable, voire en interconnexion avec elle, et les commissaires aux comptes devront être capables d’auditer une entreprise dans son ensemble, affirme Lionel Escaffre. On leur demandera probablement de vérifier que ce qui est annoncé dans le rapport de durabilité soit en cohérence avec la comptabilité financière de l’entreprise. » Ainsi, d’une spécialisation, l’ESG a vocation à devenir une attribution normale de tout auditeur. Au même titre que les préoccupations sociales et environnementales devront s’imposer comme aussi essentielles, si ce n’est plus, que la question financière.

Une école pour diversifier les profils des auditeurs

Créée et détenue à 50 % par la CNCC et l’ENOES, école spécialisée en expertise comptable et audit à Paris, l’Ecole française de formation à l’audit (EFFA) s’est donné pour mission de diversifier les profils des auditeurs. « La CSRD crée de nouveaux besoins en termes d’expertise, et cette école va nous permettre de former toute une série de personnes qui ont des compétences sur l’ESG mais qui ne connaissent pas notre métier d’auditeur, souligne Lionel Escaffre, président de l’EFFA. Parmi eux, on retrouvera très certainement des ingénieurs agronomes ou des centraliens qui ont besoin de revoir leurs bases comptables, financières et juridiques pour devenir commissaires aux comptes. »

En outre, au-delà de préparer au certificat d’aptitude aux fonctions de commissariat aux comptes, qui reste l’objectif principal de l’école, les étudiants de l’EFFA pourront obtenir, à l’issue de leurs 300 heures de formation, le master administration des entreprises, option audit, en partenariat avec l’IAE d’Angers. « Le fait que l’école soit diplômante permettra aussi à des profils voulant mettre leurs compétences au service de l’audit sans forcément devenir commissaire aux comptes d’apporter leur pierre à l’édifice, se réjouit Yannick Ollivier, président de la CNCC. Son but est avant tout de dynamiser la filière. »

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