Le télétravail a fait l’objet, il y a quelques mois, d’assouplissements juridiques, censés favoriser son essor. Les métiers de la finance, qui avaient pour certains commencé à expérimenter ce mode d’organisation, ne devraient pas échapper à la tendance.
«Toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies modernes» : telle est la nouvelle définition du télétravail selon l’article L. 1222-9 du Code du travail amendé par l’ordonnance du 24 septembre 2017. Cette nouvelle définition sous-entend que cette forme de travail volontaire dans le cadre d’un accord d’entreprise n’est plus nécessairement régulière, mais peut aussi être exercée à titre occasionnel. De quoi conduire à son développement.
Les métiers ne devraient pas échapper à cette tendance. Pendant longtemps, les enjeux stratégiques des différentes fonctions et l’impossibilité de laisser sortir des sociétés des documents ultra-confidentiels constituaient des freins majeurs à l’essor de cette forme de travail. Mais le contexte et les états d’esprit ont changé.
«Les verrous psychologiques ont sauté conjointement aux avancées technologiques, à l’automatisation des process et à une plus grande sécurisation des accès aux données de l’entreprise, constate Philippe Burger, associé responsable Capital humain chez Deloitte.Les métiers se transforment, la mobilité et le nomadisme se développent. Comme toutes les autres fonctions au sein d’une entreprise, le secteur financier est concerné par ces mutations.» Un avis corroboré par les intéressés. «C’est normal que l’organisation de travail d’une entreprise évolue avec son temps, résume Orlane Belmana, responsable des ressources humaines chez Ostram Asset Management. Cela constitue un élément de plus dans les nouvelles formes d’organisation du travail.»
Toutes les générations séduites
Travailler de chez soi tend ainsi à se démocratiser. De l’auditeur au contrôleur de gestion en passant par le consolideur, le comptable ou le directeur administratif et financier, de plus en plus de profils commencent à goûter à cette vie de bureau «hors les murs». «Quand nous avons lancé notre programme de télétravail, la question était d’organiser ces journées en faisant en sorte que cela ne change rien pour nos clients et que cela soit totalement transparent, sans baisse de la qualité de service, témoigne Philippe Autran, directeur des ressources humaines d’In Extenso, une société d’expertise comptable. Il n’était pas non plus question de déstabiliser le travail en interne.»Un an après la mise en place du télétravail au sein de l’entreprise, près de 35 % des salariés du siège social avaient opté pour cette formule. Chez Accenture France, ce taux actuel s’élève à 60 %, avec 40 % dès la première année suivant la mise en place en 2010.«Avec du recul, on s’aperçoit qu’on parvient toujours, quelles que soient les fonctions, à organiser un poste de travail afin que, durant une journée par semaine, la présence physique ne soit pas nécessaire, explique Marc Thiollier, secrétaire général d’Accenture pour la zone France, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg. C’est juste une question d’organisation, de timing et de souplesse, même s’il n’est toutefois pas facile pour les financiers de s’absenter les jours de closing.»
Contrairement à une idée reçue, télétravailler concerne toutes les générations de salariés. «Les jeunes talents en début de vie active apprécient cette formule car elle leur permet de vivre loin de Paris ou à l’étranger, indique Laurent Girard, fondateur et directeur général de Yomoni, une jeune fintech de deux ans d’âge. Dans le cadre de leur recrutement, la possibilité de travailler à distance influe dans leur choix.» Quant aux managers un peu plus âgés, ils sont eux aussi séduits par cette formule. C’est l’occasion d’économiser le temps perdu dans les transports, notamment pendant les épisodes de grève, ou d’aller chercher une fois par semaine leurs enfants à l’école. Beaucoup d’adeptes du télétravail apprécient également de disposer de cette journée pas comme les autres pour se concentrer de façon continue sur un dossier, un projet ou une mission. «La productivité à la maison est supérieure à celle au bureau», assure Sabrina Cadalen, analyste financier de fonds ISR chez Arkea Investment Services.
Une simplicité de mise en œuvre
Autre évolution notable, même les managers les plus réticents à la base revoient leur position. «Au départ, ceux-ci pensaient que si les gens n’étaient pas sur place, ils ne travailleraient pas efficacement, signale Emma France, chargée d’affaires RSE et transformation digitale chez Activa Capital, un fonds de private equity de 20 personnes. Mais on se rend vite compte que ce mode d’organisation, flexible et volontaire, participe au bien-être des collaborateurs. C’est un vrai changement de culture pour un fonds d’investissement comme le nôtre.»Pour beaucoup de DRH, le télétravail correspond à une demande sociale, économique et environnementale. A ce titre, il touche tous les niveaux de l’entreprise. «Notre directeur administratif et financier s’occupe de la France mais aussi du Luxembourg et des Pays-Bas. Nos bureaux étant à Paris, il travaille de fait déjà à distance», signale Marc Thiollier qui pratique lui-même le télétravail un jour par semaine.
La démarche est d’autant plus séduisante qu’elle se révèle relativement simple à mettre en place. Pour les sociétés ayant adopté le travail à distance, les outils nécessaires sont finalement plutôt basiques et permettent de tout faire sans changer outre mesure les habitudes de bureau. En plus de s’installer chez soi dans un environnement dédié et confortable, «le collaborateur dispose d’un ordinateur portable professionnel, d’un casque téléphonique et d’une connexion haut débit afin d’accéder à l’intranet sécurisé et au cloud, là où se situent les données de l’entreprise», énumère Adilia Lopez, directrice des ressources humaines du groupe Primonial. «Grâce à ces équipements techniques, nous reconstituons ainsi un clone du poste de travail à domicile», résume Cédric Malengreau, directeur général d’Arkea Investment Services France. Pendant les heures de bureaux, le télétravailleur est joignable par tout le monde sur son numéro de téléphone interne habituel et par mail, et est en mesure de participer à des réunions grâce à la webcam de son ordinateur.
Peut-on pour autant imaginer voir le télétravail se généraliser à tous les métiers financiers ? Il en subsiste encore quelques-uns pour lesquels les barrières autour de la délocalisation du travail à la maison ne sont pas encore levées. «Sont encore exclus du télétravail les postes de gérants de fonds ou de conviction qui doivent être présents et interréagir selon les évolutions des marchés. Mais nous allons procéder à des tests pour tenter de les faire accéder au télétravail», indique, optimiste, Orlane Belmana. La révolution est plus que jamais en marche.
Plus de 70 % des Français hésitent encore à sauter le pas
Publiée le 24 avril, une étude du groupe Randstat France consacrée au télétravail indique que 76 % des personnes interrogées saluent le récent assouplissement juridique relatif à cette forme d’organisation du travail.
Il n’en reste pas moins que 72 % des sondés indiquent qu’ils ne comptent pas effectuer une telle demande à leur société dans les six prochains mois. Cette contradiction illustrerait le fait que ce mode d’organisation, qui relève d’une démarche volontaire du salarié, n’est pas encore totalement bien rentré dans les mœurs de la vie en entreprise.