En plus de leurs traditionnelles prérogatives comptables, les consolideurs tendent à s’imposer comme des interlocuteurs privilégiés d’un nombre croissant de directions en interne. Alimentée en grande partie par les évolutions réglementaires, cette tendance touche tout particulièrement les domaines de la fiscalité et de la RSE.
« Une grande capacité d’adaptation. » En quête d’un consolideur pour le compte d’un de ses clients, un acteur de la petite enfance, le cabinet de recrutement Hays a décidé de faire figurer, dans une annonce publiée mi-juin, cette qualité dans la liste des compétences recherchées chez le candidat idoine. Loin d’être anecdotique, l’ajout de cette mention aux côtés des expertises métier traditionnelles (hard skills) illustre parfaitement la profonde évolution qu’a connue la profession au cours des dernières années. Une profession qui, ce faisant, occupe au sein des organisations une place toujours plus stratégique.
IFRS 18 dans le viseur
Le phénomène n’est certes pas nouveau puisque cette transformation a démarré il y a une vingtaine d’années. A l’origine : l’introduction du référentiel comptable international IFRS, qui s’est traduit dès 2005 par l’entrée en vigueur échelonnée d’une série de normes aux incidences matérielles sur les comptes consolidés des grands groupes et des ETI. « Cette révolution nous a amenés à travailler avec les équipes d’autres directions afin de comprendre les opérations et transactions et d’en traduire les impacts comptables, qu’il s’agisse d’opérations financières (qualification des produits dérivés, financement en quasi-fonds propres…) ou de transactions structurantes de périmètre comme des acquisitions (calcul des goodwills et des impacts fiscaux…) ou des cessions », rappelle Sophie Castellan, présidente de l’Association des professionnels et directeurs comptabilité et gestion (APDC) et directrice des comptabilités groupe de Lagardère.
Avec les dernières adoptions d’IFRS 9 sur les instruments financiers, d’IFRS 15 sur la comptabilisation des revenus et d’IFRS 16 sur les contrats de location, ce big bang comptable touche désormais à sa fin. Mais il n’est pas fini pour autant, comme en témoigne l’application, à compter du 1er janvier 2027, d’IFRS 18. « Même si cette nouvelle norme sur la présentation des états financiers ne va pas provoquer de grands bouleversements, elle va néanmoins induire quelques changements importants, prévient Lise Chorques, experte IFRS chez Ginini antipode, un cabinet de conseil dédié aux directions financières. On peut prendre comme exemple le résultat des sociétés mises en équivalence qui remonte juste sous le résultat opérationnel mais qui en est désormais formellement exclu, ou encore le coût de l’endettement net, qui ne pourra plus être affiché directement au compte de résultat. »
Le pilier 2 et la CSRD au programme
En dépit de cette moindre effervescence sur le front des innovations comptables, les attentes à l’égard des consolideurs ne faiblissent pas, loin de là. « En interne, celles-ci vont même croissant de la part des diverses parties prenantes, qui nous sollicitent de plus en plus », confirme Emmanuel Roger, vice-président de l’APDC et directeur central consolidation comptabilité fiscalité de Bouygues SA. Impulsées par la réglementation, deux thématiques ne cessent ainsi de prendre une dimension croissante dans leur agenda. La première a trait à la fiscalité internationale, un champ dans lequel l’actualité est principalement marquée par l’entrée en vigueur de l’impôt minimum mondial (à 15 %) à partir des états financiers clos au titre de l’exercice 2024. S’appliquant aux multinationales qui dégagent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros, cette mesure, dénommée Pilier 2 en référence à la partie du texte dont elle dépend, va imposer aux directions financières des groupes concernés de signaler à l’administration fiscale lesquelles de leurs filiales entrent dans le périmètre du dispositif – de nombreux retraitements devront alors être réalisés pour calculer le taux effectif d’imposition dans chaque pays –, d’expliquer pourquoi d’autres en sont exclues et, le cas échéant, de s’acquitter du différentiel entre l’imposition effective et l’imposition minimale. La seconde thématique de plus en plus prégnante dans le quotidien des consolideurs concerne la RSE et, plus spécifiquement aujourd’hui, la mise en œuvre des dispositions de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). A compter de l’an prochain (sur la base de l’exercice 2024), les entreprises cotées qui emploient plus de 500 salariés, et qui réalisent plus de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires et/ou millions d’euros de total de bilan, devront en effet publier un reporting de durabilité. La disposition s’appliquera ensuite progressivement aux ETI et grandes entreprises non cotées, puis aux PME cotées. Ce document va alors remplacer et enrichir considérablement la déclaration de performance extra-financière existante. Avec à la clé, là aussi, un grand nombre de nouveaux indicateurs à publier et de données à collecter.
Bien que ces nouveautés réglementaires ne concernent pas directement les départements en charge de la consolidation – ils relèvent respectivement de la direction fiscale et de la direction RSE –, deux facteurs tendent à les rendre incontournables. Le premier a trait aux outils informatiques déployés. « A la différence d’autres directions, les logiciels que nous utilisons sont partagés dans l’ensemble des entités du groupe, indique Emmanuel Roger. Dans la mesure où Pilier 2 et la CSRD requièrent de faire remonter des données en provenance de l’intégralité des filiales pour le suivi des indicateurs clés et l’élaboration des reportings ou des déclarations fiscales, les équipes de consolidation sont souvent les interlocuteurs naturels pour la collecte des données. » Un constat qu’illustre par exemple Pascal Durand-Viel, directeur systèmes de reporting, consolidation et comptabilité chez Vinci. « Notre outil de consolidation contribue également au calcul de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. » Dans certains groupes, il en va de même s’agissant des reportings ESG.
«Compte tenu de la complexité du chantier de la taxonomie verte européenne, c’est vers nous que les équipes en charge de la RSE s’étaient tournées une première fois, avant de faire de même pour certains sujets de la CSRD, qui reposent en partie sur des process similaires.»
De nombreux retraitements
A cet aspect IT s’ajoute une explication afférente à leurs prérogatives intrinsèques. Déjà, le fait d’avoir une vue directe sur les comptes des diverses filiales leur offre une vision globale que, d’après les intéressés, peu d’autres directions ont. Parallèlement, leur expérience en matière de collecte des données, de retraitement des informations en vue de les rendre exploitables au sein de reportings structurés, et de gestion de projet est aussi prisée en interne. En la matière, la mise en œuvre de la taxonomie verte européenne dès 2022 aura été, sur le front ESG, un tournant. « Que ce soit pour recenser les Opex et les Capex verts ou leurs caractéristiques énergétiques par exemple, que requiert cette réglementation, de nombreuses opérations de rapprochement de périmètres comptables sont nécessaires, explique Sophie Castellan. Compte tenu de la complexité du chantier, c’est vers nous que les équipes en charge de la RSE s’étaient tournées une première fois, avant de faire de même pour certains sujets de la CSRD, qui reposent en partie sur des process similaires. »
Pour les consolideurs, cette diversification des missions confiées entraîne de multiples conséquences, qui vont du surcroît de travail au quotidien – car, dans le même temps, les moyens mis à leur disposition sont rarement revus à la hausse – au renforcement des attentes des équipes dirigeantes en ce qui concerne les compétences douces (soft skills) des collaborateurs. « Pour s’assurer de bien comprendre les mêmes choses que nos interlocuteurs et de transmettre les bons messages, il est plus que jamais nécessaire d’avoir une certaine aisance relationnelle et de s’assurer que nos connaissances dans des domaines connexes à la comptabilité sont bien à jour, ce qui passe notamment par le suivi de nombreuses formations, insiste Emmanuel Roger. Il faut aussi veiller à parler le même langage que le professionnel face à nous, ce qui n’est pas évident au regard des différences entre, par exemple, un fiscaliste et un expert de la RSE. »
«Il est plus que jamais nécessaire d’avoir une certaine aisance relationnelle et de s’assurer que nos connaissances dans des domaines connexes à la comptabilité sont bien à jour.»
En plus d’enrichir leur palette, les intéressés espèrent surtout que ces mutations contribueront à restaurer l’attractivité du métier, qui en a bien besoin. « Alors même que le turn-over des équipes reste important, celui-ci continue de souffrir d’un déficit de visibilité chez les jeunes diplômés et les financiers juniors », déplore en effet Sophie Castellan. La révolution digitale face à laquelle est aujourd’hui confrontée la profession pourrait toutefois y remédier en partie. Car, entre la contrainte qu’ont la plupart des consolideurs aujourd’hui à changer d’outil (voir encadré) et l’émergence de l’intelligence artificielle, l’heure est plus que jamais à la mise en place de solutions logicielles plus ergonomiques, plus susceptibles d’attirer les jeunes générations.
Un agenda IT chargé
- Parallèlement à leurs problématiques du quotidien et à la poursuite des préparatifs relatifs au futur reporting de durabilité (directive CSRD) et au taux d’impôt minimum mondial (Pilier 2), les consolideurs sont aujourd’hui confrontés à un immense chantier informatique. De fait, l’éditeur de logiciel SAP a acté la fin de la maintenance de son principal outil de consolidation, SAP Financial Consolidation, à compter de 2030. « Or il s’agit d’une solution très utilisée dans de grands groupes français, et dont la réputation de robustesse, de flexibilité et de fiabilité, construite au fil des années, est aujourd’hui bien établie », rappelle Pascal Durand-Viel, directeur systèmes de reporting, consolidation et comptabilité chez Vinci.
- Si l’échéance, qui a par ailleurs été reportée par SAP de 2027 à 2030 sous l’effet des récriminations de ses clients, peut sembler lointaine, certaines entreprises ont d’ores et déjà engagé le chantier de son remplacement, dont beaucoup appréhendent la complexité. « Du fait de cette réputation solide et de sa facilité à être déployé dans nos entités, cet outil s’est naturellement imposé chaque fois que nous cherchions à collecter de nouvelles informations pour en obtenir une vision groupe, poursuit Pascal Durand-Viel. Comme d’autres, nous nous en servons pour des reportings non financiers. Son remplacement impactera donc naturellement d’autres filières métiers que la seule consolidation financière. »
- Dans ce cadre, de nombreux professionnels entendent faire de cette contrainte une opportunité. « La fin de SAP FC constitue l’occasion parfaite de remettre à plat totalement nos solutions digitales, voire de migrer vers des outils plus ergonomiques et proposant davantage d’automatisation », témoigne Emmanuel Roger, vice-président de l’APDC. N’excluant pas de se tourner vers d’autres éditeurs que SAP, certains projettent également de saisir cette fenêtre pour s’intéresser aux apports possibles de l’intelligence artificielle. « Le niveau de maturité des consolideurs sur ce sujet est encore limité, et leurs attentes se concentrent principalement sur des besoins assez basiques, notamment par manque de connaissance des possibilités offertes par les solutions d’IA et la diversité des cas d’usage possibles, souligne Florent Arrighi – associé chez Ginini antipode. Or, plusieurs expérimentations ont démontré que la technologie pouvait apporter une réelle valeur ajoutée, en matière par exemple de rédaction de communiqués sur les résultats financiers ou de fiche métier, de comparaison des performances d’une filiale sur une longue période ou encore d’analyse d’une norme comptable. »