Le contrôle de gestion appliqué à l’industrie nécessite certes des compétences en finance mais aussi et surtout une expertise sectorielle qui ne s’acquiert souvent que sur le terrain. Une spécificité qui explique la rareté des candidats qui, le plus souvent, font toute leur carrière dans l’industrie.
A l’heure où la compétitivité de l’industrie est mise à rude épreuve, les entreprises du secteur ont plus que jamais besoin de contrôleurs de gestion industriels qualifiés pour garantir leur pérennité et leur rentabilité et renforcer leur performance. Le besoin est d’autant plus impérieux aujourd’hui que l’industrie doit relever de nouveaux défis, liés notamment à la transformation digitale des organisations mais également au développement durable et à la protection de l’environnement (émissions de carbone, économies d’eau, emploi de matériaux durables ou biodégradables, recyclage, etc.). « Le contrôle de gestion industriel est d’ailleurs souvent perçu comme étant une fonction à forte valeur ajoutée car pour faire face à leur environnement concurrentiel et réglementaire, les groupes industriels ont besoin d’analyser leurs coûts de la manière la plus fine et la plus juste possible pour mieux les maîtriser et les optimiser ensuite », explique Aurélien Boucly, senior talent director chez Robert Half France.
Une participation à la création de valeur de l’entreprise
Le contrôleur de gestion industriel a ainsi pour mission principale d’optimiser les flux d’information pour améliorer la création de valeur de son entreprise et sa compétitivité. « Il intervient à ce titre dans la gestion industrielle en analysant et en décomposant le prix de revient et les marges des produits, par exemple avec des approches de type ABC/ABM et target costing (ou coût cible), précise Pierre-Laurent Bescos, formateur et consultant. Il a également pour vocation d’élaborer les budgets, notamment en collaboration avec les responsables opérationnels dans les unités de production, dans le cadre de mises à jour de plus en plus fréquentes. Il lui revient par ailleurs de réaliser le suivi des budgets et d’analyser les écarts entre les prévisions et les réalisations. Enfin, il a pour mission de réaliser des tableaux de bord compréhensibles par la direction d’une part, et par les opérationnels d’autre part, afin qu’ils suivent les performances des différentes entités et s’assurent qu’elles sont à la hauteur des attentes de la direction générale. » Comme les structures de production sont propres à chaque industrie, voire à chaque produit qui y est fabriqué, le contrôleur de gestion industriel doit savoir faire preuve d’adaptabilité et avoir une bonne connaissance des processus de production de son entreprise. « Tout l’enjeu pour nous consiste alors à ajuster nos techniques d’analyse et nos KPI à la chaîne de valeur du produit dont nous supervisons la production d’un point de vue financier, témoigne ainsi Benjamin Barriol, directeur du contrôle de gestion du groupe Aqualung et président de la DFCG Côte d’Azur. En effet, lorsque nous regardons un prix de vente versus un prix de revient, les marges peuvent être considérablement différentes entre un produit de luxe et un produit de consommation courante. Plus la marge du produit est faible, plus nous devons en superviser finement le process industriel. A l’inverse, dans les industries qui dégagent beaucoup de marges, nous sommes attendus sur notre capacité à les accompagner dans la création de valeur, par exemple en préconisant de mettre des outils de pilotage à la disposition des opérationnels. Nous passons ainsi notre temps à adapter nos processus de contrôle aux produits fabriqués dans nos usines, à nous réinventer et à découvrir de nouvelles méthodes d’analyse de la performance. Ce métier nécessite donc de maîtriser les techniques financières certes, mais également de s’intéresser au produit fabriqué et à ses composantes afin de bien définir ensuite comment analyser la performance de son process industriel. »
«Les groupes industriels ont besoin d’analyser leurs coûts de la manière la plus fine et la plus juste possible pour mieux les maîtriser et les optimiser ensuite.»
Une profession qui se digitalise
Aujourd’hui, ces missions tendent à évoluer et à se renforcer, notamment au regard de la digitalisation de la profession et de ce que pourrait apporter l’intelligence artificielle. D’ailleurs, au-delà de leur maîtrise des techniques de contrôle de gestion, les contrôleurs de gestion industriels doivent également avoir une certaine appétence pour les outils informatiques de gestion, et en particulier pour les ERP ou encore les outils de reporting. « Les outils digitaux permettent en effet aux contrôleurs de gestion d’échanger avec les opérationnels beaucoup plus d’informations en temps réel, par exemple sur des indicateurs non financiers liés aux clients, aux processus de fabrication ou encore aux flux physiques de pièces ou de produits finis, précise Pierre-Laurent Bescos. Au travers de ces indicateurs, ils peuvent mieux éclairer les opérationnels sur les performances de la production et son alignement sur la stratégie de l’entreprise, avec des outils comme le balanced scorecard (ou tableau de bord stratégique). Leur rôle de “performance managers” au sein de leur organisation tend ainsi à se renforcer dans les processus de prise de décision. »
Comme ils sont amenés à échanger en permanence avec les opérationnels, des ingénieurs, des techniciens qui n’ont pas la même culture et le même langage qu’eux, ils sont en effet très attendus sur leur capacité de communication. « Leurs missions les conduisent à interagir avec de nombreux interlocuteurs, y compris et surtout des non-financiers, pour leur expliquer un compte de résultat, la composition d’un prix de revient industriel, leurs analyses ou encore leur trajectoire de performance, explique Aurélien Boucly. Il est important qu’ils sachent se faire comprendre et transmettre leurs messages. » Parallèlement, ils doivent également être suffisamment curieux pour voir et comprendre comment fonctionnent les process industriels.
Une expertise industrielle prédominante
Au-delà de ces différentes compétences et de ce savoir-être, c’est également et avant tout l’expérience du contrôleur de gestion dans le secteur industriel qui est recherchée par les recruteurs. « Il s’agit généralement d’un prérequis des industries en recherche de candidats, précise Aurélien Boucly. Certaines industries des secteurs de l’agro-alimentaire ou de l’automobile sont mêmes reconnues comme étant très formatrices pour la profession, au regard notamment de leurs exigences en termes de marges, généralement très fines. Les contrôleurs de gestion industriels passés par ces entreprises sont en général très performants. » En effet, s’ils acquièrent les techniques métier du contrôle de gestion en école de commerce ou à l’université, en master 2 finance ou en IAE par exemple, les contrôleurs de gestion industriels apprennent généralement à les appliquer au monde de l’industrie sur le terrain. « Il s’agit d’un métier que l’on apprend beaucoup en le pratiquant, précise Benjamin Barriol. D’ailleurs, nous formons souvent nous-mêmes les nouveaux contrôleurs de gestion industriels que nous recrutons. » Nombre de contrôleurs de gestion industriels ont ainsi débuté leur parcours professionnel dans l’industrie et finissent souvent par y faire carrière, à l’instar de Benjamin Barriol, qui a démarré dans le contrôle de gestion industriel dès son stage de fin d’études en master 2 finance. « J’y ai découvert un métier intéressant car très opérationnel, et qui nécessite de se pencher sur les process dans les usines, pour ensuite les retranscrire en finance, ajoute Benjamin Barriol. Mon parcours professionnel m’a ensuite mené chez Volvo, Arkopharma puis Aqualung. Je ne quitterai pas l’industrie, sauf si je change de métier. » La plupart des contrôleurs de gestion industriels évoluent d’ailleurs souvent dans le monde industriel, vers des postes de responsable de gestion industriel, responsable financier ou directeur financier de site. Ils peuvent également être promus à des fonctions de responsable de contrôle de gestion industriel groupe ou au siège.
Des salaires attractifs
L’expérience de ces contrôleurs de gestion dans le secteur industriel explique la rareté des candidats. « Comme ces profils sont plus difficiles à approcher et recruter, ils peuvent être plus exigeants sur leurs niveaux de rémunération, précise Aurélien Boucly. Nous constatons d’ailleurs que leurs revenus sont en moyenne 10 % plus élevés que ceux des contrôleurs de gestion commerciale ou dans les services. » Les salaires des contrôleurs de gestion industriels sont ainsi compris entre 45 000 et 50 000 € par an en début de carrière et 60 000 à 70 000 € par an après une première expérience.