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Les directeurs financiers des banques

Publié le 17 octobre 2013 à 10h56    Mis à jour le 3 juin 2014 à 16h45

Arnaud Lefebvre

Placées en première ligne depuis le début de la crise, les directions financières du secteur bancaire se préparent à une intense activité au cours des prochains mois. Dans le cadre de la mise en conformité de leur établissement vis-à-vis des nouvelles normes réglementaires, d’importants aménagements portant notamment sur les reportings devront être réalisés. Dans un contexte où la rentabilité des banques reste sous pression, la réduction des coûts constituera une autre priorité

L’année 2013 pourrait bien marquer un tournant pour les banques françaises. Après cinq années mouvementées, certains directeurs financiers en viendraient presque à considérer que le plus dur est désormais derrière eux. Depuis l’engagement pris par le président de la Banque centrale européenne, en août dernier, de «tout faire pour sauver l’euro», les conditions de marché se sont en effet considérablement détendues pour les établissements bancaires de l’Union monétaire. Un environnement plus favorable qui s’accompagne, en outre, d’un espoir d’accalmie dans la production de normes touchant le secteur. «Avec les derniers arbitrages en cours sur Bâle 3, la réforme bancaireen France et le projet européen d’Union bancaire, il semblerait que nous arrivions enfin au bout d’un cycle réglementaire intensif, commente Philippe Heim, directeur financier de la Société Générale. Ce dernier s’achève et l’année 2014 devrait marquer l’entrée dans une nouvelle normalité, avec des banques plus fortes.»

Le contrôle de gestion renforcé

Il faut dire que, depuis le début de la crise, les équipes financières du secteur bancaire ont été confrontées à des enjeux de taille. Entre 2008 et 2012, le fonctionnement des banques a en effet été bouleversé par deux phénomènes majeurs. D’une part, ces dernières ont subi la contraction de l’activité économique au niveau mondial ainsi que la forte volatilité des marchés financiers, qui ont eu comme principal effet de mettre les produits nets bancaires (PNB) sous pression. D’autre part, elles ont dû s’adapter face à l’instauration de nombreuses évolutions réglementaires. Ces phénomènes conjoints les ont ainsi contraintes à se réorganiser.

De plus, ils ont entraîné un changement radical de leur mode de financement. «Afin de nous mettre en conformité vis-à-vis tant des référentiels comptables (IFRS) – de nouvelles normes sont notamment entrées en vigueur en début d’année – que du Comité de Bâle, qui nous oblige, par exemple, à calculer de nouveaux ratios, mes équipes doivent s’adapter à un cadre prudentiel en perpétuelle évolution, témoigne Lars Machenil, directeur fi nancier de BNP Paribas. Cette tendance nous amène dorénavant à avoir besoin de personnel de plus en plus spécialisé et à multiplier les formations en interne.»

Mais au-delà de la gestion des ressources humaines, c’est l’architecture de la fonction finance qui a dû être modifiée.«Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons fait évoluer l’organisation de notre direction financière, constate Philippe Heim. Auparavant, les problématiques de fonds propres, celles de liquidité et le calcul du PNB étaient gérés de manière autonome par des équipes dédiées. Or la réglementation Bâle 3 a renforcé le lien entre ces trois composantes, nous amenant ainsi, dès 2011, à faire travailler ces dernières de manière plus rapprochée.» Dorénavant, la rentabilité d’une opération financière dépend en effet, pour la banque, de nombreux facteurs.

Par exemple, plus un financement s’étend sur une maturité longue, plus la part de capital que l’établissement bancaire doit mobiliser est importante. De la même manière, le niveau de risque assorti à la prestation (qualité de l’emprunteur, risque de contrepartie dans le cadre d’un dérivé, etc.) conditionne largement la consommation de fonds propres qu’elle entraîne. Face à cette multitude de paramètres à prendre en compte, les directeurs financiers ont été amenés à renforcer le contrôle de gestion.

«Afin d’évaluer la performance de chaque activité de la banque, l’accent était trop souvent mis sur le seul coefficient d’exploitation, qui correspond au rapport entre les charges d’exploitation et le PNB dégagé, indique Bernard Delpit, directeur financier de Crédit Agricole SA. Aujourd’hui, nous mesurons aussi le retour sur liquidité de chaque opération ainsi que le retour sur fonds propres notamment prudentiels. Nous croisons ainsi des concepts habituels du contrôle de gestion avec ceux relevant de la gestion actif-passif (ALM), comme la taille du bilan et la liquidité consommée.»

Un reporting plus exhaustif

L’attention portée à la production de nouveaux indicateurs se révèle d’autant plus importante que les contraintes des banques en matière de communication se sont accentuées. Jusqu’à récemment, les données financières étaient essentiellement transmises aux régulateurs nationaux et européens. Mais l’éclatement de la crise souveraine au sein de la zone euro en 2010, qui s’est ensuite propagée aux établissements bancaires, a rendu leurs actionnaires et les investisseurs extrêmement exigeants en termes d’exhaustivité des informations publiées.

«Dès le début des crises, nous avons progressivement ajouté des éléments de reporting dans nos publications de résultats, explique Lars Machenil. Nous enrichissons, par exemple, le reporting de notre actif et de notre passif avec une vision “cash”, permettant une présentation adaptée à l’analyse en liquidité du bilan du groupe. Pour citer un autre exemple au sein de notre document de référence, nous décomposons l’évolution de nos encours pondérés – ces derniers formant la base du niveau de capital qu’une banque doit tenir pour chaque opération –, afin d’illustrer les leviers pertinents. C’est une charge de travail supplémentaire que les équipes financières ont été amenées à remplir, alors même qu’elles étaient déjà très sollicitées en raison de l’intégration de nouvelles normes.»

Maintenant que les directions financières se sont habituées à de telles pratiques, elles s’apprêtent à entrer dans une nouvelle phase, qui implique elle aussi d’importantes adaptations. En effet, un nouveau ratio de liquidité de court terme imposé par Bâle 3, le liquidity coverage ratio (LCR), va bientôt être instauré. Ce dernier consiste à mesurer la capacité de chaque établissement à résister à des sorties de trésorerie qui se prolongeraient durant un mois. Pour ce faire, la qualité des actifs détenus par les banque est évaluée : plus ces derniers sont considérés, par le Comité de Bâle, comme liquides – sur la liste d’actifs de «haute qualité» publiée par le régulateur figurent notamment les titres souverains, certains emprunts obligataires sécurisés ainsi que les obligations d’entreprises les mieux notées –, plus le ratio s’améliore.

Même si le LCR ne commencera à entrer en vigueur qu’à partir de 2015, les banques vont devoir respecter certaines obligations dès le 1er  janvier prochain. La fonction finance devra être en mesure de communiquer à l’Autorité de contrôle prudentiel, sur une base mensuelle, un reporting propre au LCR de l’établissement. Or, les systèmes d’information des banques ne permettaient pas d’assurer une telle tâche. «Nous avons donc investi massivement au cours des deux dernières années afin de développer un outil informatique qui soit opérationnel d’ici la fin 2013, indique Alain David, directeur exécutif finances de BPCE. Outre ces dépenses, assez lourdes, nous avons également renforcé les effectifs en charge de la liquidité afi n notamment d’assurer ce reporting.»

Des maturités d’emprunt sur les marchés plus longues

Pour les directeurs financiers du secteur bancaire, cette augmentation des équipes en charge de la liquidité était d’autant plus fondamentale que les nouvelles contraintes bâloises ont également un impact signifi catif sur le plan du financement des banques. En plus du LCR, un autre ratio de liquidité devra également être respecté par les banques. Il s’agit du «net stable funding ratio» (NSFR), dont l’objectif vise à inciter ces dernières à s’appuyer sur des  ressources «stables» lorsqu’elles prêtent. Une définition restrictive qui bouleverse complètement la manière dont les directeurs financiers gèrent la liquidité de leur établissement. Contraintes par ces deux indicateurs, les banques sont en effet incitées à collecter les dépôts de leur clientèle, considérés comme «stables» par le régulateur, ainsi qu’à emprunter des fonds sur des maturités plus élevées que celles des prêts consentis.

«Auparavant, les banques se finançaient en grande partie sur les marchés financiers, en empruntant principalement sur des durées allant de quelques jours à trois ans, ce qui se révélait moins coûteux que des financements plus longs, rappelle Alain David. Mais les crises de 2008 et de 2011 ont démontré que l’accès à la liquidité pouvait rapidement se détériorer. En effet, même si nous n’avons jamais rencontré de difficultés à nous financer durant les périodes de fortes tensions, nous ne trouvions des fonds que sur des maturités trop courtes, inférieures à six mois.» Afin de sécuriser davantage leurs liquidités, les établissements bancaires français cherchent ainsi, essentiellement depuis deux ans, à collecter un maximum de dépôts.

En contrepartie, elles offrent à leurs  clients particuliers comme entreprises des rémunérations substantielles. «Pour attirer les dépôts, nous avons fait évoluer notre offre, indique un directeur financier. Alors que la pérennité de ces derniers ne constituait auparavant pas une priorité, nous incitons désormais les clients à laisser leur trésorerie placée sur des périodes longues, en augmentant de façon progressive le spread.» Une démarche qui a porté ses fruits.

Selon une récente étude de Fitch, la part des dépôts dans leur financement global a en effet progressé de plusieurs points, pour s’inscrire, à fin 2012, à près de 45 % des besoins de BPCE et de la Société Générale, à la moitié de ceux de BNP Paribas et à 60 % de ceux du Crédit Agricole et du Crédit Mutuel-CIC. Dans le même temps, les banques ont également continué d’emprunter sur les marchés, mais à plus long terme. Au sein du groupe BPCE, Natixis, par exemple, a ainsi émis, entre janvier 2012 et la fin du troisième trimestre 2012, sur une durée moyenne de 6,8 ans, contre 4,2 ans un peu moins d’un an plus tôt. Un tel allongement de la maturité des financements de marché s’est ainsi opéré au sein de la plupart des banques.

Des plans d’économies mis en place

Si cette nouvelle stratégie de financement a bien permis de renforcer les ratios de liquidité des banques, elle s’accompagne toutefois d’un inconvénient majeur. «En levant des ressources plus longues, notre coût de financement a augmenté, explique Bernard Delpit. Or, pour répondre aux exigences de calcul du LCR, nous avons l’obligation de consacrer une partie de ces fonds à des actifs très liquides. Ces derniers sont peu rémunérateurs. Cette situation pèse sur notre rentabilité.» Dans ce contexte, l’amélioration de la performance des banques est donc devenue une priorité pour les directeurs financiers. Mais pour parvenir à inverser cette dynamique, leurs marges de manoeuvre demeurent limitées.

«Le renforcement de la rentabilité de la banque passe par une poursuite de la maîtrise du coût du risque, mais surtout par la réduction des frais généraux, déclare Philippe Heim. Nous avons ainsi annoncé, en mai dernier, un plan d’économies de 900 millions d’euros à horizon 2015.» Après avoir initié des programmes allant dans ce sens, les équipes financières de l’ensemble des établissements bancaires français procèdent en permanence à une revue des différents postes de dépenses. «Crédit Agricole SA a lancé un programme spécifi que sur les dépenses informatiques, la politique des achats et celle liée à l’immobilier, illustre Bernard Delpit. Nous ciblons ainsi, à horizon 2016, 650 millions d’euros de coûts en moins qu’en 2011.»

Parmi les autres sources d’économies, les ressources humaines pourraient être particulièrement concernées. Ainsi, plusieurs réseaux étudient actuellement la possibilité de regrouper certaines agences bancaires locales. L’objectif serait ainsi de réduire les frais de fonctionnement, mais également de profiter de départs en retraite pour réduire la masse salariale, qui représente la principale source de coût. Une vague d’économies à laquelle les directions financières, ellesmêmes, ne devraient pas échapper. «Nous sommes également à la recherche de synergies possibles entre les fonctions finance de Crédit Agricole SA et de ses différentes filiales», poursuit Bernard Delpit. Une réflexion que mène également la Société Générale. La direction financière de cette dernière s’appuie de plus en plus sur des centres de services partagés pour la production comptable ou les reportings réglementaires.

Le centre de Bucarest, par exemple, connaît actuellement une montée en puissance. Si ces démarches de réduction de coûts restent principalement, à l’heure actuelle, au stade des réfl exions, des réponses concrètes devraient être prochainement apportées. En effet, les directeurs financiers du secteur bancaire travaillent actuellement sur l’établissement de plans stratégiques pluri-annuels, dont il est d’ores et déjà acquis qu’ils intégreront de nouvelles coupes budgétaires. Des mesures d’austérité qui seront annoncées entre la fin de l’année et début 2014.

Deux spécificités françaises qui inquiètent les investisseurs étrangers

Afin de lever les ressources nécessaires à leurs activités, les établissements bancaires français participent très régulièrement à des roadshows. Si leurs directeurs financiers ont constaté, depuis 2010, que les préoccupations des investisseurs étaient davantage portées sur la situation institutionnelle, économique et financière de la zone euro plutôt que sur celle de la banque elle-même, il demeure deux sujets, indépendants de la crise, qui reviennent de manière récurrente. Le premier concerne le financement du marché immobilier.

«A chaque fois que je rencontre des investisseurs anglo-saxons, ces derniers s’étonnent du faible coût du risque sur le marché immobilier français, témoigne Philippe Heim, directeur financier de la Société Générale. Nous leur expliquons les spécifi cités du marché immobilier domestique, qui est intrinsèquement un marché sain. En France, le crédit immobilier est en effet accordé principalement à taux fixe, en fonction de la capacité de remboursement et donc des revenus. Et les revenus mensuels doivent être trois fois supérieurs aux échéances mensuelles. Cette approche diffère de l’approche anglo-saxonne qui fonde le crédit sur la valeur de marché du bien.»

Plus prégnant depuis la publication des nouvelles normes prudentielles par le Comité de Bâle, l’autre motif d’inquiétude des investisseurs repose, quant à lui, sur le ratio «prêts sur dépôts» (loans to deposits) des banques françaises. Sous Bâle 3, celui-ci doit se rapprocher le plus possible de 100 % – ou, mieux, être inférieur à ce niveau –, c’est-à-dire que les crédits octroyés doivent principalement s’appuyer sur des ressources déjà à la disposition des établissements prêteurs (fonds propres, dépôts, etc.).

«Les investisseurs nous font souvent remarquer que notre ratio loans to deposits excède 100 %, contrairement à de nombreuses banques étrangères, constate Bernard Delpit, directeur financier de Crédit Agricole SA. Toutefois, cette situation s’explique par une particularité française. En effet, une grande partie de l’épargne que nous collectons est réglementée (Livret A, LDD) ou consacrée à l’assurance vie, et nous ne pouvons pas l’utiliser intégralement dans le cadre de notre activité bancaire. Or, si nous intégrions l’intégralité de nos ressources dans le calcul de notre ratio, ce dernier passerait de près de 125 % à 68 % !»

Alors que plus de 90 % des besoins financiers de l’ensemble des entreprises sont apportés par les banques, en France, certains directeurs financiers du secteur bancaire s’inquiètent des effets que pourrait entraîner le récent relèvement du plafond du Livret A sur leur ratio loans to deposits.

Une stratégie de diversification des sources de financement

La priorité des banques en matière de financement consiste à diversifier le plus possible leurs bases de prêteurs. Une démarche qui leur est apparue essentielle dès l’éclatement de la crise, fin 2007. «Même si nous préférons lever des fonds via des covered bonds, moins coûteux que d’autres instruments obligataires car ils sont adossés sur des actifs, il est dangereux aujourd’hui de s’appuyer sur une seule catégorie d’investisseurs, considère Alain David, directeur exécutif finances de BPCE. En effet, dans un contexte où l’accès à la liquidité peut rapidement se dégrader, nous souhaitons entretenir des relations avec un maximum de prêteurs. Pour ce faire, nous procédons régulièrement à des émissions obligataires classiques (seniors non sécurisées).»

Au-delà du support, les banques cherchent également à emprunter sur différents marchés internationaux. En effet, même si elles n’ont pas toujours l’utilité de liquidités libellées dans des devises étrangères, il s’agit d’un moyen d’approcher d’autres types d’investisseurs. «Nous nous fixons ainsi pour principe d’émettre, sur une base fréquente, en dollars, en livres sterling, en yens, en francs suisses et en renminbis», précise Philippe Heim, directeur financier de la Société Générale.

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