Prenant conscience de l’importance des enjeux sociaux et environnementaux pour l’entreprise, les directeurs financiers participent plus largement à l’élaboration du reporting extra-financier et mettent en avant leur démarche responsable auprès des investisseurs.
Les entreprises peuvent améliorer leur performance grâce à la mise en place d’une stratégie RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Ce constat vient d’être dressé par 86 % des 209 professionnels de la RSE sondés par le dernier baromètre réalisé entre janvier et mars 2016 par Malakoff Mederic et l’ORSE (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises). Cet aspect n’échappe pas aux financiers qui commencent eux aussi à s’intéresser particulièrement à cette thématique. «Même s’ils accusent un certain retard par rapport à leurs homologues britanniques, les directeurs financiers français prennent de mieux en mieux en compte l’impact des risques et opportunités liés à la RSE», observe Eric Duvaud, associé en charge du département développement durable au sein du cabinet EY. Même si cette tendance reste encore timide dans les PME, elle se retrouve dans les grands groupes, et certains sont même pionniers.«Depuis plus de 10 ans, la démarche RSE a été progressivement partagée avec la direction financière, indique Pascale Thumerelle, directrice responsabilité sociétale d’entreprise de Vivendi. Désormais, la direction RSE travaille étroitement avec plusieurs membres de la direction financière, dont le directeur du contrôle de gestion du groupe et de la comptabilité des holdings.» Une telle collaboration entre le responsable RSE et la direction financière, lorsqu’elle existe, s’explique par le caractère transversal des enjeux RSE.
Gestion des risques
Ces derniers concernent en effet les fonctions du directeur financier sur un certain nombre d’aspects, à commencer par l’élaboration d’un reporting extra-financier. Déjà applicable aux sociétés cotées depuis 2012, l’obligation de produire un rapport RSE dont la sincérité des informations a été vérifiée par un organisme tiers, a été étendue aux sociétés non cotées depuis le 1er janvier 2016, dès lors qu’elles enregistrent un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros et emploient plus de 500 employés. «Avec la mise en place progressive de cette obligation, les directions financières se sont impliquées de manière accrue sur le terrain de la RSE», observe Caroline Renoux, fondatrice du cabinet de recrutement en RSE, Birdeo.
Une tendance qui s’explique par le rôle que doivent jouer ces dernières dans l’élaboration des indicateurs. «Plusieurs éléments-clés du rapport RSE que nous publions depuis 2010 sont de mon ressort, explique Charles-Antoine Blanc, directeur financier de Paprec. Il s’agit notamment des indicateurs financiers, mais également ceux relevant de la gouvernance, comme le nombre de réunions du conseil d’administration ou d’administrateurs indépendants.»
Pour les directions financières, ce reporting constitue en premier lieu un outil permettant d’identifier et de suivre l’évolution d’un certain nombre de risques. Le principal est d’ordre financier. «Une entreprise dont l’activité repose sur les énergies fossiles peut accuser des pertes financières sur le long terme, prévient Anne-Catherine Husson Traore, directrice générale de Novethic. Par exemple, dans le secteur du charbon américain, les quatre plus grosses entreprises cotées qui pesaient 34 milliards de dollars il y a cinq ans, sont aujourd’hui valorisées 150 millions de dollars seulement et le numéro un, Peabody, est même en faillite.» C’est pourquoi une attention particulière est portée à la sensibilité de l’entreprise aux exigences qui émergent dans les domaines environnementaux et sociaux. «Les directeurs financiers doivent par exemple surveiller l’intensité carbone de leurs fournisseurs pour anticiper des éventuelles hausses de coûts d’approvisionnement liées à une forte taxation du carbone», pointe Eric Duvaud.
Création de valeur
Le reporting extra-financier vise en outre à identifier les leviers permettant d’améliorer la performance opérationnelle de l’entreprise. En premier lieu, la prise en compte des aspects environnementaux et sociaux peut constituer pour les directeurs financiers une opportunité de réaliser des économies. «La baisse des consommations énergétiques ou des accidents de travail peut par exemple être intégrée dans des programmes de réduction des coûts», note Eric Duvaud. Mais il ne s’agit pas du seul levier. En effet, en mettant en avant leurs pratiques en matière environnementale, les entreprises peuvent accroître leur croissance. «Les directeurs financiers ont intérêt à mesurer la part du chiffre d’affaires réalisée avec des produits verts car ceux-ci bénéficient d’un cadre réglementaire et d’un marché de plus en plus favorables», appuie Eric Duvaud.
Ce contexte avantageux concerne également les aspects sociaux que les entreprises gagnent à valoriser.«De par la nature même de son activité de recyclage, Paprec dispose d’une empreinte environnementale positive, mais nous poussons notre démarche RSE plus loin, indique Charles-Antoine Blanc. Nous accordons en effet une place importante au capital humain qui est créateur de valeur pour notre industrie.» Une telle démarche est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des secteurs. «Animé dès 2003 par la volonté de lier RSE et création de valeur, Vivendi a réservé une partie de son document de référence au rapport intégré depuis 2013, explique Pascale Thumerelle. L’objectif est d’illustrer l’intégration de la RSE dans la stratégie du groupe, notamment par l’élaboration d’indicateurs sélectionnés de concert avec la direction financière. Nous avons, par exemple, démontré que 65 % des revenus de la musique sont générés par des talents locaux, ce qui illustre le lien entre la diversité culturelle et la performance du groupe.»
Recherche de financements
Une fois ces enjeux porteurs de valeur recensés dans le reporting RSE, il incombe aux directions financières de les promouvoir à l’occasion de leurs rencontres avec les investisseurs. «Lors des road shows, les directeurs financiers doivent pouvoir mettre en avant les performances RSE et les actifs immatériels qui contribuent à la valeur de l’entreprise», souligne Eric Duvaud. Une logique qui est poussée plus loin par certaines sociétés. «Le directeur des relations investisseurs et moi-même avons lancé des road shows RSE dès 2006», indique Pascale Thumerelle. En effet, le respect des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) préoccupe de plus en plus les marchés financiers. «Certaines places financières membres de l’initiative “bourses durables” (sustainable stock exchange), lancée par les Nations unies en 2009, exigent un niveau minimum de reporting RSE, signale Anne-Catherine Husson Traore. C’est notamment le cas des bourses du Mexique, d’Afrique du Sud ou de Malaisie.»
Cette attention particulière de la part des investisseurs explique qu’une bonne intégration des enjeux RSE par les directions financières représente par ailleurs un atout en matière de recherche de financements. «En mars 2015, nous avons été la première ETI à émettre un green bond, à hauteur de 480 millions d’euros, explique Charles-Antoine Blanc. Pour cette émission obligataire, nous avons été notés par des agences de notation financières, mais aussi par Vigeo, une agence de notation extra-financière qui a vérifié notre politique en matière sociale et environnementale à travers de nombreux entretiens avec notre responsable RSE et moi-même.» La forte demande pour ce type de placement vert devrait être de nature à inciter les directions financières à s’impliquer encore plus largement en matière sociale et environnementale.
Responsable RSE, un métier de niche
• Le métier de responsable RSE est encore relativement récent. «Les premiers responsables RSE ont commencé à être recrutés il y a une quinzaine d’années et les embauches se sont accélérées il y a cinq ans, note Caroline Renoux, fondatrice du cabinet de recrutement en RSE, Birdeo. Le recrutement de responsables RSE demeure aujourd’hui en croissance, mais il constitue encore un marché de niche.»
• Les profils recherchés doivent répondre à des exigences accrues. «Alors qu’il y a cinq ans les entreprises recrutaient des profils généralistes en développement durable, elles recherchent désormais de plus en plus des candidats qualifiés à la fois en matière extra-financière et financière, observe Caroline Renoux. Toutefois, il est difficile d’en trouver, car peu de profils disposent de cette double compétence et les salaires sont peu attractifs.»
• D’après une étude réalisée par Birdeo auprès de 300 cadres de la RSE en France, le salaire brut moyen s’élève à 37 000 euros par an dans le secteur privé.