Les experts-comptables contraints de faire évoluer leurs compétences

Publié le 2 juillet 2024 à 8h30

Anne del Pozo    Temps de lecture 9 minutes

Déjà initiée depuis plusieurs années, la digitalisation des cabinets comptables va, avec la facturation électronique et l’intelligence artificielle, fortement s’accélérer. Dans ce contexte, les collaborateurs de ces cabinets voient leurs missions évoluer. Une tendance qui n’est pas sans conséquences sur les compétences attendues de leur part.

Cette année encore, les perspectives de recrutements en cabinets d’experts-comptables restent favorables, plus de 4 cabinets sur 10 ayant déjà recruté ou prévu de le faire en 2024, dont jusqu’à la moitié pour les structures de 10 à 49 salariés (Baromètre de l’Observatoire des métiers de l’expertise comptable, du commissariat aux comptes et de l’audit – OMECA, avril 2024). Une dynamique certes moindre qu’en 2023 mais qui suffit à laisser le marché de l’emploi des comptables en tension. D’après l’OMECA, 8 cabinets sur 10 estiment en effet que les profils expérimentés (5 à 10 ans d’expérience) sont difficiles à recruter actuellement et presque tout autant pour les profils confirmés (3 à 5 ans d’expérience). « Les profils de comptables les plus plébiscités actuellement par les cabinets d’experts-comptables sont clairement ceux ayant entre 5 et 10 ans d’expérience, en capacité de prendre en charge un portefeuille client et de gérer en direct le client », précise Pierre Joubert des Ouches, consultant exécutif chez Fed Finance, spécialisé dans les cabinets d’expertise comptable et d’audit. Parallèlement, les recrutements effectués démontrent depuis 2022 un besoin important de collaborateurs spécialisés (par exemple en gestion de patrimoine, en pilotage de la performance et en opérations complexes). « Nous observons une tendance à la spécialisation de nos métiers en cabinet, alors qu’auparavant, nos collaborateurs traitaient aussi bien les questions comptables que juridiques, fiscales et sociales, indique ainsi Olivier Drouilly, président de Sadec Akelys. D’autre part, nos clients nous sollicitent de plus en plus sur des missions périphériques comme le courtage en financement, par exemple lever des fonds ou négocier des financements, le corporate finance pour notamment des opérations de reprise ou de cession d’activité ou encore la gestion de patrimoine. Pour les accompagner face à ces besoins, soit nous nous appuyons sur les compétences de nos collaborateurs, soit nous nouons des partenariats avec des prestataires spécialisés. »

Les cabinets comptables poursuivent leur transformation

Parallèlement à cette tendance de fond sur le métier, la digitalisation des cabinets comptables impacte également fortement et de plus en plus les missions de leurs collaborateurs. « A court terme, toute la saisie comptable, qui est l’ADN de notre profession, sera complètement automatisée grâce aux outils que nous proposent les éditeurs, rappelle Cécile de Saint-Michel, présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables. Le développement de l’intelligence artificielle et le passage à la facturation électronique obligatoire vont accélérer cette tendance. Nos collaborateurs comptables vont donc pouvoir se tourner vers de missions à plus forte valeur ajoutée et les cabinets comptables vont pouvoir proposer de nouvelles prestations à leurs clients. » Les cabinets comptables comptent d’ailleurs bien capitaliser sur les opportunités offertes par la réglementation sur la facturation électronique pour innover en termes de services. Ils vont par exemple pouvoir développer des missions dites de « full services » autour de la chaîne de facturation. « Nous comptons notamment élargir nos missions autour de la chaîne de facturation en proposant par exemple à nos clients des services de règlement des fournisseurs, de relance des factures et de recouvrement des créances, ou encore d’exploitation des data », précise à ce sujet Olivier Drouilly. Grâce à la facturation électronique, ils disposeront en effet de données leur permettant de délivrer des informations en temps réel à leurs clients telles que, par exemple, le chiffre d’affaires, leurs achats en carburant ou en électricité, leur marge, etc. Avec les technologies d’intelligence artificielle, ils pourront par ailleurs proposer des rapports prédictifs en instantané.

Au-delà de ces informations purement financières, les cabinets comptables peuvent également accompagner leurs clients dans la mise en place de rapports de durabilité ou extra-financiers, afin qu’ils se mettent en conformité avec la réglementation sur la CSRD ou simplement pour les aider à valoriser leurs démarches RSE. « La production de rapports extra-financiers permet par exemple aux entreprises d’accéder à des financements parfois plus intéressants, de bénéficier de subventions ou tout simplement de répondre à des appels d’offres qui l’exigent », précise Cécile de Saint-Michel.

«Nos collaborateurs comptables vont pouvoir se tourner vers de missions à plus forte valeur ajoutée et les cabinets comptables vont pouvoir proposer de nouvelles prestations à leurs clients.»

Cécile de Saint-Michel présidente ,  Conseil national de l’ordre des experts-comptables

Un besoin en compétences nouvelles

Pour proposer ces nouveaux services, les cabinets d’expertise comptable ont besoin de faire évoluer les compétences et expertises de leurs collaborateurs. « Si certains comptables réalisaient déjà des missions de suivi de la chaîne de facturation pour leurs clients, nous devons néanmoins les faire changer de posture pour qu’ils soient désormais plus proactifs sur leurs démarches en la matière, explique Cécile de Saint-Michel. Les cabinets comptables ont également besoin de compétences en cybersécurité, car la digitalisation de leur processus génère de nouveaux risques cyber en interne. Il leur revient par ailleurs de sensibiliser et former leurs clients sur ce risque, en particulier les TPE et PME. D’autre part, avec la facturation électronique, les cabinets comptables vont être amenés à gérer de plus en plus de data. A ce titre, nous avons besoin de data-analystes ou a minima de collaborateurs sachant manipuler et analyser les données. » D’ailleurs, l’appétence des comptables pour les nouvelles technologies est souvent un prérequis à leur recrutement en cabinet. « Lorsque nous recrutons de nouveaux comptables, nous veillons notamment à la sensibilité et à la curiosité des candidats par rapport aux outils digitaux, souligne à ce sujet Olivier Drouilly. Leur ouverture aux nouvelles technologies est d’autant plus importante aujourd’hui que le rythme des innovations en la matière s’accélère de plus en plus et nos collaborateurs doivent être en capacité de s’y adapter en permanence. »

Pour faire face à cette mutation en profondeur de la profession comptable et permettre aux cabinets d’expertise comptable d’adapter les compétences de leurs collaborateurs aux nouvelles attentes des clients, le Conseil national de l’ordre national des experts-comptables a lancé cette année « Profession comptable 2030 », un dispositif d’accompagnement et de développement des cabinets, qui comprend un investissement de plus de 4,5 millions d’euros dans un plan de formation sur cinq ans. « Dans le cadre de ce dispositif, le Conseil de l’ordre propose déjà 16 nouveaux programmes de formations et de nombreux autres sont en préparation », précise Cécile de Saint-Michel. Parallèlement, en février dernier, le Conseil national de l’ordre des experts-comptables a également remis au ministère de l’Enseignement supérieur un rapport sur l’avenir de la filière d’expertise comptable et des diplômes, validant la nécessité d’adapter les cours relatifs au DSCG en y intégrant notamment des cours sur le numérique et la durabilité. « Les formations initiales devraient donc aussi évoluer dans les années à venir afin d’être davantage en adéquation avec l’évolution de la profession et les besoins des entreprises », ajoute Cécile de Saint-Michel.

La formation des comptables est un enjeu tellement important, aussi bien pour les cabinets que pour les collaborateurs, qu’elle est même devenue un facteur d’attractivité des candidats, sur ce métier en tension. « Nous constatons en effet que les candidats sont sensibles à l’accompagnement que leur proposent les cabinets pour les faire monter en compétences ou encore pour les aider à obtenir leur DSCG ou leur DEC, précise Pierre Joubert des Ouches. Certains cabinets proposent même des systèmes de tutorat par des experts-comptables. » Au sein du cabinet Sadec Akelys, la démarche de formation est ainsi un engagement fort, qui s’inscrit dans la durée. « Nous misons beaucoup sur la formation de nos collaborateurs dans la durée, pour adapter leurs compétences à l’évolution de notre métier mais aussi pour les fidéliser, précise Olivier Drouilly. Par exemple, sur les outils nécessaires au passage à la facturation électronique, nous avons identifié chez nous des chefs de missions qui vont suivre une formation collective, puis individuelle. »

Un niveau de digitalisation différenciant

Pour attirer les candidats, les cabinets comptables misent également sur leur organisation ainsi que les missions qui peuvent leur être confiées. « Les technologies utilisées dans les cabinets et leur niveau de digitalisation sont ainsi des éléments différenciants, précise Pierre-Gilles Bouquet, dirigeant du cabinet de recrutement Voluntae spécialisé en finance, comptabilité, RH, juridique et assistanat. Les outils digitaux facilitent d’ailleurs le télétravail, également plébiscité par les candidats. La possibilité pour les collaborateurs comptables d’intervenir sur des missions liées par exemple à la consolidation des comptes, à du reporting ou encore à du contrôle de gestion peut également être un facteur d’attractivité. » Enfin, les perspectives d’évolution vers des postes à plus forte responsabilité en cabinet ainsi que le niveau de rémunération restent également déterminants pour les candidats.

Quels salaires pour les collaborateurs en cabinet comptable ?

Assistant comptable (gestion de dossiers jusqu’à la préparation du bilan) : 26 à 33 k€

Collaborateur comptable : 2 à 4 ans d’expérience en cabinet (gestion de dossiers de la tenue à la liasse fiscale) : 38 à 45 k€

Collaborateur comptable/responsable de dossiers : plus de 4 ans d’expérience en cabinet (gestion de dossiers de la tenue à la liasse fiscale) : 43 à 50 k€

Chef de mission/superviseur avec encadrement technique : 45 à 52 k€

Chef de mission avec encadrement managérial : 49 à 60 k€

Manager/responsable de bureau, avec encadrement de moins de 6 personnes : 60 à 75 k€ maxi

Manager/responsable de bureau, avec encadrement de 6 personnes ou plus : 70 à 90 k€

Sources : Etude des rémunérations 2024, Hays.

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