De plus en plus de cabinets d’experts-comptables diversifient leur activité en proposant des missions de DAF externalisé, qui reposent à la fois sur leurs compétences techniques et leurs soft skills. Derrière cette évolution, c’est le modèle d’affaires des cabinets d’expertise comptable qui se transforme.
La digitalisation transforme en profondeur le métier d’expert-comptable. Ainsi, 85 % des cabinets estiment désormais qu’au-delà de la tenue comptable traditionnelle, ils devront s’orienter vers de nouvelles missions de conseil et d’« accompagnement renforcé » des entreprises, selon L’Observatoire 2024 sur les tarifs des nouvelles missions dans les cabinets comptables, une étude Regate, Qonto et AG2R réalisée entre janvier et mai 2024 auprès de 537 cabinets d’experts-comptables. Parmi tous les axes de développement possibles dans les trois ans à venir, les experts-comptables lorgnent de plus en plus sur la fonction de directeur administratif et financier (DAF). « Un nouveau marché est en train de se développer pour les experts-comptables, analyse Alexis Renard, cofondateur de la plateforme Regate. Ils ont les compétences financières nécessaires et la confiance des dirigeants, deux qualités essentielles pour assurer des missions de DAF externalisé. »
«Désormais, il faut considérer la comptabilité comme une porte d’entrée vers d’autres services.»
Montée en gamme de l’expert-comptable
En effet, près de la moitié des professionnels interrogés dans l’étude (45 %) pensent que les missions de directeur administratif et financier (DAF) externalisé vont se développer chez les experts-comptables d’ici 2027. D’ici là, un cabinet sur quatre (26 %) envisage de proposer ce type de prestations à ses clients. Cette évolution révèle une montée en gamme (up-selling) dans laquelle les missions de DAF externalisé deviennent un levier de création de valeur. « Il y a quinze ou vingt ans c’était l’âge d’or des experts-comptables mais aujourd’hui la comptabilité seule ne vaut plus grand-chose, constate Eric Niddam, expert-comptable mémorialiste au sein du cabinet CECCA (partenaire de Regate). C’est à nous d’être proactifs, de comprendre les besoins de nos clients et de leur proposer de nouvelles missions : c’est là que se trouve notre vraie valeur ajoutée. Désormais, il faut considérer la comptabilité comme une porte d’entrée vers d’autres services. »
En 2024, un cabinet sur cinq (22 %) propose déjà des missions de DAF externalisé à ses clients. Sur le site du cabinet CECCA, ces prestations sont mises en valeur dès la page d’accueil dans un onglet dédié « DAF externalisé ». « Avec CECCA, même si nous proposons des missions de DAF externalisé à nos clients depuis sa création en 2001, nous avons pris l’initiative de renforcer cette visibilité, explique Eric Niddam. Aujourd’hui, nous réalisons de plus en plus de missions de ce genre tous les ans. C’est une activité qui se renforce, parce que c’est le futur de notre profession : d’ici quelques années l’expert-comptable aura plusieurs casquettes et de nouveaux métiers en découleront, tels que data analyste comptable et consultant financier. » Déjà fort de ses 120 collaborateurs, CECCA a noué début 2024 un partenariat avec le groupe Smash (spécialiste du support opérationnel à temps partagé) qui emploie une cinquantaine de personnes à Paris et Marseille, afin de faire face à la demande grandissante des TPE-PME.
Concrètement, les missions de DAF externalisé récurrentes menées par le cabinet CECCA concernent la gestion de trésorerie (pilotage, financement, optimisation du besoin en fonds de roulement ou BFR), le pilotage de la performance (KPI, contrôle des coûts, contrôle budgétaire, analyse des marges) et la mise en place de reportings financiers et de tableaux de bord (comptabilité analytique, business plan à horizon trois ans). De manière plus ponctuelle, le cabinet mène des missions de digitalisation de la fonction finance, d’audit et de commissariat aux comptes ou d’autres actions plus spécifiques en cas de reprise (évaluation d’entreprise, due diligence, M&A, etc.). « Les clients réclament aujourd’hui une vision en temps réel de leurs finances, précise Eric Niddam. La synergie entre le DAF et l’expert-comptable est de plus en plus évidente. Non seulement, grâce aux nouveaux outils, nous pouvons produire une comptabilité en temps réel et fiable, mais cela permet aussi au DAF de fournir une information et une analyse financière précises et actualisées. De plus, le déploiement d’outils de pilotage de performance et de gestion de trésorerie rentre dans leur mission pour améliorer l’efficacité et la productivité. » Le DAF externalisé contribue ainsi à digitaliser la fonction finance dans les entreprises (voir encadré).
L’expert-comptable, un rouage essentiel de la digitalisation
En termes de transition numérique, les experts-comptables ont un rôle stratégique à jouer auprès des entreprises. Aujourd’hui, les deux tiers des cabinets (65 %) proposent déjà à leurs clients des outils de pilotage, de restitution de tableaux de port et d’aide à la décision (une prestation que 63 % des cabinets d’experts-comptables prévoient de renforcer d’ici trois ans). Mais la technologie qui concentre toute l’attention des experts-comptables reste la facturation électronique, qui entrera en vigueur le 1er septembre 2026 pour les ETI et le 1er septembre 2027 pour les PME et microentreprises. Actuellement 85 % des cabinets d’experts-comptables considèrent que cette nouvelle mission va se développer d’ici trois ans. C’est un énorme chantier pour la profession, puisque seuls 42 % des cabinets la proposent déjà à leurs clients en 2024 selon l’Observatoire Regate, Qonto et AG2R.
Accompagner la croissance des PME
Dans le quotidien des PME, la fonction de DAF externalisé doit son succès à sa souplesse et son adaptabilité. Chez CECCA par exemple, l’offre n’est pas standardisée. « Nous nous adaptons au besoin de nos clients, souligne Eric Niddam. En général, les entreprises ont besoin d’un DAF quand elles passent le cap des 10 salariés. A ce stade de leur croissance, la direction financière n’est pas encore une fonction critique et l’externalisation de la fonction de DAF permet de réaliser des économies ». La majorité des cabinets d’experts-comptables qui proposent des missions de DAF externalisé (73 %) facturent leur prestation au prorata du temps passé, 90 à 200 euros de l’heure en moyenne. Chez CECCA, la facture varie selon le profil du professionnel mobilisé : l’intervention d’un consultant financier senior coûte entre 600 et 800 euros (taux journalier moyen, ou TJM) à l’entreprise, contre 1 200 euros pour un expert-comptable expérimenté.
Ce choix d’un mode de facturation ponctuel indique que dans la majorité des cas, un DAF externalisé répond à un besoin temporaire. « Lorsqu’une entreprise sollicite son cabinet d’expert-comptable pour une mission de DAF externalisé, cela signifie qu’elle est en train de passer une étape de croissance, explique Alexis Renard. Par exemple, une PME qui n’emploie que 20 à 30 salariés est encore trop petite pour supporter le coup d’un DAF en interne. » Un DAF gagne en moyenne 70 000 euros brut annuel en début de carrière (moins de 5 ans d’expérience) et plus de 120 000 euros brut annuel après dix ans de carrière, selon une étude récente Morgan Philips. Une PME de moins de 50 salariés se tournera donc plus facilement vers son expert-comptable afin d’être accompagnée dans la réalisation et l’encaissement de ses factures clients, ou encore afin de payer à temps ses factures fournisseurs.
De quoi resserrer des liens. « La mission d’un DAF (externalisé ou non) implique une proximité plus grande avec l’entreprise que celle déjà proposée par l’expert-comptable », assure Alexis Renard. « Les experts-comptables se sont un peu perdus au fil des années à ne faire que de la production, concède Eric Niddam. Nous avons perdu de vue l’objectif final de notre mission, qui consiste à véritablement accompagner nos clients. » Toutefois, aucun risque de confusion entre l’expert-comptable et le DAF selon lui. « L’expertise comptable est une profession réglementée, qui demande un diplôme spécifique avec huit années d’études supérieures et qui implique une déontologie, rappelle Eric Niddam. Je ne pense pas que la profession de DAF s’alignera sur le métier d’expert-comptable pour devenir à son tour une profession réglementée. Nous ne répondons pas aux mêmes enjeux. Nous sommes vraiment en synergie et complémentaires. »
«Quand vous proposez un accompagnement DAF, votre prestation tient davantage du business partner que de l’expert.»
Trouver un nouveau levier de performance
C’est donc un second souffle pour ce métier, aujourd’hui confronté à « des enjeux de recrutements majeurs », alertait l’Ordre des experts-comptables en début d’année. En 2022, les deux tiers des cabinets d’experts-comptables (66 %) indiquaient avoir des difficultés à recruter. Le secteur devra pourtant pourvoir 30 000 postes d’ici 2025, dont 13 000 nouvellement créés et directement liés à l’expertise comptable. « Aujourd’hui, le métier d’expert-comptable traditionnel ne séduit pas les jeunes et nos cabinets sont confrontés à un turn-over très important, regrette Stéphanie Laporte, vice-présidente du club DAF externalisé de l’Ordre des experts-comptables Paris Ile-de-France. Toutefois, je constate un engouement des jeunes collaborateurs pour les missions de DAF externalisé et autres missions de conseil. Ils sont nombreux à contacter notre club parce qu’ils ont choisi ce sujet pour leur mémoire de fin d’études : ils s’intéressent à la nature des missions de DAF externalisé, à la réorganisation des cabinets ou encore à la formation continue. »
Sur ce dernier volet, le club DAF externalisé de l’Ordre des experts-comptables propose à ses 150 adhérents de repenser la stratégie de développement de leurs cabinets d’expertise comptable. « Historiquement, l’expert-comptable se formait pour devenir un expert et non un professionnel du conseil, explique Stéphanie Laporte. Pour évoluer vers des missions de DAF externalisé, il doit changer de posture. Si, en temps normal, l’expert incarne le sachant qui doit trancher un problème, le professionnel du conseil doit, lui, adopter une position de business partner qui sera plus à l’écoute. Et quand vous proposez un accompagnement DAF à votre client, votre prestation tient davantage de celle du business partner que de celle de l’expert. » Depuis sa création en 2019, le club communique sur les bonnes pratiques dans les missions de direction financière tant au niveau technique qu’en termes de relations clients.
L’association dénonce également une certaine uberisation de la profession, incarnée par la prolifération des plateformes en ligne qui proposent des formules dès 49 euros par mois. « A ce prix-là, vous n’aurez aucun suivi personnalisé, prévient Stéphanie Laporte en tant qu’expert-comptable. Aujourd’hui, mes clients ne veulent plus payer pour de la simple saisie de factures surtout avec l’arrivée des nouvelles générations d’outils de pré-compta et bientôt la facture électronique. C’est toute l’analyse et l’expertise qu’il y a derrière qui les intéresse, avec une véritable stratégie de pilotage de l’entreprise à la clé. Choisir un DAF externalisé, cela revient à préférer les qualités et compétences de l’humain à ChatGPT ! » Si les missions de DAF externalisé ne représentent aujourd’hui que 6 % du chiffre d’affaires moyen des cabinets d’experts-comptables, elles pourraient bientôt devenir un nouveau levier de performance à l’heure où la profession se réinvente.