Métier

Les fiscalistes assoient leur positionnement en entreprise

Publié le 12 mars 2024 à 8h30

Anne del Pozo    Temps de lecture 9 minutes

Face au développement des réglementations et à la volonté des entreprises de payer le juste impôt, le métier de fiscaliste tend à se professionnaliser et à trouver véritablement sa place au sein des directions financières.

Si auparavant les sujets de fiscalité en entreprise étaient surtout traités par les équipes comptables, l’évolution constante des réglementations conjuguée à la technicité du sujet a contribué, depuis de nombreuses années maintenant, à la professionnalisation de ce métier. « Le fiscaliste d’entreprise occupe désormais une fonction à part entière dans un certain nombre d’entreprises et en particulier dans celles qui évoluent à l’international, constate Audrey Déléris, chasseuse de têtes au sein du cabinet de recrutement Fed Legal. Les plus importantes d’entre elles ont même des équipes dédiées à la fiscalité et pilotées par une direction fiscale. Cette dernière est alors généralement rattachée à la direction financière. »

Le fiscaliste d’entreprise a notamment pour mission de veiller à la bonne application des nombreuses règles fiscales dont dépend l’entreprise dans laquelle il travaille. « Il lui revient d’adapter la réglementation fiscale à son entreprise et de la mettre en œuvre », poursuit Audrey Déléris. Il est par ailleurs chargé d’optimiser la situation fiscale de l’entreprise et d’en réaliser les déclarations fiscales, d’impôts directs et d’impôts locaux. Il peut également être challengé sur des enjeux de TVA ou de prix de transfert. « Le fiscaliste en entreprise doit apparaître comme un vrai partenaire des opérationnels, et en même temps, être capable de décider des stratégies à mener sur un plan fiscal pour accompagner au mieux la stratégie globale de l’entreprise, explique Béatrice Bochet, directrice fiscale d’Ingenico et également membre de l’A3F. Par exemple, déterminer une politique de prix de transfert n’est possible qu’avec une bonne connaissance de la réalité du terrain. » C’est une personne qui sait travailler de façon transversale avec l’ensemble des fonctions d’une entreprise. En effet, la fiscalité n’est pas une matière autonome et elle touche au juridique, à la finance, aux systèmes d’information selon les projets qui sont menés. « Dans un groupe où la gestion du taux effectif d’impôt ou de la trésorerie est importante, le fiscaliste doit ainsi savoir collaborer avec les équipes d’analyse financière ou encore la direction de la trésorerie, poursuit Béatrice Brochet. Par ailleurs, le fiscaliste doit collaborer avec les équipes de recherche et développement lorsqu’il s’agit de gérer le crédit d’impôt recherche du groupe ou ce qu’on appelle l’IP box. »

Un fiscaliste garde-fou du respect des réglementations en lien avec la fiscalité

D’autre part, pour identifier et mettre en place les réformes et projets qui impactent son entreprise, le fiscaliste doit rester constamment en veille sur l’actualité fiscale. En effet, la fiscalité est un sujet en constant renouvellement en raison des lois de finances nationales et également de la législation internationale qui imposent de plus en plus de reportings pour une plus grande « transparence fiscale », comme par exemple Pilier 2 ou la directive DAC 7. Il lui revient aussi de communiquer en interne sur ces nouveautés, former et sensibiliser les équipes concernées aux « bonnes pratiques » fiscales. « Actuellement, la direction fiscale accompagne par exemple les directions financières et IT dans la mise en place de la facturation électronique en France, qui nécessite la transformation des outils comptables et des systèmes d’information, explique Amélie Strohm Hodeau, membre du conseil d’administration de l’Association française des femmes fiscalistes (A3F) et directrice fiscale de Veepee. Avec la montée en puissance des taxes environnementales, la direction fiscale devient également un partenaire clé de la direction RSE et contribue aux enjeux du développement durable dans l’entreprise. »

Si en interne, il est ainsi le référent technique de l’entreprise sur tous les sujets liés à la fiscalité, en externe il fait le lien avec les cabinets d’avocats ou d’audit spécialisés en fiscalité pour défendre les intérêts de l’entreprise devant les autorités ou tribunaux en cas de litiges sur par exemple le sujet de la TVA ou celui des prix de transferts. Il est par ailleurs l’interlocuteur de l’administration en cas de contrôle fiscal.

«Avec la montée en puissance des taxes environnementales, la direction fiscale devient également un partenaire clé de la direction RSE.»

Amélie Strohm Hodeau Membre du conseil d’administration de l’Association française des femmes fiscalistes (A3F) ,  Directrice fiscale de Veepee

Une double expertise en finance et en fiscalité

Pour mener à bien ces différentes missions, les fiscalistes d’entreprise ont généralement une double expertise en finance et en fiscalité. « Nombre d’entre eux sont diplômés d’un master 2 en droit des affaires avec une option en fiscalité ou en comptabilité, constate Juliette Bastidon, consultante principale confirmée chez Hays. Certains sont avocats fiscalistes, d’autres juristes fiscalistes. La plupart ont une première expérience en cabinet d’audit ou d’avocats. » Les compétences financières des fiscalistes sont également importantes. Elles sont par exemple requises pour le calcul du taux effectif d’impôt. Ils peuvent également être spécialistes de certains sujets comme la TVA (managers TVA), les impôts locaux ou indirects, les M&A, etc. « Nous avons par exemple déjà eu des demandes d’entreprises pour des responsables fiscalité spécialisés dans les prix de transfert, à savoir la fiscalité appliquée aux flux financiers entre différentes entités ou filiales d’un même groupe mais qui opèrent dans différents pays », précise Audrey Déléris. Actuellement, il y a également de plus en plus de demandes de profils de fiscalistes capables de mettre en place des outils de gestion de reporting ainsi que des process internes permettant de piloter la fiscalité de leur organisation. « On pourrait apparenter cela à des “tax ops” au même titre que les “legal ops” au sein des directions juridique », ajoute Audrey Déléris.

Une communication claire sur des sujets très techniques

Au-delà des compétences techniques métiers pointues, la transversalité de leurs missions nécessite également de fortes capacités d’adaptabilité et de communication. « Il doit savoir s’adapter à ses interlocuteurs, car il ne communiquera pas de la même façon avec un avocat fiscaliste ou un cabinet d’audit externe, qu’avec un directeur des ressources humaines, un directeur général ou un directeur financier, ajoute pour sa part Laetitia de la Rocque, directrice fiscale de l’Association française des entreprises privées (AFEP). Pour ces mêmes raisons, il doit également avoir un esprit de synthèse. Dans le cas précis de l’AFEP, c’est indispensable pour exprimer la position des entreprises auprès des pouvoirs publics pour tout ce qui touche à leur fiscalité. Nous devons par ailleurs tenir compte des contraintes budgétaires de l’Etat. »

«Une fiscaliste ne communiquera pas de la même façon avec un avocat fiscaliste ou un cabinet d’audit externe, qu’avec un directeur des ressources humaines, un directeur général ou un directeur financier.»

Laetitia de la Rocque Directrice fiscale ,  Association française des entreprises privées (AFEP)

Un marché de l’emploi tendu

Au regard des expertises ainsi requises pour décrocher un poste de fiscaliste en entreprise, les candidats disponibles sur le marché sont rares. « Il s’agit d’un métier très technique, précise Juliette Bastidon. La fonction est certes prisée par les candidats mais ils sont peu nombreux à être en recherche d’emploi. » D’ailleurs, si la fonction offre des perspectives d’évolutions vers des postes de direction (juridique, financière), les spécialistes de la fiscalité tendent plutôt à rester dans leur domaine d’expertise. « Leur évolution professionnelle est plutôt verticale, poursuit Juliette Bastidon. Ils peuvent se spécialiser sur certains sujets liés à la fiscalité, occuper un poste similaire mais dans une entreprise d’un secteur d’activité différent ou encore retourner en cabinet d’audit ou d’avocat. » Leur niveau de rémunération est donc plutôt en fonction de leur expertise et varie entre 60 000 et 80 000 € selon le périmètre de l’entreprise et à partir de cinq ans d’expérience, puis à partir de 90 000 € à plus de 100 000 € pour les profils plus expérimentés.

Questions à Muriel Howsam, responsable fiscalité d’un groupe spécialisé dans l’agroalimentaire

Qu’est-ce qui rend le métier de fiscaliste d’entreprise attractif ?

La fiscalité d’entreprise touche autant le domaine des chiffres que celui des lettres. Dans le cadre de notre travail, nous devons bien comprendre les textes pour en déterminer l’impact chiffré dans notre entreprise mais également les expliquer à nos interlocuteurs qui sont souvent des comptables et des financiers. Cela oblige à bien comprendre l’activité de l’entreprise. D’autre part, nous pouvons exercer cette fonction dans différents secteurs d’activité, et ainsi enrichir nos domaines d’expertises tout au long de notre parcours professionnel.

Quels sont les chantiers sur lesquels vous êtes amenés à travailler ?

Dans les groupes internationaux, nous travaillons souvent sur les prix de transfert. A cet effet, nous devons identifier les transactions et la méthode de prix de transfert applicable avec les opérationnels (direction de la production, service commercial, etc.). Puis nous expliquons à la finance comment la mettre en œuvre. Dans le cadre de cette démarche nous pouvons être amenés à travailler avec des cabinets d’avocats.

Nous travaillons également sur la détermination de la charge d’impôts : impôts courants, impôts différés, dans le cadre de la détermination des résultats fiscaux ; TVA et impôts locaux, notamment, en relation avec les équipes comptables et de consolidation. Il nous revient également de veiller à la compliance de l’entreprise. Nous suivons les contrôles fiscaux et réalisons de la veille fiscale. Cette dernière est nécessaire au respect et à la bonne application des normes fiscales qui évoluent fréquemment. Elle nous permet, in fine, de sécuriser nos positions et de nous assurer que nous payons la juste charge d’impôts.

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