Longtemps associés à des fonctions plutôt juridiques, les directeurs fiscaux et fiscalistes d’entreprise voient depuis peu leurs tâches évoluer vers des domaines plus larges, notamment la comptabilité, l’informatique et la communication financière.
Vous pensez encore que la mission des fiscalistes d’entreprise se limite à optimiser la base fiscale de leur groupe ? Détrompez-vous ! Ces derniers se sont transformés depuis quelques années en véritable couteau suisse pour l’entreprise. Que ce soit au niveau de la politique fiscale internationale avec les recommandations du plan BEPS, comme sur le plan de la fiscalité française, où un changement stratégique est en train d’être opéré, les équipes fiscales ont en effet subi depuis peu d’importantes évolutions.
Des exigences comptables
Ces changements se traduisent surtout par un élargissement de leurs fonctions. Auparavant assez seuls, les fiscalistes d’entreprise doivent désormais travailler conjointement avec d’autres professions. Cette transition s’est d’abord opérée avec les métiers comptables. «Avec l’arrivée du fichier des écritures comptables (FEC), l’année 2014 a été un tournant majeur en matière de législation fiscale, rappelle Jean-Marc Allouët, associé chez BM&A. En effet, depuis cette date, les contrôleurs fiscaux peuvent effectuer leurs travaux à distance sans rester dans l’entreprise. De plus, ce fichier leur a également permis d’extraire des informations comptables plus complètes et plus précises.»De ce fait, les directeurs fiscaux doivent répondre aux questions de plus en plus pointues des agents fiscaux, que ce soit au niveau informatique comme comptable.«Pour répondre à l’essor de la digitalisation des relations entre les entreprises et les administrations fiscales, plusieurs processus numériques ont été mis en place, explique Nathalie Senechault, directrice fiscale groupe chez Atos. Nous devons désormais avoir de solides compétences en matière de systèmes d’information pour s’assurer de la viabilité de ces process.»
Pour certains, ce renforcement des notions comptables vient aussi des exigences croissantes en matière de communication.
«Les fiscalistes ont toujours travaillé avec les comptables dans le cadre des contrôles sur les comptes sociaux, observe Bernard Mirailles, directeur comptable et fiscal du groupe La Poste. Mais, désormais, la communication financière tourne beaucoup autour des comptes consolidés, ce qui renforce les attentes que l’on peut avoir des directeurs fiscaux sur ce sujet. En effet, ces documents sont présentés sous les normes IFRS, avec des notions telles que celles des impôts différés qui font appel à des notions purement comptables. Or ce sont des thèmes, avec lesquels les directeurs fiscaux ne sont pas forcément à l’aise.»
Une compliance renforcée
Associée à de nouvelles réglementations, cette situation amène ainsi les équipes fiscales à mettre en place de nombreux processus de contrôle. «Dans un contexte de prolifération des normes, réglementations et obligations en matière de compliance fiscale, nous sommes sollicités pour mettre en place des dispositifs internes visant à construire un cadre strict en matière de gouvernance fiscale, constate Nathalie Senechault. Nous devons nous assurer que l’entreprise se conforme aux cadres locaux existant dans les différents pays d'implantation.»
Un surcroît de travail qui implique pour les fiscalistes de revoir leur emploi du temps.«La digitalisation devient un outil de la direction fiscale pour relever le défi de ces nouvelles contraintes réglementaires (telles que le fichier des écritures comptables, la télétransmission ou le Country by country reporting) grâce à l’usage de robots pour le traitement et l’automatisation de l’information, remarque Nathalie Senechault. Cela permet également de développer des outils de reporting et de gouvernance performants permettant de fiabiliser les échanges d’information entre le siège et ses filiales, ainsi que d’améliorer les données en matière de prévision fiscale.»
Un rôle de manager
L’émergence de ces nouvelles règles tend ainsi à conférer aux fiscalistes un rôle de plus en plus central dans l’entreprise. «La fonction fiscale gagne en visibilité au sein de l’entreprise, poursuit Nathalie Senechault. Le directeur fiscal prend désormais pleinement part aux décisions stratégiques de l’entreprise.»
Ainsi, cette évolution du rôle du directeur fiscal a des incidences en matière de recrutement. D’une part, le nombre de postes proposés est en hausse. En effet, si les très grands groupes avaient déjà des services fiscaux composés parfois de plusieurs dizaines de personnes et se cantonnent pour l’instant à remplacer leurs effectifs, les recruteurs assistent à de nombreuses créations de postes du côté des PME et des ETI. «Alors qu’auparavant ces dernières externalisaient cette fonction, ces entreprises ont désormais besoin, avec l’inflation législative et les problématiques en matière de fiscalité internationale de plus en plus prépondérantes, de fiscalistes en interne qui puissent suivre les sujets fiscaux du début jusqu’à la fin», confirme Hélène Jouandet, consultante chez Robert Half.
Des profils rares
D’autre part, le profil des spécialistes fiscaux recherchés en entreprise est en train de changer pour s’adapter aux nouvelles demandes. «Au-delà de la matière fiscale de plus en plus technique, le fiscaliste d’entreprise est amené à développer des compétences dans des domaines de plus en plus variés, tels que l’informatique ou la communication», synthétise Nathalie Senechault. Certes, certains privilégient encore les profils plus traditionnels. «Actuellement, les entreprises qui nous sollicitent recherchent surtout des profils qui disposent d’une double compétence au niveau juridique et fiscal», constate Hélène Jouandet. Mais plusieurs sociétés peuvent être amenées à ouvrir leurs postes fiscaux à des profils plus larges. «Dans des équipes fiscales où plusieurs collaborateurs ont un profil plus juridique, les entreprises peuvent être incitées à rechercher quelqu’un qui maîtrise, en plus de la fiscalité, les systèmes d’information ou la comptabilité, indique Bernard Mirailles. De même, certains postes sont désormais ouverts à des candidats dont la fiscalité n’est pas le cœur de métier, mais qui ont des compétences assez larges, comme ceux issus des écoles de commerce.» Cependant, les directions peinent toutefois à trouver la personne idoine. Si cette pluridisciplinarité de la fonction convainc de plus en plus les candidats à se tourner vers la fiscalité d’entreprise, trouver le bon profil n’est pas toujours tâche aisée.
Des rémunérations élevées
Pour ne rien arranger, les marges de manœuvre en termes de proposition salariale demeurent limitées, notamment en raison de la maîtrise des coûts encore présente dans plusieurs services supports d’entreprises. Néanmoins, ces compétences restent fortement valorisées. «Selon nos derniers chiffres, pour des profils confirmés de fiscalistes les rémunérations s’échelonnent entre 55 000 € et 85 000 €, la tranche haute correspondant aux personnes les plus expérimentées ayant une dimension internationale, estime Hélène Jouandet. Quant aux responsables fiscaux, celles-ci se situent entre 93 000 € et 109 000 € en moyenne.» De leur côté, les rémunérations des directeurs fiscaux débutent en moyenne à 105 000 euros pour aller bien au-delà, d’après l’étude de Robert Watlers. Des montants qui sont souvent supérieurs à ceux auxquels peuvent prétendre la plupart des professionnels au sein des directions financières.
Directeur fiscal… et comptable ?
Si la plupart des directions fiscales ont aujourd’hui leur propre service, ou parfois le partage avec la direction juridique, de nouvelles organisations pourraient bientôt voir le jour. «Au sein de La Poste, la fiscalité et la comptabilité font partie d’une seule et même direction, illustre Bernard Mirailles, directeur comptable et fiscal du groupe. Si cette situation est encore peu répandue, il me semble logique de regrouper ces deux professions puisqu’elles sont de plus en plus amenées à travailler régulièrement ensemble.»
Une évolution concomitante des responsabilités des cabinets d’avocats
Avec l’évolution des fonctions exercées par les directions fiscales, les cabinets d’avocats fiscalistes voient également leurs missions auprès des entreprises évoluer. En effet, ces derniers remarquent que certains domaines de leur activité sont de plus en plus internalisés par les directions fiscales. «Sur la mise en place de la politique de prix de transfert, nous remarquons que certains groupes, notamment ceux du CAC 40, se sont constitués en interne une équipe spécialisée», affirme Mirouna Verban, avocate associée chez Arsene.
. Pas de quoi, toutefois, préoccuper outre mesure les praticiens. «Pour des sujets d’ordre plus exceptionnel, tels que les opérations de M&A, les contentieux ou une prise de position sur une problématique fiscale très pointue, les conseils continuerons à être sollicités pour soutenir et assister les directions fiscales», estime Mirouna Verban.
. De plus, les cabinets pourraient bien également voir leurs dossiers s’enrichir de nouvelles thématiques. «Nous entrons certainement dans une nouvelle ère en matière de gouvernance fiscale, poursuit Mirouna Verban. Avec la loi sur la lutte contre la fraude et la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (Essoc), les entreprises sont fortement incitées à adopter une logique de transparence et de coopération avec l’administration fiscale : au prix d’obligations déclaratives et de reporting plus importantes et sous réserve de leur bonne foi, elles devraient bénéficier d’une plus grande sécurité juridique et avoir accès à des voies de rectification de leurs positions fiscales antérieures risquées. En contrepartie, si elles fraudent, les sanctions seront plus lourdes et leur réputation pourra être remise en cause. Pour assurer cette transition, les entreprises et leurs conseils devront certainement collaborer étroitement.»