Encore assez peu répandues, les évolutions de carrière entre la direction financière et la direction stratégique ne sont pourtant pas dénuées de pertinence. Ces expériences se révèlent ainsi particulièrement complémentaires afin d’accéder à des fonctions de direction opérationnelle.
Malgré leurs points communs, les passerelles entre la finance et la stratégie demeurent assez rares dans les entreprises. Ces mouvements ne concernent en effet que les grands groupes du SBF 120, dont les besoins en termes d’étude de la concurrence, de politiques d’investissement ou d’opérations d’acquisitions sont suffisamment vastes pour justifier d’une direction spécifique dédiée à la stratégie.
Cependant, dans ces structures, celle-ci recherche régulièrement ses collaborateurs au sein de la direction financière. «Lorsque nous recrutons pour la direction stratégique du groupe, nous nous tournons presque systématiquement vers des profils présentant un important bagage financier», confirme, Christophe Armengol, directeur financier de la région North Sea Canada chez Technip, et ancien vice-président, en charge de la stratégie et des marchés.
Si les métiers de la finance représentent une bonne porte d’entrée vers des postes au sein d’une cellule stratégie, l’inverse semble moins évident. «A l’exception de consultants en stratégie qui rejoignent parfois en début de carrière une direction financière à des postes de business analysts ou de contrôle de gestion, le passage de la stratégie à la finance est assez rare, illustre Bruno Fadda, directeur associé chez Robert Half. En revanche, nous observons davantage de profils financiers, en audit interne, en gestion des risques ou en fusions-acquisitions, qui évoluent vers des postes au sein du département stratégie de leur groupe.»
Le directeur financier, pilote de la stratégie
Et cette tendance devrait encore s’accélérer à l’avenir. Le contexte actuel de crise, pousse en effet les entreprises à renforcer leur vigilance sur la pérennité et le retour sur investissement de leurs stratégies. «Le directeur financier est de plus en plus souvent le pilote des orientations stratégiques prises par la direction, car c’est lui qui mesure leurs impacts en termes de résultats, et relaie ces décisions auprès des marchés», explique Florence Lafforgue, responsable de l’activité Finance et pilotage de la performance d’Accenture France et Benelux. Ainsi, selon une étude récente d’Accenture et Oracle, 71 % des responsables financiers interrogés déclarent disposer aujourd’hui d’une influence stratégique nettement supérieure à ce qu’elle était il y a trois ans. En outre, près des deux tiers (65 %) assurent exercer une influence accrue sur l’élaboration et la mise en place de la stratégie de l’entreprise.«Les employeurs demandent aujourd’hui de plus en plus souvent aux financiers d’être des business partners, c’est-à-dire d’avoir une vision beaucoup plus opérationnelle de l’activité de l’entreprise et une implication grandissante dans les décisions stratégiques», confirme Mikaël Deiller, manager Exécutif senior chez Michael Page.
Le M&A, principale passerelle entre ces deux directions
Les financiers représentent donc un vivier naturel de candidats en interne pour répondre aux besoins de la stratégie. «Mon passage du contrôle financier vers la direction stratégique du groupe s’est fait facilement, témoigne Christophe Armengol. J’ai été bien accepté car pour construire une vision stratégique à moyen ou long terme, les équipes concernées ont besoin de se baser sur l’historique comptable et financier de l’entreprise.» Parmi les fonctions de la direction financière, la gestion des risques et l’audit interne permettent ainsi de franchir aisément le pas. Néanmoins, le meilleur point d’entrée vers la stratégie provient des métiers en lien avec les opérations de haut de bilan.« L’activité de M&A est toujours l’exécution d’une stratégie, soit de croissance externe, par l’intermédiaire d’acquisitions ou le développement de partenariat, soit de réduction des coûts, par des cessions d’activité, précise Anne-Lise Scaillerez, devenue directrice de la stratégie de l’activité Transport chez Thalès, après un passage en M&A chez Alcatel-Lucent. Les fusions acquisitions permettent donc de s’imprégner des enjeux stratégiques de l’entreprise, de construire de bonnes propositions commerciales et d’acquérir des connaissances financières, juridiques, fiscales et de ressources humaines nécessaires à l’intégration des nouvelles activités : un bagage pertinent pour établir une bonne stratégie. » En outre, ce département constitue souvent, dans l’entreprise, une pépinière de talents dont les aptitudes sont proches de celles que recherche la direction stratégique.
Des profils élitistes
La stratégie demande en effet des qualités d’apprentissage et de polyvalence, afin de pouvoir faire face à la variété de ses enjeux et à l’instabilité de son environnement. «Une première expérience au sein d’un département financier exposé à des enjeux complexes de l’entreprise, comme les M&A ou l’audit interne, permet d’acquérir la sensibilité analytique et la vision transverse de l’entreprise indispensables aux métiers de la stratégie», continue Mikaël Deiller. Pour acquérir la légitimité nécessaire à ces fonctions souvent élitistes, une grande formation généraliste en école de commerce ou d’ingénieur est donc conseillée, idéalement complétée par un diplôme plus spécialisé comme un MBA. Certaines écoles, à l’image de Science Po, ont également créé un master Stratégie et Finance cumulant ces deux compétences.
Ce type d’évolution concerne donc souvent des profils à hauts potentiels. «Ces mouvements s’expliquent d’abord souvent par la volonté d’exercer un métier en mode projet, nécessitant une réflexion approfondie sur des sujets variés contrairement à certaines tâches récurrentes de clôture des comptes et de communication financière, explique Bruno Fadda. Mais c’est également souvent l’occasion d’acquérir une légitimité en se rendant visible sur des sujets pilotés directement par la direction générale.»
Un accélérateur vers une direction opérationnelle
En effet, dans de nombreuses entreprises, la stratégie demeure encore souvent une prérogative de la direction générale. Ces missions sont dans tous les cas scrutées de près par la hiérarchie. Rejoindre la direction stratégique peut donc se montrer pertinent pour s’exposer en interne et accéder plus rapidement à des fonctions de responsabilités opérationnelles. «La stratégie représente un bon tremplin vers des postes de direction générale, ou de business unit dans un premier temps, car ce métier se situe à mi-chemin entre la fonction support et les opérations», pointe Florence Lafforgue. Mais ces profils très complets conduisent également à de nombreuses opportunités en interne.«Le fait d’avoir évolué dans les deux domaines permet d’acquérir à la fois une très bonne connaissance interne de la structure de coût et de la profitabilité de l’entreprise, mais également de son environnement externe, explique Christophe Armengol. Ce parcours enrichissant ouvre à des perspectives d’évolution variées : soit en se rapprochant des opérations, comme responsable d’une entité ou d’une BU, ce qui inclut la gestion de la clientèle en plus des processus internes, soit en progressant au sein de la finance, soit, pourquoi pas, vers d’autres métiers plus spécifiques comme les relations investisseurs par exemple.»
Enfin, la rémunération peut également constituer un élément de motivation de passage de la finance à la stratégie. Ces mouvements s’accompagnent en effet généralement d’une revalorisation salariale.«Les postes en stratégie pour lesquels nous sommes mandatés dépendent souvent directement de la direction générale du point de vue hiérarchique, ce qui les prédispose à des rémunérations supérieures», relève Mikaël Deiller. Le potentiel d’augmentation des effectifs de la direction de la stratégie, encore très limités dans les entreprises actuellement, laisse donc entrevoir des possibilités croissantes de reconversion pour les financiers attirés par le changement et les perspectives offertes par ces métiers.