Malgré le contexte de taux d’intérêt bas, une carrière dans la gestion obligataire reste toujours envisageable. Mais pour y parvenir et surtout accéder à des fonctions managériales, les jeunes professionnels doivent disposer de solides atouts, tels que des facilités de communication et une grande capacité d’adaptation.
En moins de dix ans, le métier de gérant obligataire a connu de profonds bouleversements. «Avant la crise, nous devions connaître les spécificités des nombreux produits dérivés et structurés, des produits qui ont depuis pratiquement disparu, rappelle Eric Bertrand, directeur des gestions taux et diversifiés chez OFI AM. Désormais, nous assistons à un retour vers une gestion obligataire plus classique, mais qui doit s’adapter face aux interventions des banques centrales sur les marchés et à un niveau de taux extrêmement bas.»
Pour les jeunes professionnels, ces évolutions se traduisent par des opportunités de carrière plus restreintes au sein du marché obligataire. «Depuis une trentaine d’années, les conditions d’accès aux métiers de la gestion obligataire se sont fortement resserrées, observe Eric Brard, responsable mondial des gestions taux chez Amundi. Dans un contexte de marché plus difficile qui demande davantage de technicité pour obtenir des rendements et répondre aux besoins des clients, les niveaux d’exigence des recrutements se sont fortement accrus.»
Plusieurs débuts de carrière possibles
C’est pourquoi les jeunes professionnels désireux de travailler dans cette classe d’actifs doivent particulièrement soigner leur parcours. Tout d’abord, si, comme par le passé, ils doivent veiller à choisir le bon cursus d’études, ce critère est même devenu aujourd’hui incontournable. «Pour acquérir les connaissances techniques nécessaires aux métiers de la gestion obligataire, une formation initiale d’actuaire ou d’ingénieur est nécessaire, estime Florence Soulé de Lafont, associée chez Heidrick & Struggles, en charge du secteur de la banque et de la gestion d’actifs. Mais un diplôme de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) ou d’une école de commerce est également fréquent. En outre, des formations complémentaires comme la certification CFA (Chartered Financial Analyst) ou le diplôme CIIA (Certified International Investment Analyst) sont bien valorisées.»
Ensuite, les jeunes professionnels peuvent s’orienter vers plusieurs métiers pour intégrer le marché obligataire. «Afin d’apprendre à lire les comptes des entreprises, ils peuvent commencer leur carrière en analyse crédit sell side / buy side ou par une fonction également analytique mais au sein d’une banque de financement et d’investissement, recommande Romain Boisnard, associé chez Tillerman. Cette expérience leur permettra ensuite de formuler des convictions sur les émetteurs. Les jeunes professionnels peuvent autrement directement commencer leur carrière dans la gestion d’actifs, en devenant assistant gérant puis, progressivement, cogérant junior sur les fonds obligataires.»Ce dernier choix de parcours peut constituer pour eux une expérience très formatrice.«Cette fonction leur permet de comprendre les différentes étapes de la gestion obligataire et de progresser au contact des gérants, considère Eric Brard. Les personnes issues de la recherche ou les spécialistes produit, chargés de faire l’interface entre les équipes de gestion et les équipes commerciales ou les clients pour leur expliquer les caractéristiques des produits obligataires, peuvent également évoluer vers des postes de gérants.»
Si pour faire carrière dans la gestion obligataire, les jeunes professionnels ne sont pas obligés de choisir dès le départ une spécialisation, ils ont tout intérêt à favoriser des postes dans des segments de marché porteurs, à savoir le crédit, en particulier le high yield ou les dettes privées (voir encadré). «Disposer d’au moins une expérience dans l’un de ces segments constitue un atout non négligeable, estime Eric Bertrand. Pour autant, je m’attache à varier les profils des jeunes professionnels afin de disposer d’une équipe possédant un savoir-faire complet dans les différents segments du marché (souverains, corporate…).»
Enfin, pour être sûrs de mettre toutes les chances de leur côté, les juniors doivent avoir les yeux tournés vers l’international lorsqu’ils effectuent leurs choix de carrière.«Les métiers de la gestion obligataire se sont fortement internationalisés, relève Eric Brard. Ce changement implique que les jeunes professionnels soient prêts à accepter des mobilités à l’étranger. Par exemple, chez Amundi, nous avons des implantations à Paris, mais aussi à Londres, aux Etats-Unis, à Tokyo, à Singapour et à Kuala Lumpur.»
Des compétences spécifiques
Ces parcours ne suffisent toutefois pas à progresser dans la gestion obligataire et à accéder à des postes de management. Pour y parvenir, il est nécessaire de disposer en outre d’un certain nombre de compétences de plus en plus recherchées par les sociétés de gestion, à commencer par la capacité à communiquer.«En effet, au regard de l’importance de l’offre sur le marché obligataire, les responsables doivent être à même de bien communiquer dans les process de réponse aux appels, signale Florence Soulé de Lafont. Ils doivent pouvoir expliquer simplement et avec précision leurs process de gestion ainsi que leur track record, en France comme à l’international.» Cet aspect peut s’avérer déterminant dans la poursuite d’une carrière. «De nos jours, un professionnel qui se destine à des fonctions à responsabilités doit absolument être en mesure de justifier ses décisions d’investissements, appuie Eric Brard. Son aisance face aux clients et aux équipes commerciales constitue un prérequis pour être promu.»
Dans le même objectif de gravir les échelons, la connaissance du droit est également devenue incontournable. «Dans un contexte de plus en plus réglementé, les jeunes professionnels doivent s’assurer d’avoir une compétence juridique à leur arc, indique Eric Bertrand. Elle leur sera notamment nécessaire pour comprendre les clauses particulières des contrats de prêts dans le high yield, ainsi que dans la dette privée.»Dans ce cadre, il peut même être préférable pour des professionnels d’être en mesure d’apporter la preuve à leur employeur de leurs compétences en la matière.«A ce titre, les sociétés de gestion sont sensibles aux profils détenteurs d’une certification fournie par l’Autorité des marchés financiers (AMF), souligne Romain Boisnard. Cette dernière atteste des connaissances règlementaires des professionnels qui l’obtiennent.»
Enfin, pour les gérants désireux d’accéder à des fonctions managériales, bien suivre les évolutions du marché est essentiel. «Le métier ne cesse de se transformer, souligne Eric Brard. De nouveaux segments de marché se développent et les techniques de gestion évoluent constamment.»C’est pourquoi les opportunités sont accessibles en priorité à ceux qui savent s’adapter. «Les juniors doivent faire preuve de flexibilité et de sens de l’innovation, estime Eric Bertrand. Si un segment de marché pour lequel ils sont spécialisés est voué à changer, voire à disparaître, ils ne doivent pas rester enfermés dans cette spécialité et savoir au contraire évoluer en valorisant leur expérience. Dans ma carrière, j’ai ainsi régulièrement changé de segments, en passant notamment du monétaire, à l'obligataire, au crédit, à l’international.» Un conseil que les jeunes professionnels ont tout intérêt à appliquer s’ils veulent eux aussi accéder à un poste de responsable de la gestion obligataire.
Des segments de marché porteurs
- Pour faire carrière dans la gestion obligataire, les jeunes professionnels peuvent aujourd’hui opter pour une expérience dans l’un des segments les plus porteurs, à savoir les émetteurs corporates. Si une expérience des obligations d’entreprises de bonne qualité est un bon début, l’essentiel des postes offerts actuellement demande une connaissance des entreprises de la catégorie high yield. «Ce segment est actuellement très recherché puisqu’il est un des seuls à délivrer du rendement, souligne Florence Soulé de Lafont, associée chez Heidrick & Struggles. C’est pourquoi les professionnels disposant d’une expérience significative dans ce domaine peuvent aujourd’hui la valoriser.»
- Le marché de la dette privée, qui recouvre les émetteurs non notés, se développe également et offre des opportunités de carrière attrayante. «Alors que historiquement seules les banques étaient positionnées sur le financement des actifs réels, les sociétés de gestion s’y intéressent depuis environ cinq ans et continuent à déployer leur gamme de fonds de dette privée, observe Florence Soulé de Lafont. Une bonne connaissance des sous-jacents que sont les entreprises non cotées, les infrastructures ou encore les biens immobiliers constitue donc un atout pour les responsables de la gestion de taux.»
- Enfin, les jeunes professionnels gagnent à s’intéresser aux segments de marché plus spécifiques qui séduisent actuellement les investisseurs. «De nouveaux produits tels que les green bonds et les cat bonds (obligations catastrophe) se développent de plus en plus, signale Florence Soulé de Lafont. Une expérience, même courte, dans l’une de ces classes d’actifs peut donc permettre à un candidat de se démarquer.» D’autres segments attachés à une zone géographique spécifique sont également porteurs. «Les obligations adossées à des émetteurs internationaux, en particulier asiatiques et émergents, peuvent offrir des performances attractives en ce moment, relève Romain Boisnard, associé chez Tillerman. Mes clients recherchent donc des professionnels qui soient capables de formuler des convictions sur les émetteurs de ces régions.»
Des rémunérations orientées à la baisse
- Selon le niveau d’expérience et la fonction des professionnels de la gestion obligataire, les rémunérations fixes sont comprises entre 40 000 euros et plus de 150 000 euros par an. La part variable représente entre 10 % et plus de 50 % du salaire (voir tableau). «Le bonus varie également selon la taille de la société de gestion, souligne Romain Boisnard, associé chez Tillerman. Il est généralement plus important dans les maisons indépendantes.»
- Mais les perspectives sont moins florissantes que par le passé. «Les rémunérations sont actuellement stables, voire orientées à la baisse, car le marché obligataire est moins porteur et la réglementation encadre désormais les bonus dans la gestion d’actifs dont la partie cash ne peut pas dépasser 100 % du salaire», explique Florence Soulé de Lafont, associée chez Heidrick & Struggles.