Si le développement rapide des intelligences artificielles offre aux directions financières de nouveaux outils, les qualités humaines, nécessaires pour faire travailler ensemble des équipes, restent activement recherchées. Les experts du recrutement sont de plus en plus nombreux à évaluer l’intelligence émotionnelle des financiers, c’est-à-dire leur aptitude à l’empathie et à l’adaptation, qui devient essentielle pour un nombre croissant de postes.
C’était il y a quelques mois. Alexandre Ricard, fondateur du cabinet Elma Recrutement, propose à son client – un grand groupe américain – deux profils de financiers. L’un est particulièrement technique mais introverti, tandis que l’autre est bien moins technique mais beaucoup plus extraverti et doté d’un fort leadership. « Le client a choisi le second profil, se souvient Alexandre Ricard. Il n’est aujourd’hui plus possible d’être en responsabilité dans la fonction finance sans intelligence émotionnelle. Dès qu’il y a une dimension leadership et conduite de projet, il faut être capable d’analyser son environnement, de prêter attention aux autres et de faire preuve d’empathie. Ces compétences aujourd’hui sont absolument indispensables. »
Tous les métiers de la finance ne sont pas concernés de la même façon. Pour un poste de consolideur, par exemple, l’aspect intelligence émotionnelle sera moins essentiel. De même que sur les postes qui nécessitent principalement une technicité forte. « C’est à partir du moment où, dans la fiche de poste, se trouve une mission de conduite de projet que l’intelligence émotionnelle va devenir essentielle », explique Alexandre Ricard. Ainsi, un credit manager dont la fonction nécessite de rappeler les mauvais payeurs devra savoir faire preuve de maîtrise de soi. Il devra également être aguerri à la résolution de conflits.
«C’est à partir du moment où, dans la fiche de poste, figure une mission de conduite de projet que l’intelligence émotionnelle va devenir essentielle.»
Pour un poste de directeur administratif et financier, par exemple, l’empathie et l’attention aux autres sont deux prérequis désormais indispensables. « Pour un poste de DAF, l’absence d’empathie est un carton rouge immédiat, poursuit Alexandre Ricard. Je ne présenterai jamais à un client un DAF à l’égo surdimensionné ou une personne que j’identifie comme pouvant être à l’origine d’un management toxique. » Cette capacité à l’empathie est recherchée à tous les niveaux de la direction financière, notamment lorsque le financier n’est pas doté d’un leadership hiérarchique. « Le travail en finance nécessite une grande adaptabilité, constate Alexandre Denat, contrôleur financier, WWP. Notre rôle ne se limite pas aux chiffres. Nous devons expliquer aux opérationnels les raisons pour lesquelles nous avons besoin de ces chiffres. Nous devons montrer que nous ne sommes pas une charge, mais que nous pouvons également générer de la valeur ajoutée. Cela demande d’aller vers les autres. »
Une compétence évaluable
D’une certaine façon, les capacités d’adaptabilité et d’aisance émotionnelle d’un candidat transparaissent d’elles-mêmes dans un CV. « Prenons l’exemple d’un contrôleur de gestion qui, dans son expérience passée, a été amené à opérer le redressement d’un site industriel, explique Alexandre Ricard. Si le redressement a été un succès, alors il est possible de supposer que cette personne est dotée d’une intelligence émotionnelle développée. » Au-delà du CV, ces compétences sont également perceptibles lors de l’entretien d’embauche. « Il faut prêter attention au langage non verbal », insiste Sébastien Lay, coach de prise de parole en public, SPIN Conseil et Formation. Le savoir-être, la façon dont un candidat se présente, son attention portée à son environnement sont autant d’indices pour les recruteurs. » En phase d’identification des talents, les entreprises sont nombreuses à utiliser des tests psychométriques permettant de dresser une cartographie des soft skills du candidat.
A l’occasion de l’une de ses candidatures, Alexandre Denat a été amené à passer le test psychométrique « performanSe Soft Skills for good ». « Ce test dure une trentaine de minutes, note Alexandre Denat. Lorsque j’ai reçu les résultats, j’étais étonné. Je dois dire que j’étais même un peu inquiet tant les résultats correspondaient réellement à mon profil. » Pour les très hauts profils, les entreprises n’hésitent plus à recourir à des tests très pointus, à l’instar de celui proposé par Oxford HR et baptisé « Leadership Impact Assessment » (LLA). Ce test en anglais évalue en détail la personnalité du candidat. Chaque test est facturé entre 2 000 et 3 000 euros à l’entreprise. « Nous avions besoin de confirmer un choix sur le profil d’une candidate en finance, raconte un directeur de cabinet. Nous lui avons fait passer ce test. Il s’est avéré qu’elle était dans les 0,5 % des profils les plus efficients. » La personne est en poste depuis un an, sans une ombre au tableau.
Des qualités qui peuvent être développées
A l’instar d’autres compétences, il est possible de travailler à améliorer son empathie et sa capacité à s’adapter à son environnement. « L’intelligence émotionnelle n’est pas une soft skill figée dans le temps et il est tout à fait possible de la développer tout au long de sa carrière », explique Sébastien Lay. Reste que le candidat doit être au fait de la nécessité de progresser. « Beaucoup de financiers se retranchent derrière leurs compétences techniques, constate Alexandre Ricard. Pour s’améliorer, il faut une réelle prise de conscience de la part du financier. »
Pour ce faire, les formations de prise de parole en public sont hautement recommandées, car elles permettent au financier de travailler sur sa capacité à prendre en compte son environnement tout en faisant preuve de pédagogie. Ces formations sont souvent mises en place en cours de carrière, car rares sont les modules de prise de parole en public dispensés en école ou en université. « C’est sur le terrain que j’ai appris, explique Alexandre Denat. Dans ma précédente expérience, j’étais auditeur financier. En tant qu’auditeur, lorsque l’on arrive dans une nouvelle entreprise, nous ne sommes pas forcément bien accueillis. C’est donc à nous d’aller vers les autres et de nouer un lien avec le client ».
Comment définir l’intelligence émotionnelle
L’intelligence émotionnelle est communément définie comme « la capacité à reconnaître, comprendre, gérer et utiliser efficacement ses propres émotions ainsi que celles des autres ». « La gestion des émotions est à mon sens un abus de langage, estime Sébastien Lay, coach de prise de parole en public, SPIN Conseil et Formation. Il n’est pas possible de gérer ses émotions, comme on gérerait un projet. En revanche, il est possible d’être suffisamment ancré et solide pour ne pas laisser ses émotions déborder. »
Cette capacité d’empathie et d’adaptabilité à son environnement permet aux individus de communiquer de manière efficace, de résoudre les conflits, de prendre des décisions éclairées et d’établir des relations interpersonnelles positives. Autant de qualités aujourd’hui recherchées dans les profils de leaders.