En 2013, les directions financières se sont encore une fois tournées vers l’intérim pour faire face à leur charge de travail. Une solution d’appoint qui pourrait durer, créant ainsi de nouvelles opportunités professionnelles.
Avec quatre années de hausse quasi consécutives, le taux de recours à l’intérim pour faire face à une surcharge de travail, évalué par le cabinet de recrutement Fed Finance, met en lumière une véritable accélération du recours aux contrats courts. Ainsi, alors que fin 2010, 19 % des missions de ce cabinet étaient dévolues au recrutement des postes en intérim pour accroissement d’activité, fin 2013 cette proportion avait grimpé à 27 %. A tel point que durant l’année qui s’est écoulée, Fed Finance a reçu presque autant de demandes de postes intérimaires que de postes en CDI. Et ce, en dépit des mesures gouvernementales de juin 2013 visant à favoriser entre autres le CDI par une taxation plus importante des contrats courts... La raison de cette évolution régulière ? «Les entreprises manquent de certitudes sur l’avenir. Elles craignent de se positionner sur le long terme en recrutant de nouveaux collaborateurs», analyse Mathieu Blaie de Fed Finance. «Les sociétés fonctionnant en flux tendu, elles veulent maîtriser leurs coûts et leur trésorerie. Mais s’il survient un surcroît d’activité, elles n’ont pas les ressources suffisantes pour pouvoir le gérer», ajoute-t-il. Une situation qui touche tout particulièrement les PME dont les équipes, souvent réduites, peuvent difficilement compter sur la polyvalence des collaborateurs. «Dans les grands groupes, on répartit mieux la charge de travail», observe le consultant.
L’intérim est l’option qu’a retenue la société Isor, spécialisée dans l’hygiène et la propreté industrielle.«Pour ajuster les équipes du département finance, je n’ai plus aujourd’hui la visibilité que nous avions encore il y a quelques années, estime Jean-Pierre Deprez, le directeur administratif et financier. A l’époque j’embauchais assez facilement des débutants. Mais depuis quatre ou cinq ans, j’ai beaucoup de difficultés à recruter des BTS pour les postes de comptables, contrôleurs de gestion et responsables des achats. Je privilégie l’intérim et sous-traite le recrutement à un prestataire. De la sorte, les CV sont sélectionnés en fonction des expériences, et les intérimaires m’arrivent déjà évalués. Ce service justifie le surcoût que représente l’intervention d’un tiers.» Cette année, Jean-Pierre Deprez – qui, les années antérieures recrutait un ou deux intérimaires dans son service pour assurer des remplacements – a fait appel à une petite armée de spécialistes à l’occasion de la mise en place de SAP, le nouvel ERP de cette société de 6 000 personnes réparties partout en France autour d’agences régionales. «Il nous fallait des compétences SAP dans chacune de nos 20 agences, ainsi qu’un certain nombre de gestionnaires de paie. Nous avons signé des contrats d’un à trois mois pour les agences, et quelques autres pour notre siège de Nanterre pour venir en appui aux équipes locales», détaille le directeur financier.
Les changements d’organisation sont l’une des occasions les plus fréquentes pour qu’une direction financière fasse appel à l’intérim.«Une modification dans un service, l’installation de nouveaux systèmes d’information comme un ERP ou un centre de services partagés sont des occasions de recruter du personnel d’appoint», explique Romain Werlen du cabinet Michael Page. Et la crise n’a en rien ralenti ces grands projets. «C’est justement lorsque la conjoncture est difficile que les grandes entreprises et les PME cherchent à être plus efficaces. Elles changent leurs logiciels de gestion ou de finances. Pour cela, elles recrutent le temps du projet et un ou deux ans après, elles font mieux avec moins de personnes», souligne le professionnel. Pour ce faire, deux options s’offrent à elles : soit recruter des spécialistes du système en question pour en assurer le déploiement le temps nécessaire, soit confier cet apprentissage aux collaborateurs en interne et avoir recours à du personnel intérimaire pour décharger un temps ceux qui sont mobilisés sur le projet.
«C’est ainsi qu’on fait appel à nous pour recruter des gestionnaires de paie ou des spécialistes de la comptabilité fournisseurs, postes stratégiques qui doivent être assurés sans discontinuer», précise ainsi Romain Werlen.
La mobilisation sur un projet n’est pas seule la cause de l’accroissement des contrats courts constaté. Le personnel d’appoint, les directions financières y font aussi traditionnellement appel durant les derniers mois de l’année, à la clôture des comptes. Là, pas moyen d’y échapper, il faut recruter, et plus encore lorsque les équipes en place sont déjà surchargées de travail. «Si en cours d’année, on nous sollicite pour des postes de comptable général, de chargé de recouvrement ou de contrôleur de gestion, au dernier trimestre, on nous demande des intérimaires pour des contrats de deux ou trois mois, à des postes de comptables, de comptables auxiliaires notamment», précise ainsi le consultant de Fed Finance.
Faut-il pour autant craindre que la tendance aux contrats précaires dans la finance s’installe durablement ? Ce n’est pas ce que pense Mathieu Blaie : «L’appel à l’intérim répond à une conjoncture difficile. Mais si la visibilité s’améliore, l’entreprise entre dans une logique de préembauche avec ses intérimaires ou crée des postes en CDI. Je ne suis pas inquiet, il n’y a jamais eu d’abus sur ce type d’usages», tempère-t-il. Ce que confirme Romain Werlen : «A la différence des fonctions commerciales ou marketing où les recrutements peuvent osciller de plus ou moins 30 % d’une année sur l’autre, les fonctions finances sont incontournables, même lorsque cela va mal. Ce sont des cycles, des vases communicants entre intérim et CDI, mais le socle est stable», estime le professionnel.
Pour les salariés à la recherche d’un job, cet intérim peut se révéler être une opportunité pour rester actif dans son métier et – qui sait ? – mettre un pied plus durablement que prévu dans une entreprise. Aux dires des professionnels du recrutement, l’intérim est devenu l’apanage de sociétés de tous secteurs d’activité qui, pour ces missions, affichent moins d’exigences en matière d’âge ou de niveau d’expérience que pour un CDI classique. Les comptables, notamment, le savent. Eux qui sont particulièrement sollicités en fin d’année sont des habitués des job boards, ces sites d’emploi du type Monster ou Régions Job sur lesquels les cabinets de recrutement ou les entreprises vont à la pêche aux compétences. «En dehors des périodes de clôture pour lesquelles les missions sont en général bornées dans le temps, l’intérim est aussi un bon moyen pour une entreprise de tester un salarié à moindre risque», avertit Mathieu Blaie. Y compris pour les jeunes diplômés qui peinent à décrocher leur premier CDI. «Certains jeunes apprécient et supportent cette précarité. Ils redoutent parfois de se stabiliser trop vite. Et puis certaines missions leur permettent d’ajouter de réelles compétences à leur CV – lorsqu’ils s’investissent sur un nouveau logiciel par exemple», assure de son côté Romain Werlen.
Ces contrats d’intérim, Mody Dia, 35 ans, y a pris goût. Voilà dix ans que ce titulaire d’un BTS comptabilité navigue d’une entreprise à une autre, parfois au poste de comptable fournisseur, parfois à celui de comptable général, mais presque toujours dans de grandes maisons du secteur du luxe. Les entreprises apprécient son adaptabilité, sa polyvalence, son caractère sociable. A plusieurs reprises, elles lui ont proposé un CDI. Il a toujours refusé. «En intérim, je travaille huit ou neuf mois par an, et mon travail est mieux rémunéré grâce à la prime de précarité, dit-il. Je suis fait pour la liberté !». Si tous y gagnent...