Se traduisant par des réductions de coûts allant de 20 % à 50 % et permettant aux collaborateurs de se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée, les centres de services partagés sont de plus en plus prisés par les directions financières. Cependant, une telle structure implique une fine préparation, allant du choix de la localisation à la conduite du changement auprès de l’ensemble des effectifs.
Face aux avantages qu’ils peuvent offrir, les centres de services partagés (CSP) sont de plus en plus prisés, non seulement par les grandes entreprises mais aussi de plus en plus par des ETI de plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Il est vrai que les économies que ces structures permettent de dégager sont de nature à susciter l’intérêt des directeurs financiers. «En un an, nous avons réalisé 25% de gains de productivité, explique Laurent Mahéo, vice-président de la DFCG Ile-de-France et ancien directeur financier de Geodis Logistics, qui a mis en place en 2007 un CSP comptable en Ile-de-France. Nous avons réduit également les délais de clôture, réussi à structurer nos achats puis à renégocier avec nos fournisseurs, tout en permettant à nos équipes de monter en compétences !» Sur le plan financier, selon l’ensemble des experts de la place, les économies générées par un CSP sont de l’ordre de 20 % à 50 %.
Mais aussi attractive soit-elle, la mise en place d’un CSP ne constitue pas un chantier aisé : le processus est complexe, avec un enjeu humain déterminant, et un échec peut coûter très cher ! «Il n’y a pas de solution clé en main, annonce David Dogimont, associé chez Mazars. A ce titre, la création et la mise en place d’un CSP peuvent prendre plusieurs années et nécessitent une implication réelle du directeur financier.» Ce projet s’étale en effet en moyenne sur deux à trois ans, mais il peut atteindre jusqu’à huit ans si l’objectif consiste à atteindre une baisse des coûts de 50 %. Ce délai est souvent incompressible et toute précipitation devient contre-productive. «Il m’est arrivé trois fois l’année dernière d’être appelé par des sociétés qui avaient monté leur CSP en sous-estimant la conduite du changement et le dialogue avec l’ensemble des branches de l’entreprise, témoigne Laurent Guibert. Nous devions alors redresser la barre car le CSP n’était pas rentable et ne rendait pas un service qualitatif en interne, ce qui créait des tensions au sein de l’entreprise !»
Choisir le pays d’implantation
Outre le choix des tâches transférées au CSP (voir encadré), la première décision stratégique concerne la localisation de la structure. Si les ETI choisissent souvent de le localiser en France afin de permettre à leurs effectifs de demeurer au sein de cette dernière, les grands groupes, qui bénéficient de plus de postes à pourvoir, peuvent se permettre d’élargir leurs recherches. A ce titre, beaucoup d’entre eux envisagent de délocaliser leur CSP. En effet, ce choix peut conditionner très fortement l’optimisation réalisée, les coûts du travail étant le premier poste budgétaire de la fonction comptable. «La délocalisation en Asie, lorsqu’elle a du sens, peut générer jusqu’à 50 % de gains de productivité», explique Sabine Bechelani, associée chez EY. Outre les coûts, la décision prend également en compte les viviers de compétences. Certains pays s’en sont même fait une spécialité, en offrant de la main-d’œuvre qualifiée. «Par exemple, la Pologne pour couvrir l’Europe, les Philippines ou l’Inde pour l’Asie, et l’Amérique centrale, pour les Amériques, sont souvent privilégiés, précise Laurent Guibert. Les coûts du travail y sont bas, tout en offrant sur place les jeunes diplômés nécessaires.» En outre, certaines villes sont prêtes à faire des concessions concernant la fiscalité. Il convient alors de se renseigner sur les villes proactives en la matière auprès des institutions de développement économique ou grâce à des cabinets de conseil. Les négociations peuvent ainsi permettre d’obtenir un allégement des taxes, notamment les premières années, permettant un retour sur investissement plus rapide. Aux questions de compétences, de coûts de travail et de fiscalité s’ajoute ensuite celle de la proximité, qui permet au directeur financier groupe d’être en contact plus facilement avec son CSP, soit en se déplaçant, soit simplement en étant sur un fuseau horaire proche.
Face à ces enjeux, les entreprises commencent à opter pour des solutions hybrides, visant à trouver la solution la plus optimale. Elles consistent à séparer le CSP en deux lieux : un qui traite à bas coûts les flux de façon massive, et l’autre qui reste en contact avec les financiers et les opérationnels. Cette seconde équipe prend alors en charge les processus plus complexes, comme la validation – ou non – des factures et le virement ou l’audit des notes de frais. Le choix de la localisation du premier découle d’une pure logique d’optimisation, tandis que le second relève surtout d’une proximité nécessaire au bon contrôle interne, comme ce fut le cas chez Azko Nobel Distribution. «Nous avons opté pour un modèle hybride, témoigne Jean-Marc Trupiano, directeur du centre de services partagés de l’entreprise. Nous avons décidé de placer en Inde le traitement transactionnel du processus “purchase to pay” (comptabilité fournisseurs) et le traitement du processus “order to cash” (comptabilité client) en Pologne.» Cela permet ainsi au groupe de trouver l’organisation optimale tout en gardant un contact avec les clients, afin de gérer au mieux le poste client.
Définir un contrat de service
Une fois la localisation choisie, il convient ensuite de préparer la transformation en amont. Un contrat de service (ou SLA, service level agreement) doit impérativement être défini. Il détaille les droits et devoirs des parties prenantes, c’est-à-dire des collaborateurs du CSP mais aussi de ses «clients» – opérationnels et direction financière – en interne. «Souvent, en créant un CSP, nous prenons le risque de casser un lien géographique et hiérarchique, explique Jean-Marc Trupiano, directeur du centre de services partagés d’Azko Nobel. Pour reconstruire des repères servant de base à la nouvelle relation, il faut prendre le temps de rédiger la charte de services qui unit le CSP avec ses clients internes.» Par exemple, les opérationnels doivent s’engager à passer les commandes correctement, à remplir la facture selon des normes préétablies, ainsi qu’à vérifier et valider celle-ci lorsque le service ou le produit est livré.
Si ce contrat jette les bases de la relation avec les clients internes, il ne saurait toutefois suffire au lancement d’un CSP. En effet, beaucoup de collaborateurs affichent une réticence face à ce changement. Ainsi, les opérationnels craignent de perdre le comptable auquel ils se référaient. Surtout, les financiers concernés ont une peur rationnelle concernant leur avenir dans la société. Le directeur financier ou le chef de projet doit alors les rassurer, afin de s’assurer que la transition se fasse en douceur. «Pour le premier CSP, nous avons veillé à communiquer à chaque étape du projet tout en nous engageant à accompagner chaque salarié dans cette transition, et ce au sein même du groupe», explique Laurent Mahéo. Grâce à l’adhésion de chacun, le CSP a été créé en un an seulement et les réductions de coûts ont été au rendez-vous, ainsi que l’amélioration de la production comptable.
Pour les comptables qui font le choix de rejoindre le CSP, il faut également, le plus souvent, prévoir des formations. En outre, il convient de leur donner le temps de s’adapter à un nouveau management, basé sur la mesure constante de la performance. Les indicateurs de performance, comme le nombre de factures saisies par jour ou le nombre de jours de retard de paiement des fournisseurs sont notamment primordiaux dans cette nouvelle organisation.
Des opportunités professionnelles à la clé
Dans ce contexte, la transition n’est pas évidente pour les collaborateurs rejoignant un CSP. Pour autant, cette évolution est porteuse d’opportunités pour les comptables qui savent s’adapter à cette nouvelle culture. «Beaucoup de comptables locaux qui passaient la moitié de leur temps à faire de la saisie peuvent se spécialiser en comptabilité fournisseurs ou comptabilité clients, voire devenir expert sur des problématiques comme les taxes ou prendre en charge la centralisation du reporting des filiales», constate un directeur financier.
Même si les premiers résultats découlant de la mise en place d’un CSP sont souvent positifs, le directeur financier ne doit absolument pas relâcher ses efforts : les opérationnels doivent toujours envoyer des données fiables, les membres du CSP rester efficaces et les deux parties continuer de communiquer. Charge donc aux équipes du siège de veiller à maintenir l’équilibre délicat d’une mécanique bien huilée !
Trois exemples de choix de localisations de CSP
Dans la création d’un CSP, il y a une décision qui est plus stratégique qu’il n’y paraît : celle de la localisation – ou plutôt des localisations ! – du CSP.
Par exemple, un groupe de transport français a choisi d’installer son CSP en France. «Pour nous, l’essentiel était d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des directions mais aussi des salariés, explique le directeur financier en charge de ce projet. Nous avons donc préféré choisir une implantation en Ile-de-France qui permettait aux comptables de notre groupe de l’intégrer afin de poursuivre leur carrière chez nous.»
Les plus grands groupes, présents sur plusieurs continents, privilégient un ensemble de CSP dits régionaux, permettant aux équipes financières du siège d’être sur un fuseau horaire similaire et de rester joignables et réactives. «Schneider Electric a décidé de créer cinq plateformes finance, afin d’avoir des CSP régionaux, explique Stéphane Haesaert, directeur programmes et stratégie des CSP finance de Schneider Electric. Le groupe a un centre qui couvre les Amériques situé au Mexique, un en Pologne pour l’Europe, un en Inde, un en Chine et un aux Philippines, qui dépendent de la direction financière. Implémenter des CSP régionaux permet de garder une certaine proximité avec les filiales ayant besoin de ces services.»
Enfin, le modèle qui se développe de plus en plus est celui dit «hybride». Il permet de tirer les avantages de différents pays – en matière de coût du travail notamment –, en restant en Europe pour les tâches à valeurs ajoutées, qui nécessitent davantage de proximité. «Certaines tâches relatives aux processus liées aux taxes, à la trésorerie, au controlling et au reporting peuvent être traitées «nearshore», dans des centres régionaux, tandis que les flux transactionnels sont traités par une sorte d’usine “offshore”», explique Laurent Sinai Sinelnikoff, principal chez EY. C’est le dispositif qui a été adopté par une société de conseil internationale, en ce qui concerne notamment le processus «notes de frais». Ces dernières sont auditées en Pologne, à Wroclaw, par des francophones, avant d’être transférées électroniquement pour traitement administratif (enregistrement comptable) en Inde à Bengalore.
Les CSP commencent à élargir leur palette de compétences
Les CSP comptables sont traditionnellement organisés en deux ou trois processus. Le premier, «order to cash», correspond à la gestion du poste client, de la commande au règlement. Le second, «purchase to paie», gère les relations avec les fournisseurs, de l’achat au virement. A ces deux processus, s’ajoute de plus en plus une comptabilité générale, qui s’occupe d’une partie du reporting. Elle peut ainsi se charger du reporting de la trésorerie mais aussi de la gestion de la TVA, par exemple.
En parallèle, de grands groupes ayant commencé par créer un CSP comptable élargissent de plus en plus les fonctions de ce dernier. Cela commence souvent par l’audit de notes de frais, mais ils peuvent aussi englober des activités informatiques, de ressources humaines (gestion de la paie mais aussi des vacances, des formations, etc.), et des achats.
Face à ce mouvement, la plupart des entreprises qui décident de créer leur CSP procèdent par étapes. Rarissimes sont celles qui envisagent un centre de services global, proposant plusieurs types de services (finance, ressources humaines, IT, achats, etc.). «A ce titre, les entreprises anglo-saxonnes ont déjà un temps d’avance et ont créé des global business services, qui sont des centres intégrant toutes ces activités au niveau mondial, indique Laurent Sinai Sinelnikoff, principal chez EY. Les entreprises françaises commencent à s’y intéresser également.»
Le système d’information, préalable à la création d’un CSP
Un CSP doit traiter de façon automatisée la majorité, plus des deux tiers dans l’idéal, des factures, pour être efficace. En effet, afin de créer des économies, la plupart des factures sont traitées automatiquement, ce qui implique de disposer d’un système d’information et de processus efficaces. Les comptables du CSP ne doivent s’attarder que sur les situations qui posent problèmes. Par exemple, en cas de différence de montants entre le bon de commande et la facture, ils doivent opérer des vérifications auprès des émetteurs et corriger le tir.
Si l’automatisation n’est pas mise en œuvre, le traitement «industrialisé» des flux qui sont gérés en tout ou partie par le CSP est alors inenvisageable, car non-rentable en l’état. «Nous avons déjà suggéré à nos clients de travailler en premier lieu sur la standardisation et l’automatisation de leurs processus avant de lancer leur projet de centralisation, afin d’en optimiser les bénéfices attendus, explique Sabine Bechelani. associée EY. C’est l’exemple suivi par une entreprise dans le transport aérien, qui n’avait pas au démarrage du projet la maturité nécessaire à une centralisation immédiate. Son objectif de créer un CSP pour réduire les coûts était viable. Cependant, elle devait homogénéiser ses processus et dématérialiser ses factures, afin de s’assurer que l’information remonte de façon homogène et puisse être traitée rapidement.»
Non seulement la dématérialisation favorise la transition vers le CSP, mais elle est déjà porteuse de réduction de coût en soi. Selon les études, un traitement comptable classique de la facture coûte entre trois et quatre fois plus cher qu’un traitement électronique.