Le marché très fermé des proxy advisors (sociétés de conseil en votes) attire de nombreux jeunes, qui trouvent ensuite des débouchés dans les grandes entreprises qu’ils ont conseillées. Pour autant, les postes sont souvent difficiles à pourvoir en raison de la diversité des compétences requises.
Les sociétés de conseil en vote en assemblées générales (proxy advisors) sont plébiscitées par la plupart des investisseurs et actionnaires des sociétés cotées. En France, ISS Governance et Proxinvest se partagent le marché, ce dernier étant entré dans le giron du géant américain Glass Lewis en décembre 2022. « Ce rapprochement nous permet notamment de mieux accompagner nos clients qui ont besoin de voter dans le monde entier et de disposer d’une couverture à l’international et d’outils technologiques que Proxinvest n’avait pas », souligne Charles Pinel, directeur général de Proxinvest.
Dans le cadre de leurs missions, les proxy advisors émettent des recommandations de vote en assemblées générales sur des sujets financiers (validation des comptes, montant des dividendes à verser, demandes d’augmentation de capital, opérations financières) ou liés à la gouvernance des entreprises (rémunération des dirigeants, structuration ou nomination du conseil d’administration ou du comité exécutif, obligations ou modifications statutaires, etc.). Les recommandations des proxy advisors tendent également à évoluer en fonction des réglementations ou des attentes et stratégies des investisseurs et actionnaires. « Depuis deux ans, nous réalisons ainsi de plus en plus de recommandations sur les stratégies ESG des entreprises et en particulier sur leur engagement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique », ajoute Cédric Laverie, responsable recherche chez ISS Governance. Les proxy advisors sont également amenés à dialoguer directement avec les entreprises cotées afin notamment qu’elles expliquent le contexte des résolutions qu’elles entendent faire voter en assemblée générale. « Ces échanges se font notamment suite à un premier prérapport que nous leur remettons quelques semaines avant la date de l’assemblée générale, ajoute Cédric Laverie. Les entreprises ont ainsi la possibilité de corriger les éventuelles erreurs d’analyse ou d’ajouter des commentaires à nos recommandations. »
«Les investisseurs tendent à faire à davantage faire entendre leur voix et donc, à porter plus d’intérêt aux recommandations que nous pouvons leur faire.»
Des politiques de vote à géométrie variable
Pour réaliser ces recommandations, les proxy advisors s’appuient sur une politique de vote déterminée avec les actionnaires et/ou investisseurs. Chez ISS Governance, la politique de vote peut par exemple être établie sur la base d’une analyse comparative des bonnes pratiques du marché, selon un secteur d’activité, un thème (gouvernance, salaire, diversité, etc.), une région ou encore la réglementation du pays de l’entreprise qui organise l’assemblée générale. Elle peut également être ajustée en fonction des politiques d’engagements des actionnaires et des investisseurs. « Par exemple, certains investisseurs peuvent avoir des attentes plus fortes sur certains thèmes comme le climat ou le taux de féminisation que les recommandations proposées dans notre propre politique de vote », précise Cédric Laverie. Proxinvest, pour sa part, s’appuie sur une politique de vote très impliquée, souvent à l’avant-garde, qui peut aller parfois plus loin que les attentes de ses clients sur certains sujets. Outre-Atlantique, la politique de vote de Glass Lewis se décline également autour de grandes thématiques (ESG, climat, etc.) sur lesquelles le proxy advisor est plus exigeant.
Un métier soumis à une forte saisonnalité
Afin de mener à bien cette mission et de réaliser leurs analyses, les proxy advisors s’appuient notamment sur les DEU (documents d’enregistrement universel) que les entreprises leur fournissent seulement après avoir clôturé leurs comptes annuels. « Comme l’assemblée générale doit intervenir dans les six mois après la clôture des comptes, nous disposons généralement de quelques semaines seulement pour réaliser nos recommandations de votes, précise Charles Pinel. Notre métier est donc soumis à une forte saisonnalité qui suppose que nos collaborateurs soient en mesure de tenir la pression sur quelques mois, mais également que nos équipes soient suffisamment staffées pendant cette période. » D’autre part, bien que le nombre de leurs clients, essentiellement des asset managers et des investisseurs institutionnels, évolue peu, leur périmètre de votes tend néanmoins à s’élargir. « Un investisseur peut avoir jusqu’à 3 000 lignes d’actions sur lesquelles il peut être susceptible de voter lors des assemblées générales, précise ainsi Cédric Laverie. Bien que ces votes ne soient pas obligatoires, nous constatons actuellement une tendance des investisseurs à davantage faire entendre leur voix et donc, à porter plus d’intérêt aux recommandations que nous pouvons leur faire. Notre travail gagne ainsi en reconnaissance. » Pour faire face à ce contexte, la profession recrute en permanence et s’attache à consolider ses équipes en amont de la période des assemblées générales qui bat son plein entre avril et juin.
Des candidats formés sur le terrain
Or, bien que la profession séduise, notamment les jeunes qui attachent un fort intérêt aux enjeux environnementaux, les proxy advisors ont néanmoins du mal à recruter des candidats immédiatement opérationnels. En effet, le métier nécessite a minima des compétences financières, juridiques et en gouvernance d’entreprise mais aussi et de plus en plus concernant les questions environnementales et sociétales. Les candidats à la fonction doivent notamment être capables de lire et analyser les résultats financiers d’une entreprise, et de comprendre le montage d’une augmentation de capital ou d’une opération de fusion-acquisition. Ils doivent également avoir une certaine appétence pour les questions juridiques, et connaître les règles du droit du commerce. « Leur ouverture d’esprit et leur curiosité sont aussi des prérequis indispensables car nous traitons de plus en plus de sujets ESG en lien par exemple avec la diversité et le climat et nous travaillons régulièrement sur de nouvelles résolutions en plus de celles déposées par les actionnaires et investisseurs, précise Cédric Laverie. Nous avons d’ailleurs de plus en plus de stratégies d’activisme à traiter : certains investisseurs entendent en effet faire bouger les lignes et inciter les sociétés cotées à changer leur stratégie, par exemple sur leurs engagements environnementaux ou sociétaux. » Enfin, dans la mesure où ils sont amenés à échanger avec les responsables des relations investisseurs, les directions financières, juridiques ou encore ESG voire les dirigeants ou les administrateurs des entreprises du CAC 40 ou du SBF 120, on attend des proxy advisors une aisance relationnelle et leur capacité de communication en français comme en anglais. « Il s’agit donc de compétences transverses et à ce jour il n’existe pas de formation à proprement parler pour notre métier, précise Charles Pinel. Généralement, nous recrutons des jeunes sortant de Sciences Po ou d’une école de commerce, avec un master 2 en finance ou en droit, et que nous formons ensuite en interne. »
Des profils juniors vite chassés par les recruteurs
Les proxy advisors profitent donc souvent des périodes de stage de ces étudiants pour repérer d’éventuels candidats, les intéresser et les former au métier mais aussi aux outils qu’ils utilisent pour réaliser leurs analyses, et ce bien en amont de la saison des assemblées générales. « Après quelques saisons, un junior peut prétendre à un salaire entre 40 000 et 45 000 euros par an, indique Cédric Laverie. Mais très vite, ils sont chassés par nos clients, d’où la difficulté pour la profession de compter des profils seniors parmi ses rangs. » Pour un junior, une première expérience au sein d’une société de conseils en vote représente d’ailleurs souvent un véritable tremplin pour ensuite accéder à des postes d’analystes ESG, ISR ou de gouvernance dans les sociétés de gestion d’actifs, intégrer les départements relations investisseurs des grandes entreprises, ou encore rejoindre un proxy solicitor, métier miroir des proxy advisors.
Les proxy solicitors se placent du côté des entreprises
Alors que les proxy advisors émettent des recommandations de votes en assemblée générale en tant que conseils des investisseurs institutionnels, les proxy solicitors accompagnent les entreprises dans la préparation de leur assemblée générale et la sollicitation des procurations pour obtenir le soutien des actionnaires dans le cadre d’opérations sur titres impliquant des actions et même des obligations. « Nous intervenons ainsi dans la conception, l’organisation et l’exécution de campagnes pour les assemblées générales annuelles, les assemblées générales extraordinaires, les opérations de fusions-acquisitions et en particulier les OPA/OPAS, explique David Chase Lopes, managing director EMEA chez D.F. King Ltd. Nous accompagnons également les entreprises dans leur gouvernance et face à l’activisme actionnarial. » Les proxy solicitors sont donc amenés à travailler avec les directions des relations investisseurs, les directions financières et juridiques, les directions générales, les secrétaires généraux, ou encore les présidents des conseils d’administration. « Nos missions sont souvent tactiques au cœur d’une situation stratégique », ajoute David Chase Lopes. Outre les compétences en finance et en juridique, sur les règles de gouvernance et les stratégies ESG, le métier implique également une grande aisance relationnelle qu’une capacité à dialoguer avec de grands investisseurs ou des hauts responsables d’entreprises français et étrangers.