Avec le repli brutal des levées de fonds, la tendance est davantage au licenciement qu’à l’embauche au sein des fintechs françaises. Cependant, tous les métiers ne sont pas impactés de la même façon. Le secteur poursuit son déploiement et certaines fonctions restent particulièrement recherchées.
« Dans le secteur des fintechs, les demandes de recrutements se sont effondrées. Nous avons constaté une baisse de près de 80 % du nombre de postes à pourvoir au cours des 12 derniers mois », souligne Paul-Hubert de Longvilliers, cofondateur de Finaïa, cabinet de recrutement spécialisé en banque, assurances, fintechs et finance. Une baisse sensible des offres d’emplois que confirme France FinTech. L’association qui rassemble les fintechs, assurtechs et regtechs françaises publie sur son site des offres d’emploi. En 2021, la plateforme enregistrait un millier d’offres d’emploi. Fin 2023, seules 500 offres étaient référencées. En cause : une chute globale des financements des entreprises de la tech. Aux Etats-Unis en 2023, le secteur fintech a vu son financement total chuter de 36 % pour atteindre 18,2 milliards de dollars. Dans le détail, on observe une chute sensible des grands tours de financements, tandis que les plus petites levées de fonds se maintiennent. Les entreprises fintechs européennes ont levé 4,6 milliards d’euros au cours du premier semestre 2023, ce qui représente une chute de 70 % par rapport aux 15,3 milliards d’euros levés durant la même période en 2022. La France n’échappe pas au repli. Selon les données France FinTech, les levées de fonds ont chuté d’environ 70 % en 2023 par rapport à 2022, atteignant 919 millions d’euros, soit un niveau similaire à celui de 2020, année de crise sanitaire.
Ce repli brutal des levées de fonds s’explique par des causes extra-sectorielles et repose sur la hausse des taux directeurs couplée aux incertitudes macroéconomiques. En France, les levées de fonds en amorçage se portent bien. En revanche, ce sont les levées de fonds permettant de passer au développement commercial qui se tarissent. « Au cours des années 2021 et 2022, les levées de fonds des fintechs françaises ont été particulièrement significatives, explique Alain Clot, président de France FinTech. Durant cette période, les acteurs qui pouvaient se le permettent ont, dans un contexte de remontée des taux, allongé leur trésorerie en acceptant des dilutions de capital. Ces levées de fonds anticipées, un recours beaucoup plus marqué à la dette et des plans de recentrage et d’économie expliquent une bonne résilience d’ensemble de l’écosystème. Et ce d’autant que le niveau d’activité est, pour la majorité des secteurs, très bon. »
Une rationalisation des équipes
L’année 2023 a été marquée par de nombreuses réductions d’effectifs au sein des fintechs françaises (cf. encadré). Reste que tous les postes ne sont pas impactés de la même façon. Dans le détail, les postes se répartissent comme suit : un tiers des métiers sont des postes purement techs, un tiers sont des métiers opérationnels, 15 % des effectifs concernent la fonction commerciale, 13 % le service client et 5 % les fonctions supports. Parmi les postes les plus impactés, les commerciaux sont sans conteste les moins bien lotis : « Les fintechs qui, il y a peu, recrutaient massivement des armées de commerciaux afin de nourrir leur croissance ont mis un coup d’arrêt brutal à leur politique de recrutements », constate Paul-Hubert de Longvilliers. France FinTech entend néanmoins relativiser l’hécatombe du marché de l’emploi des fintechs. « Les fintechs françaises emploient 54 600 personnes, dont 8 600 hors de France, détaille Alain Clot. Nous estimons les recrutements de l’exercice 2023 à 5 000 postes, en gardant à l’esprit que certains de nos membres ont réalisé certaines réductions de postes. Les fintechs constituent une communauté qui échange de façon très fluide. Lorsque les conditions de marché se tendent, les entrepreneurs recourent moins aux intermédiaires et les recrutements se font davantage en direct. »
«Nous estimons les recrutements de l’exercice 2023 à 5 000 postes, en gardant à l’esprit que certains de nos membres ont réalisé des réductions de postes.»
Des profils techniques toujours recherchés
Si la tendance est à la rationalisation, certains talents restent très recherchés et de fortes tensions demeurent sur les profils codes et data science. « Pour les profils les plus techniques, le marché demeure très concurrentiel, détaille Paul-Hubert de Longvilliers. Nous n’avons pas constaté de baisse des niveaux de rémunération proposés. » Les experts régulation et compliance semblent également épargnés par ces vagues de licenciement. « Il va de soi qu’une fintech ne peut se passer de son expert compliance », souligne Paul-Hubert de Longvilliers.
La recherche de ces profils ultra-techniques devrait même s’intensifier au cours des prochains mois, tant la demande en faveur de la digitalisation des services financiers s’accélère. A lui seul, le paiement représente aujourd’hui près d’un quart des fintechs européennes. Au-delà des pure paytechs, le paiement est en phase de dématérialisation avec le développement de prologiciels et de nouveaux modèles hybrides. Cette dématérialisation est désormais renforcée par le déploiement de l’IA générative.
Les profils tech avec une dominante data science et IA resteront donc très recherchés. De même que les profils à la fois financiers et techniques qui viendront accompagner le déploiement des services de finance dématérialisés. Selon le rapport publié par Allied Market Research, le marché mondial de la finance embarquée, évalué à 66,8 milliards de dollars en 2022, devrait atteindre 622,9 milliards de dollars d’ici 2032. Les secteurs marchands sont de plus en plus nombreux à intégrer des solutions financières à leurs produits et services, se passant d’acteurs tiers pour proposer des services bancaires, des services de paiements, des crédits, des assurances et d’autres services financiers.
Ces fintechs françaises qui ont réduit leurs effectifs
Le secteur des fintechs français, en fort développement depuis quelques années, emploie désormais 54 600 personnes, dont 8 600 hors de France. Sur sa trentaine de licornes (start-up dont la valorisation est au-delà d’un milliard de dollars), la France compte désormais 13 fintechs. Néanmoins, l’année 2023 a été marquée par des réductions d’effectifs notables, à l’instar d’acteurs tels que Payfit (automatisation des systèmes de paye et RH) qui a réduit ses effectifs de 20 % (200 personnes licenciées). D’autres acteurs sont concernés : Sunday (solution de paiements à destination des restaurants), après avoir licencié 90 collaborateurs, a choisi de fermer plusieurs marchés. Enfin, sur le volet des cryptos, Coinhouse s’est séparé d’une trentaine de collaborateurs sur 70, tandis que Ledger a licencié 12 % de ses effectifs en 2023.