Restructuring : quel rôle pour les conseils financiers ?

Publié le 9 septembre 2024 à 16h41

Coralie Bach    Temps de lecture 8 minutes

Travaillant main dans la main avec les professionnels du droit, les experts du chiffre aident les entreprises en difficulté à clarifier leur situation financière et fixer le cap de leur retournement. Capacité d’adaptation, sens de l’écoute et connaissance de l’écosystème du restructuring sont nécessaires pour réussir ces missions menées sous pression.

Plus de 17 500 défaillances d’entreprises ont été enregistrées au premier trimestre 2024, soit une hausse de plus de 20 % par rapport à 2023, selon les données du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Aux côtés de ces sociétés en difficulté, de plus en plus nombreuses, gravite tout un écosystème de professionnels pour les accompagner. Avocats et administrateurs judiciaires travaillent ainsi main dans la main avec les experts du chiffre, chargés de faire un état des lieux financier de l’entreprise. « Notre rôle consiste d’une part à apporter un regard indépendant sur l’origine des difficultés, la situation de l’entreprise et ses perspectives de retournement, en rédigeant ce que nous appelons une independent business review (IBR) et d’autre part à conseiller nos clients en partageant notre expérience du restructuring », explique Guillaume Cornu, associé à la tête de l’équipe restructuring d’EY.

Ce diagnostic, établi en quelques semaines, sert à la fois à poser les fondements de la négociation entre les parties prenantes et à établir le calendrier de cette dernière en fonction du cash disponible au sein de la société. « La plupart du temps, au regard de l’urgence de la situation et de la tardivité de nos interventions, nous sommes obligés d’intervenir en plusieurs phases et commençons par assister nos clients dans l’élaboration d’une prévision de trésorerie à court terme, généralement à 13 semaines, poursuit l’associé. Ce travail permet de prendre les premières décisions urgentes, et de stabiliser la situation de trésorerie de manière à acheter du temps pour pouvoir construire la solution de redressement à long terme et engager les négociations avec les différentes parties prenantes concernées par la restructuration. »

Un double dialogue financier et opérationnel

L’état financier de la société clarifié, l’enjeu est ensuite de construire un business plan avec des pistes de restructuration à la fois financière et opérationnelle. « Une fois le diagnostic posé, la deuxième étape consiste à élaborer un plan d’action et voir comment le mettre en œuvre, illustre Raphaël Miolane, senior managing director chez FTI Consulting. Soit ce plan est porté directement par le management, soit nous nous chargeons de le piloter. » Plusieurs conseils en restructuring s’appuient en effet sur des équipes, en interne, de conseil en stratégie assurant les analyses de marché et de positionnement ainsi que l’accompagnement opérationnel. « Les équipes finance et stratégie collaborent très régulièrement, atteste Guillaume Cornu. Même s’ils ont une expertise dominante, nos consultants ont d’ailleurs la possibilité de travailler pour les deux pôles. »

Il revient également aux financiers d’évaluer les besoins de financement associés au plan de retournement. « L’objectif est de trouver les moyens nécessaires pour assurer le redressement de la société, que ce soit en décalant des échéances de crédit, de charges fiscales ou sociales, en cédant des actifs, ou en sollicitant un réinvestissement de la part des actionnaires », explique Xavier Bailly, associé d’Eight Advisory et président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE). Et si la négociation est plutôt laissée aux mains des avocats, administrateurs judiciaires et banquiers d’affaires, le conseil financier assure pour sa part la modélisation des propositions des parties.  « Nous les traduisons en chiffres afin de voir si elles sont cohérentes avec le business plan », ajoute-t-il.

Ce travail d’analyse et de conseils va par ailleurs bien au-delà des procédures judiciaires comptabilisées par le CNAJMJ. La majorité des missions sont en effet réalisées en amont, dans le cadre de mandats ad hoc ou de conciliations, voire en dehors de toutes procédures pour accompagner des entreprises en situation de sous-performance, et ce quelle que soit la taille de ces dernières. « Nous intervenons sur des restructurations de Place auprès de grands groupes, mais la réalité de notre travail est bien plus vaste puisque nous accompagnons beaucoup de PME et d’ETI, précise Xavier Bailly. Cette variété de dossiers est d’ailleurs formatrice. Si les grands groupes nécessitent de mettre en place des solutions plus complexes, ce sont les missions menées auprès d’entreprises familiales qui permettent de forger l’expérience. »

«Le restructuring ne se limite pas à une production de rapports financiers. C’est aussi et surtout un métier de conseil qui repose sur une expérience importante de situations complexes.»

Guillaume Cornu associé ,  EY

Une analyse financière et du conseil

Pour épauler PME et grands groupes, mis à mal par le contexte économique, Big Four et cabinets spécialisés continuent d’étoffer leurs équipes. Des postes sont ouverts aux jeunes diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, mais la plupart des recruteurs privilégient des profils avec déjà quelques années d’expérience acquises en audit, transaction services ou encore M&A. « Un passage en banque d’affaires apporte une rapidité d’analyse des dossiers, note Raphaël Miolane. De manière générale, un financier doté d’une deuxième compétence, que celle-ci soit en investissement ou en droit par exemple, est particulièrement apprécié. » Les profils plus opérationnels, en provenance du monde de l’entreprise, sont également recherchés à l’image d’anciens contrôleurs de gestion, ou d’ex-directeurs financiers ou responsable de business unit pour des postes seniors. Côté rémunérations, elles tournent autour de 50 k€ à la sortie d’école, puis peuvent rapidement progresser entre 60 k€ et 80 k€ après deux trois années d’expérience, et dépasser les 80 k€ au bout de cinq ans.

Les premières compétences attendues sont évidemment techniques, avec une maîtrise de l’analyse et de la modélisation financière. Il s’agit également de bien connaître l’écosystème du restructuring : quels sont ses acteurs ? Comment fonctionnent les procédures amiables et judiciaires ? Quel est l’impact de ces dernières sur l’entreprise ? Autant d’éléments à maîtriser pour aiguiller au mieux les sociétés. « Le restructuring ne se limite pas à une production de rapports financiers, rappelle Guillaume Cornu. C’est aussi et surtout un métier de conseil qui repose sur une expérience importante de situations complexes et implique, notamment, d’aider l’entreprise à bien s’entourer en sollicitant un mandataire ad hoc ou conciliateur et un avocat spécialisé par exemple. » Ce rôle de conseil, exercé dans un contexte difficile marqué par l’urgence et la pression, implique d’importants soft skills à commencer par une forte capacité d’adaptation, tant pour imaginer des solutions sur mesure que pour échanger avec des interlocuteurs très divers. « Nous nous déplaçons régulièrement sur le terrain afin de comprendre les difficultés de l’entreprise en profondeur, précise Xavier Bailly. Nous collaborons ainsi avec de nombreuses personnes, opérant aux différents échelons de l’entreprise. »

Le sens de l’écoute et la faculté à adopter la bonne posture face à des dirigeants traversant une situation critique sont tout aussi essentiels. « Il faut rester calme dans la tempête et se rappeler que l’objectif de notre travail est d’assurer le meilleur rebond possible à l’entreprise », résume Raphaël Miolane. Une mission qui pourrait faire écho à la quête de sens et d’utilité recherchée par de nombreux candidats.

Entre refinancement et restructuration

Aux côtés des missions « traditionnelles » de restructuring, viennent peu à peu s’ajouter des dossiers de refinancement d’entreprise. La remontée des taux d’intérêt, la plus grande prudence des prêteurs, cumulées à l’arrivée à échéance des prêts garantis par l’Etat complexifient des opérations menées auparavant sans encombre. « La frontière entre refinancement et restructuration financière est de plus en plus ténue, constate Guillaume Cornu. Depuis un an, nous voyons ainsi beaucoup de refinancements commencer de manière classique et basculer en restructuring, très souvent dans le cadre d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. Il est donc plus que jamais déterminant, tant pour les entreprises que pour les fonds d’investissement, d’anticiper au plus tôt leurs refinancements. » Les négociations plus ardues, notamment pour des entreprises évoluant sur des secteurs très impactés par la hausse du coût des matières premières et de l’énergie, conduisent ainsi les équipes transactions services à s’associer à leurs confrères du restructuring pour accompagner au mieux ces clients.

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